Affaire ECLAIR : Tarak Ben Ammar, deux recours, deux victoires (Partie I)

Y-a-t-il sauveteur et sauveteur? Ou la suprématie de ceux nés au Nord de la Méditerranée supplanterait-elle le principe de l’égalité de tous les Hommes devant la justice, qu’ils viennent du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest ou même de la planète mars?

Il est d’autant plus vrai qu’un nom comme celui de Tarek Ben Ammar sonne trop typé, trop marqué par son appartenance sud-méditerranéenne musulmane pour être souffert. Même si les laboratoires Eclair ont été, grâce à lui, sauvés in extrémis de la faillite… Mais on aurait préféré que le Rambo en question porte le nom de Moreau, Martin, Durand, mais pas Ben Ammar.

tarak-ben-ammar-eclair-group-680.jpgC’est triste lorsque la justice républicaine juge le délit de faciès et c’est réconfortant lorsque les institutions républicaines remettent les choses dans l’ordre en rétablissant le droit et en rendant justice. Heureusement en France ces institutions fonctionnent. Ainsi, selon l’article 40-1 du code de procédures pénale, «le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs». Ce fut fait dans le litige qui oppose depuis des années le producteur cinématographique tunisien, Tarak Ben Ammar, à la firme Technicolor, leader technologique mondial dans le secteur du Media & Entertainment et actionnaire à Quinta Communication.

Suite au recours entrepris par Quinta, le procureur français de la République a requis l’ouverture d’une information judiciaire sur les faits dénoncés au Parquet par la société Quinta Communication à l’encontre de Technicolor avec pour chefs d’accusation des escroqueries aux jugements et abus de confiance.

Auparavant, il y a eu sur injonction de la Cour d’Appel de Versailles, un passage au peigne fin des ordinateurs de Technicolor suite à une plainte déposée en civil par Tarak Ben Ammar qui a dénoncé son actionnaire pour comportement déloyal. «Technicolor détenait une participation et siégeait au conseil d’administration de Quinta Industries avant la liquidation judiciaire, en décembre 2011. Or, Technicolor a ramassé, pour une faible somme, à la barre du tribunal de commerce les meilleurs actifs de la faillite de Quinta Industries».

Tarek Ben Ammar n’aurait pas dû être pénalisé pour avoir voulu investir dans un secteur clé de l’industrie audiovisuelle française et par là même la sauver de l’écroulement par l’acquisition des laboratoires Eclair. Il voulait que la France accède au rang de premier producteur européen dans le cinéma en y développant une industrie de haute facture technologique.

En 2007, Tarak Ben Ammar met un pied dans Eclair en prenant une participation de 43% et engage des négociations en vue de la fusion d’Eclair et de LTC. Une fusion qui permettait de développer les process numériques et faire entrer la France dans la dynamique des hautes technologies cinématographiques internationales. La consolidation s’imposait conditionnée par l’accord des autorités de la Concurrence.

«C’est là que les masques tombent», estiment certains observateurs français: comment pouvait-on envisager que Tarak Ben Ammar puisse contrôler le seul laboratoire français de taille internationale et qui stockait la totalité du patrimoine cinématographique français que, murmure-t-on, il allait déménager en Tunisie. «Un danger pour le cinéma français!», s’exclame publiquement le ministère de la Culture. Tous les lobbies s’affairent autour de Bercy pour faire capoter la fusion. Et ils réussissent. La fusion est bloquée. Qu’importe le champ de ruines qui va en découler! GTC, filiale d’Eclair, est liquidée, Eclair entre en «Plan de Sauvegarde» et LTC rencontre ses premières difficultés». Ceci n’a bien sûr pas plu à tout le monde. Et dans une interview accordée il y a plus de 2 ans à WMC, TBA déclarait: «Ceux qui n’ont pas apprécié mes acquisitions représentent une petite minorité de politiques qui brandissait le ridicule concept de patriotisme français pour les Français… les professionnels du cinéma français, tous les producteurs et les metteurs en scène travaillent dans mes laboratoires et savent parfaitement que je ne vais pas délocaliser les laboratoires en Tunisie. Ce que j’ai fait, c’est, par contre, importer l’expertise et le know how pour les mettre au service de nos cinéastes à Gammarth. J’ai créé une filiale, des entreprises et des studios à la disposition du cinéma tunisien, maghrébin, africain et étranger qui le souhaitent. Le débat posait la problématique d’un homme du Sud profitant du savoir, de la technologie et des moyens mis à sa disposition par le Nord pour réussir. J’ai pensé comme les gens du Nord, j’ai acheté la technologie, c’est mon droit, je suis également citoyen français par ma mère. Je suis devenu propriétaire de la technologie qui était à la disposition de tout le monde, je ne l’ai pas volée à la France. Détenteur de cette technologie, je voulais en faire profiter le pays d’où je venais et c’est ce que j’ai fait à travers les laboratoires de Gammarth».

Les gens du Sud ont-ils droit à la maîtrise ou au contrôle de la technologie? Ce n’est pas évident. Car le racisme revêt plusieurs visages, celui exprimé clairement par l’Extrême droite et celui dissimulé sous les façades de la politesse et la courtoisie «droit-hommistes» et internationalistes.

Loin de reconnaître à Tarak Ben Ammar le mérite de consolider les 2 leaders de l’industrie, qui sont LTC et Eclair. Eclair était un groupe florissant alors que LTC rencontrait de sérieuses difficultés, au point de se retrouver en mandat «ad hoc», soit le risque du dépôt de bilan. Loin d’avouer qu’il sauve ainsi 400 emplois et introduit une nouvelle dynamique par l’apport de chiffres d’affaires réalisés par les films qu’il produisait, on l’a jugé indigne de l’honneur d’avoir le monopole des laboratoires français de production cinématographique: ce n’est pas un Français de souche.

En France, il y a justice et justice, et elle ne s’applique pas de la même manière à tout le monde. Il s’agirait d’une question d’honneur pour nombre de juges chauvins et jaloux de l’héritage historique de la France. Après tout, Eclair appartenait à la dynastie Dormoy et LTC et était naguère propriété de Vivendi, ainsi que du 2ème jalon de l’édifice Duran Dubois laquelle était en dépôt de bilan. Celui qui devait la sauver ne devait pas porter le nom de Tarak Ben Ammar même s’il y avait acquis 43% des parts, y a injecté 3 millions d’euros et y a préservé encore une fois 150 emplois hautement qualifiés.

Le producteur tunisien a aussi investi dans la Cité du Cinéma du français Luc Besson et a entraîné le groupe Bolloré pour en faire autant. Quelle offense!

Dans un monde globalisé, l’exception tunisienne n’avait pas lieu d’être. TBA aurait été un Américain, les choses auraient pu être autres, mais voilà, on fait avec ce qu’on peut… Et puis il y a l’exception culturelle… même si pour rappel lorsque la Tunisie pouvait s’enorgueillir d’être gouvernée par Carthage, première démocratie du monde, la France était régie par qui déjà?

En réaction, le Centre national français du cinéma procède à un programme de subventions pour la numérisation des salles sans équivalent en Europe. Objectif: précipiter la chute des laboratoires photochimiques que sont Eclair et LTC. Cela s’appelle baliser le terrain à Technicolor, laquelle, tout en feignant de négocier avec Quinta de Ben Ammar pour l’achat des labos, mise sur l’échec de LTC pour pouvoir reprendre les actifs à vil prix, ternit son image par des pratiques fort honteuses: l’espionnage économique.

Technicolor, actionnaire minoritaire (17%) mais partenaire de plein droit de Quinta Industries aux côtés de Tarak Ben Ammar -l’actionnaire majoritaire (83%)-, a été désigné en janvier 2012 par le tribunal de commerce de Nanterre comme repreneur principal de trois filiales du groupe Quinta Industries, alors en liquidation.

D’après une dépêche AFP, publiée en juin 2012, «Technicolor, qui avait pris des engagements auprès de Quinta, s’est défilé pour récupérer à vil prix le meilleur élément de Quinta». Le producteur tunisien avait à l’époque reproché à Technicolor d’avoir «dissimulé» au tribunal de Nanterre la réalité des liens avec Quinta Industries, alors que le groupe siégeait de plein droit à son conseil d’administration.

«Il lui a également reproché d’avoir refusé de jouer son rôle d’actionnaire en injectant les fonds nécessaires à la poursuite de l’activité de Quinta -malgré les sollicitations de Bercy- pour ensuite s’en porter acquéreur pour 1 million d’euros». Soit pour une bouchée de pain.

Ce feuilleton à la Dallas des mauvaises pratiques au sein de l’industrie cinématographique française n’a pas empêché le paiement des employés ou encore la production de films français tel «The Artist» lequel, grâce à la campagne promotionnelle de la Weinstein compagnie dont le Tunisien Ben Ammar est l’un des administrateurs, a été nominé pour 10 Oscars. Par contre, il a ralenti l’entrée de plain-pied du producteur dans l’ère numérique.

Aujourd’hui que le procureur de la République française a décidé l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre de Technicolor, il y a de fortes chances que TBA récupère ses droits et que la justice française retrouve sa dimension républicaine, égalitaire et que l’Etat français soit réellement un Etat de Droit et non faire semblant de l’être.

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