Il y a une année, les tensions entre le gouvernement Chahed I et l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), à la tête de laquelle il y avait Houcine Abbasi, étaient à leur paroxysme. Une année après, les rapports entre le gouvernement Chahed II et l’UGTT –dirigée désormais par Noureddine Tabboubi- se sont nettement améliorés et sont plutôt à la sérénité et au dialogue. Les deux partenaires sociaux semblent vivre même une “lune de miel“ qui pourrait évoluer vers de nouveaux accords sur de nouveaux rapports sociaux, de type “cogestion“ ou autre “contrat social“. C’était déjà dans l’air depuis plus d’une année.

Soulignons pour commencer que la cogestion est une composante de l’économie sociale, très développée depuis les années 1970 en Allemagne et qui correspond à la participation des salariés dans la vie de l’entreprise.

En Tunisie, la cogestion pourrait constituer une avancée significative dans le dialogue social et contribuer à l’amélioration de la gouvernance et de la compétitivité des entreprises publiques qui traînent actuellement un déficit insupportable de plus de 4 milliards de dinars.

Si on recoupe certains faits inhérents au rapport gouvernement-UGTT, on recèle plusieurs éléments qui militent pour ce choix.

Le premier facteur consiste en le soutien multiforme qu’a apporté la puissante centrale syndicale au gouvernement Chahed.

L’UGTT, un allié stratégique du gouvernement Chahed

Les dirigeants de la centrale syndicale, sans donner un blanc-seing au chef du gouvernement, ne ratent aucune occasion pour se démarquer des surenchères partisanes à la veille d’échéances électorales, et apporter un appui –presque- inconditionnel au gouvernement d’Union nationale (GUN).

C’est Noureddine Taboubi qui a été le plus aux côtés du chef du gouvernement Chahed. Il a mis son crédit personnel et celui de la centrale en jeu en s’engageant à fond pour résoudre avec succès, au nom du gouvernement, de délicates affaires dont celle des protestataires de Kamour de Tataouine et de Faouar (gouvernorat de Kébili).

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C’est à lui que revient le mérite d’avoir soutenu corps et âme le jeune chef du gouvernement alors que plusieurs partis s’étaient désolidarisés de lui et s’étaient même associés pour l’écarter à l’occasion du dernier remaniement.

Taboubi ne cesse de déclarer aux médias qu’il est convaincu que le gouvernement Chahed peut sortir le pays de la crise.

Point d’orgue de cet engagement, le secrétaire général de l’UGTT a décidé de venir au secours du gouvernement en cette période scolaire difficile en faisant un précieux don de 200 mille dinars sous forme de contribution de la centrale syndicale à l’effort national de maintenance et de dotation des établissements scolaires d’équipements décents. Du jamais vu de mémoire de journaliste.

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La cogestion, un des piliers du nouveau modèle de développement

Le deuxième facteur qui appuie cette orientation non encore dite de la centrale syndicale vers la cogestion est perceptible à travers  l’engagement de l’UGTT dans le processus engagé pour promouvoir en Tunisie l’économie sociale et solidaire et sociale (ESS), la cogestion étant une composante de cette économie retenue du reste par le gouvernement comme un des trois piliers du nouveau modèle de développement avec l’économie numérique et l’économie verte.

La loi sur l’institutionnalisation en Tunisie de l’ESS -loi qui sera incessamment soumise à l’Assemblée de représentants du peuple (ARP)- est en grande partie inspirée des approches de l’UGTT en la matière, et ce avec le consentement du gouvernement.

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Plus simplement, cette loi sera proposée par la centrale syndicale et parrainée par le gouvernement, tout comme c’était le cas pour la loi interdisant les violences faites aux femmes. Cette dernière était au départ une loi proposée par la société civile avant d’être adoptée ensuite par le gouvernement. Le succès qu’a connu cette loi était éclatant. Apparemment tout le monde en redemande.

La cogestion a de chances d’être adoptée

Quant aux chances d’aboutissement de cette nouvelle orientation vers la cogestion, elles sont grandes, en ce sens que le gouvernement ne peut réussir la restructuration des entreprises publiques qu’avec l’aide de la centrale syndicale. Il n’a d’autre intérêt que négocier des compromis avec la centrale, notamment en ce qui concerne l’introduction de la gouvernance privée dans la gestion de ces entreprises, le choix de partenariats stratégiques pour l’injection de nouveaux capitaux, la cession des parts de l’Etat dans les entreprises publiques opérant dans le secteur concurrentiel…

Concernant l’UGTT, elle trouvera son compte dans ce compromis en préservant certains emplois dans les entreprises publiques, en dissuadant leur privatisation et en imposant, si elle le veut, de nouvelles normes de bonne gouvernance dont à titre indicatif la norme anti-corruption Iso 37001.

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Au regard des préoccupations des deux parties, il semble que tout le monde soit convaincu du bien-fondé de cette orientation vers la cogestion.

Taboubi, un syndicaliste doublé de fin politicien de la lignée de Farhat Hached ?

Et pour ne rien oublier, un mot sur l’apport de Noureddine Taboubi. Contrairement à son dogmatique prédécesseur Hacine Abassi, “un achourien” convaincu (allusion au leader syndicaliste Habib Achour), Taboubi donne l’impression qu’il est plutôt un syndicaliste de la lignée de Farhat Hached, fondateur de l’UGTT, en ce sens où tout en défendant avec fermeté les intérêts des syndiqués, il a en même temps une vision très saine et dynamique de l’intérêt supérieur du pays. C’est ce qui explique la qualité, la spécificité et l’exception syndicale tunisienne.

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Il augure, peut-être, ainsi un processus de refondation du syndicalisme tunisien et d’un retour aux sources. On l’aura dit…

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