Tunisie : Pourquoi la société civile veut-elle une «rectification» du processus de justice transitionnelle ?

La Coordination nationale indépendante pour la justice transitionnelle (CNIJT), présidée par Amor Safraoui, est, comme son nom ne l’indique pas, l’association la plus engagée dans le combat pour la mise en œuvre d’une vraie justice transitionnelle mais pas la seule.

justice-transitionnelle-680.jpgDiverses autres organisations (comme le Réseau Euro-Méditerranéen des droits de l’Homme) et de nombreuses personnalités livrent le même combat et sont actives sur le même terrain et autour de la même thématique.

S’interrogent, quatre ans après, sur le fait de savoir si, comme le déclare Amor Sefraoui, président de la CNIJT, «le dispositif actuel de la justice transitionnelle est capable de réaliser les espoirs des Tunisiens» et «si la démarche est la bonne ou elle a dévié». Et la plupart de ces acteurs de la société civile partagent la même conviction: le processus actuel de la justice transitionnelle présente de nombreuses failles qui peuvent en causer l’échec. Ces failles se trouvent essentiellement dans la loi encadrant le processus de justice transitionnelle et ayant créé l’Instance Vérité et Justice (IVJ) dans laquelle la Coordination nationale indépendante pour la justice transitionnelle a proposé d’introduire vingt-sept amendements.

Parmi les failles pointées, quelques-unes contraires aux dispositions de la Constitution et aux traités internationaux pourraient, selon la CNIJT, «faire échouer» le processus de la justice transitionnelle. Comme l’article 8 qui porte atteinte au principe de justice en deux degrés et crée un crime –celui d’«incitation à l’émigration contrainte»- sans texte de loi et au sujet duquel la justice ne peut de ce fait pas prononcer un jugement.

Mais en même temps que l’amendement de la loi instituant la justice transitionnelle, il faudrait revoir la composition de l’IVT. «Amender la loi sans revoir la composition de cette instance ne présente aucun intérêt», tranche Amor Sefraoui. Qui estime que «les membres doivent être au-dessus de tout soupçon, ce qui n’est pas le cas d’une partie d’entre eux qui ont été choisis bien qu’ils ne répondent pas aux critères dans certains cas et n’aient pas la compétence requise dans d’autres».

Le président de la CNIJT propose de confier la mission de revoir la composition de l’IVT à une commission composée des «sponsors» du dialogue national (UGTT, UTICA, LTDH et l’Ordre des avocats), de quelques doyens de facultés, de présidents d’instances nationales, et de Iyadh Ben Achour. Mais l’ancien président du Comité de réalisation des objectifs de la révolution n’est pas convaincu que cette manière de procéder soit dénuée de risque.

En effet, l’éminent juriste se demande à ce sujet si «on peut garantir comment l’Assemblée des représentants du peuple» face à la requête d’une révision de la composition de l’IVT. Plus explicite encore sur le risque encouru, Mokhtar Trifi, ancien président de la LTDH, s’interroge si, au regard de la composition actuelle –où le tandem constitué de Nidaa Tounes et du mouvement Ennahdha dispose d’une confortable majorité- si l’ARP accepterait la création d’une commission de dépouillement des candidatures à l’IVT ne venant pas de son sein et s’il n’y a pas danger, lors de la révision du processus, d’un «abandon d’une partie de la justice transitionnelle».