Procès politiques de 1956 à 2010 : La justice n’y était pas


bourguiba-012014d.jpgPratiquement
aucun courant politique, des Youssefistes aux Islamistes en passant par les
militants de gauche, comme aucune composante de la société (les militaires, les
syndicalistes, les enseignants, les étudiants…) n’ont échappé aux procès
intentés par les régimes de Bourguiba et de Ben Ali qui ont multiplié les
humiliations et les crimes: emprisonnement, torture, privation d’emploi,
confiscation de biens, contrôle administratif…

Une journée d’études, organisée le 22 janvier 2014, est revenue sur une page
noire de l’histoire de la Tunisie contemporaine.

«S’il est un domaine dans lequel les régimes de Bourguiba et de Ben Ali ont été
bien “justes“, c’est bien celui des procès intentés à leurs opposants». La
remarque, un tant soit peu cocasse, faite par H’fayedh Tababi, chercheur à
l’Institut supérieur de l’histoire de la Tunisie contemporaine (ISHTC,
anciennement Institut supérieur de l’histoire du Mouvement national) de
l’Université de La Manouba, traduit une réalité de l’histoire de la Tunisie
indépendante (1956-2010).

En effet, pratiquement aucun courant politique, des Youssefistes aux Islamistes
en passant par les militants de gauche, comme aucune composante de la société
(les militaires, les syndicalistes, les enseignants, les étudiants…) n’ont
échappé aux procès intentés par des régimes qui ont multiplié les humiliations
et les crimes: emprisonnement, torture, privation d’emploi, confiscation de
biens, contrôle administratif,…

Organisée le 22 janvier 2014, au siège de l’ISHTC, une journée d’études sur
précisément «Les procès politiques en Tunisie entre 1956 et 2010», est revenue
sur une page noire de l’histoire de la Tunisie contemporaine.

Les procès intentés donc contre les opposants aux régimes de Habib Bourguiba et
de Zine El Abidine Ben Ali ont démontré combien l’appareil de l’Etat était
largement inféodé aux dirigeants de l’époque qui en faisaient ce qu’ils
voulaient. Trois secteurs notamment l’étaient: la justice, les services de
sécurité et la presse.

Rien d’étonnant dans ces conditions, fait remarquer H’fayedh Tababi, qui a
traité du «Procès des personnes qui ont tenté, en 1962, de fomenter un coup
d’Etat», que trois revendications principales soient défendues corps et âme,
après la révolution du 14 janvier 2011, par des pans entiers de la société:
l’indépendance de la justice, une police républicaine et une presse libre.

«Les juges n’écoutaient même pas les plaidoiries des avocats»

Les juges obéissaient au doigt et à l’œil aux dirigeants politiques, fait
observer Amira Alaya Seghaïer, chercheur à l’ISHTC, qui a présenté une
communication sur le «Procès des Youssefistes dans les années 1956-1959». «Les
juges n’écoutaient même pas les plaidoiries des avocats. Les verdicts étaient
décidés d’avance», a assuré l’universitaire. Qui a précisé que «les manchettes
des journaux appelaient à appliquer les plus grandes peines et que la police
pratiquait les plus horribles des tortures». Signe que les procès des
Youssefistes ne respectaient pas, en outre, les règles élémentaires d’un procès
équitable: «les avocats étaient commis d’office».

Jetées à la prison de Ghar El Melh, les personnes qui ont tenté, en 1962, de
renverser le régime de Bourguiba, ont été placées dans des caves noires et
humides. «Elles étaient enchaînées aux pieds et ne possédaient pas la moindre
couverture», a témoigné Mohamed Salah Fliss, militant du groupe «Perspectives»,
dans les années soixante, et ancien détenu politique. Elles ont été, de plus,
privées de tout contact avec le monde extérieur.

«Le pouvoir voulait en fait se venger de ces personnes», a-t-il affirmé. Et
certains chercheurs parmi l’assistance de dire que les autorités sont arrivées
jusqu’à faire divorcer des détenus politiques de leur épouse pour les «punir»
davantage.

Des procès qui entendaient d’abord «combattre les opinions»

Inutile de préciser que certains détenus ont été jusqu’à être condamnés à mort.
Cinquante-trois peines capitales ont été prononcées dans les procès des
Youssefistes, a soutenu Amira Alaya Seghaïer, qui a déclaré que la Tunisie
indépendante a prononcé plus de peines capitales que le colonisateur français.

Inutile de dire aussi que des procès étaient expéditifs. Le procès des personnes
qui ont tenté, en 1962, de renverser le régime de Bourguiba, avait duré 23
heures, a souligné H’fayedh Tababi.

Les accusations ne tenaient pas toujours la route. Ainsi, un des leaders
syndicalistes a été accusé d’«adultère» lors des procès intentés, à l’automne
1985, aux syndicalistes. Un autre syndicaliste a été traîné devant les tribunaux
pour avoir «interrompu une communication téléphonique qu’il avait avec un haut
fonctionnaire». Un autre encore pour une prétendue «altercation avec un agent
d’une société de transport».

Le témoignage saisissant a été de Faouzi Saadaoui, chercheur à l’ISHTC, qui a
présenté une communication sur «Les procès intentés aux syndicalistes».

«Et les procès ont continué après la dissolution, après 1987, par Zine El
Abidine Ben Ali, de la Cour de sûreté de l’Etat. Les opposants politiques ont
été inculpés pour des affaires de droits communs», a fait remarquer Faouzi
Mahfoudh, directeur de l’ISHTC. Pour qui les procès politiques étaient des
procès qui entendaient d’abord «combattre les opinions».