L’Instance de lutte contre la corruption (INLUCC) a adressé, le 4 mai 2018, une correspondance au ministre des Finances dans laquelle elle lui demande d’appliquer la loi sur la protection des dénonciateurs et de protéger Insaf Bouzid qui avait dénoncé une affaire de présomption de corruption au sein de la Compagnie tunisienne d’assurance pour l’exportation (COTUNACE), institution qui relève du département des Finances. Cet acte de corruption pourrait avoir, selon certaines informations non-confirmées, des relents de blanchiment d’argent.

Pour revenir à la correspondance, l’INLUCC demande au ministère d’intervenir afin de mettre fin au harcèlement dont fait l’objet Insaf Bouzid, depuis un an, par la Direction générale de la Cotunace et de lui restituer tous ses droits, notamment après la baisse illégale de sa prime de rendement et son transfert dans un bureau où les conditions de son travail ne seraient pas acceptables (nécessité de la faire bénéficier d’un bureau décent).

Une perte pour l’Etat de 6,5 MDT

Quant à l’affaire proprement dite, elle remonte à 2017, lorsque Mme Insaf Bouzid, cadre à la Cotunace, a révélé des présomptions de corruption sur un contrat d’assurance qui aurait coûté à l’Etat des pertes de 6,7 MDT.

Informé, la ministre des Finances à l’époque, Lamia Zribi, avait ordonné l’ouverture d’une enquête, mais jusqu’à ce jour les conclusions de cette enquête n’ont pas été rendues publiques. Depuis les choses ont évolué. Actuellement l’affaire serait entre les mains de la justice.

Interpellé sur cette affaire par des députés lors de son audition à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), l’actuel ministre des Finances, Ridha Chalghoum, a esquivé la question.

Climat social tendu au sein de la Cotunace

Le blackout sur cette affaire et la mise en quarantaine d’Insaf Biouzid aurait créé un climat de tension au sein de la Cotunace, ce qui aurait provoqué des mouvements sociaux qui ont provoqué le renvoi devant le conseil de discipline du secrétaire général adjoint du syndicat de cette institution.

Réagissant à cette situation, la puissante Fédération des banques et des finances relevant de l’UGTT a vivement condamné le harcèlement des syndicalistes.

La question qui se pose dès lors est de savoir qui est la partie impliquée dans cette affaire (laquelle rappelons-le est aux mains de la justice) ?

La Cotunace serait exposée aux actes de blanchiment d’argent

Abstraction faite du cas de cette dénonciatrice, il semble que la Cotunace, dans sa structure actuelle, soit fortement exposée aux actes de blanchiment d’argent et de corruption.

Un rapport élaboré en 2013 par l’OCDE pour le compte du ministre auprès du chef du gouvernement chargé de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, Abderrahmane Ladgham, avait évoqué cette question.

On lit notamment dans ce rapport de 150 pages intitulé “Scan d’intégrité Tunisie” : La Cotunace est peu sensibilisée aux problématiques liées à la corruption et son action dans le domaine est peu encadrée légalement. Aucun texte n’impose, en effet, à la Cotunace d’informer les exportateurs et/ou les demandeurs de crédit à l’exportation bénéficiant d’un soutien public des conséquences juridiques des actes de corruption en vertu du droit tunisien”.

Ledit rapport relève toutefois qu'”en vertu des dispositions du Décret-Loi n°2011-120 du 14 novembre 2011, la Cotunace est cependant tenue de mettre en place les mesures nécessaires et à même de réduire les pratiques susceptibles de développer des malversations et de soumettre les diverses activités économiques et les échanges commerciaux entre les entreprises du secteur privé aux principes de la concurrence loyale et de la transparence”.

Apparemment, par laxisme, la Cotunace a occulté ce texte et continué à considérer que “son activité de lutte contre la corruption est plutôt régie par la loi concernant la lutte anti-terroriste et contre le blanchiment d’argent”.

Conséquence : la Cotunace ne pouvait pas jouer un rôle actif dans la lutte contre la corruption en l’absence d’un cadre légal adéquat. En effet, cette dernière n’a pas, semble-t-il, informé ses clients des conséquences légales liées à la corruption. Elle ne les a pas encouragés à fournir les documents appropriés ainsi qu’à mettre en place les systèmes de contrôle interne appropriés.

Plus simplement encore, elle n’a pas exigé de ses clients une telle déclaration ou un engagement qui stipule que ni eux-mêmes ni quelconque partie agissant en leur nom ne s’engageront dans une activité de corruption. Elle n’a peut-être pas vérifié si ses clients potentiels figurent sur les listes d’exclusion établies par les institutions financières internationales et qui sont pourtant accessibles au public.

Moralité de l’histoire : la Cotunace comme la majorité des institutions tunisiennes exposées aux actes de corruption et de blanchiment d’argent était tombée dans le piège du laisser-aller et n’avait pas fait les investigations nécessaires sur ses clients.

Nul n’est censé ignorer la loi

Seulement, la loi c’est la loi et nul n’est censé, comme on dit, l’ignorer. C’est pourquoi, la Direction générale de la Cotunance ne peut en aucune manière ignorer le Décret-Loi n°2011-120 du 14 novembre 2011 et encore moins la loi relative à la dénonciation de la corruption et à la protection de ses dénonciateurs adoptée en février 2017.

Pour mémoire, cette loi constitue un pas important sur la voie de la lutte avec plus d’efficience contre la corruption. Défini comme loi organique, ce texte prévoit la mise en place des mécanismes de dénonciation de la corruption et de protection de ses dénonciateurs, de manière à consacrer les principes de transparence et d’intégrité.

La loi définit, également, les conditions et les procédures de dénonciation de la corruption et de protection de ses dénonciateurs et dresse les sanctions envisagées contre toute personne qui s’avise de révéler l’identité du dénonciateur.

Point d’orgue de cette loi, le chapitre réservé à la protection des dénonciateurs. La loi donne des garanties de protection des dénonciateurs de corruption en coordination avec les autorités (encadrement juridique et sécuritaire). L’atteinte à l’intégrité physique des dénonciateurs est sanctionnée de cinq à dix ans de prison.