Tunisie – Situation financière : Le chant des cygnes de Chedly Ayari

wmc_chedly-ayari_bct-01.jpg

Ceux qui prétendent que le pays risque la faillite à cause d’un endettement excessif se fourvoient; ceux qui exagèrent la gravité de l’inflation dramatisent. C’est vrai que 6,5% d’Inflation est excessif, mais il ne faut tout de même pas pousser. Tiens, toutes les économies fortes ont besoin d’inflation, 2% d’inflation serait l’idéal… S’il n’y a pas d’inflation, il n’y a pas d’activités économiques, on stagne…

D’autre part, il n’est pas sûr que la Tunisie puisse réaliser plus de 3% de croissance à fin 2013, il est plus probable qu’elle termine l’année avec 2,8% de croissance, mais en la matière et aussi performante que puisse être l’économie nationale, elle n’aurait pas pu dépasser, à moyen terme, les 5 ou 6% de taux de croissance. La moyenne de croissance dans la région MENA est de l’ordre de 3%… Nous sommes par conséquent dans les normes, «ce qui dénoterait d’une grande résilience de notre économie dans un pays en phase transitoire et souffrant d’une instabilité sociopolitique nourrie par les assassinats politiques».

Samedi 19 octobre 2013, lors de la rencontre organisée par ADS (Action et développement solidaire) portant sur «La situation financière de la Tunisie», Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale, a brillé par son éloquence, somme toute coutumière, et a, bon gré mal gré, fini par noyer toutes les problématiques de l’économie nationale dans des généralités…

Au retour de Washington où il s’était réuni avec le FMI et la Banque mondiale, le gouverneur pianotait sur son clavier les indicateurs économiques et les notes qui en ressortaient étaient rassurantes, revigorantes… Du coup, nous saisissons le pourquoi de l’assurance affichée par le chef du gouvernement dès qu’il s’agit d’économie, une économie qui, quoi qu’on en dise, marche. Comment? Certainement par la grâce de Dieu!

Au crédit de monsieur le gouverneur, reconnaître ne pas avoir de certitudes quant à 2014, et sur le plan économique et sur celui politique.

D’un autre côté, comme on peut faire dire aux chiffres ce que nous voulons et comme l’économie n’est pas une science exacte… Alors, le vrai du faux?

«La croissance -la tarte à la crème- a toujours été sujette à caution», indique le gouverneur de la BCT, car il faut l’ajuster à des chiffres, or ce qui importe, ce sont les «tendances». Si la reprise ne satisfait pas aux attentes, «il faut quand même rappeler que l’année 2011 a été catastrophique. «On a détruit les richesses nationales à un niveau tel qu’on a du mal à en trouver un exemple dans l’histoire de la Tunisie postindépendance. Nous ne pouvons même pas nous hasarder à les évaluer, il y en a qui sont connues, d’autres sont méconnues».

Au vu des résultats positifs du deuxième semestre de 2012, Chedly Ayari s’attendait à de meilleures performances pour 2013, alors qu’on voulait tirer la croissance vers le haut, les attentes ont été refroidies. Les assassinats politiques, ça porte un coup dur à l’économique… Sans parler du social… «Les IDE ont considérablement reculé, le dialogue national a pris du retard et toutes nos prévisions ont été bousculées».

Le tâtonnement des politiques économiques…

«Depuis l’indépendance, c’est la première fois que nous n’avons pas de plan quinquennal. Nous tâtonnons sur le plan économique. Nous n’avons pas de référence, ce qui nous appelle à mettre en place, au plus tôt, un groupe de réflexion».

Car, explique le gouverneur de la BCT, «nous faisons aujourd’hui du rafistolage». C’est d’autant plus vrai qu’une loi complémentaire des Finances accompagnera la présentation du

Budget de l’Etat pour 2014 cette année, c’est tout dire…

L’année prochaine ne sera pas facile «quoique nous bouclerons le budget pour celle en cours… Si le processus politique est sérieusement engagé et la feuille de route est adoptée et exécutée, il y aurait des chances de rattraper le retard, sinon, c’est l’incertitude très difficilement 2015».

Les dépenses ont surpassé les ressources en 2013, rappelle-t-il. «Tous les économistes du monde reconnaissent que les salaires ont tendance à baisser lorsque le chômage augmente, sauf en Tunisie où c’est plus tôt le contraire qui se passe: les salaires augmentent concomitamment au chômage».

Mais il n’y a pas que les augmentations de salaires sans oublier les rémunérations des milliers de nouvelles recrues -ce que Monsieur Ayari a omis de dire- qui minent le budget de l’Etat, c’est aussi la compensation. Qui ne le savait pas?

«Il y a deux cancers qui fragilisent l’économie, les salaires et les subventions qui se sont élevées cette année à 10,9 milliards de dinars. La conséquence en est un déficit structurel. Il faut une décision politique pour résoudre cette problématique».

La Tunisie a recouru en 2012 à un seul moteur de croissance, celui de la relance de la consommation, or pour réaliser des performances économiques, il faut créer des richesses par le biais des investissements, embaucher de la main-d’œuvre, améliorer les salaires, œuvrer à la hausse du pouvoir d’achat et la celle de la consommation, source de croissance.

Parmi tous les moteurs cités plus haut, un seul fut réalisé depuis la révolution, celui de la consommation. Conséquence : la Tunisie entre dans un cercle vicieux faute du vertueux ambitionné par toutes les économies qui se portent bien.

«Nous avons voulu y remédier, entre autres, en menant une politique visant à brider les importations en prenant des mesures pour réduire les financements liés à la consommation des produits de luxe ou superflus tels ceux importés de Chine, des produits alimentaires ou des biens d’équipement qui ne sont pas de première nécessité, malheureusement notre décision avait soulevé un tollé, l’année dernière».

Il va falloir éviter à la Tunisie le «double dip» (deux périodes de récession entrecoupées par une brève période de croissance).

La Tunisie a réalisé près de 3% de croissance en 2012, éviter une récession cette année est le seul moyen de dépasser le cap d’une crise économique aiguë. «Même s’il va falloir réduire nos attentes à la baisse pour 2013, car tous nos calculs et prévisions ont basculé à cause du blocage de la situation politique».

Les indicateurs économiques ne sont pas très rassurants mais des points verts, il y en a, et Chedly Ayari en voit. Tout d’abord, le stock impressionnant de crédit sympathie auprès de la communauté internationale dont bénéficie encore la Tunisie. Vous avez bien compris, c’est une monnaie qui correspondrait plus à des «créances toxiques» quand elle n’est pas suivie d’un soutien réel…

Le gouverneur se montre rassurant: «Nous avons été très bien reçus par les organismes internationaux, qu’il s’agisse du FMI ou de la Banque mondiale. J’ai même eu l’occasion de voir les représentants de certaines agences de notations auxquelles j’ai gentiment reproché d’avoir été très dures avec nous car notre situation n’est pas aussi dramatique que cela. Ceux qui prétendent que le remboursement de nos dettes pas si astronomiques que cela -à fin 2013 nous devons rembourser 370 MDT- nous mènera à la faillite se trompent. «Aucune économie au monde ne peut progresser sans endettement. C’est quand les fonds sont mal utilisés que cela devient un problème. La dette extérieure de la Tunisie s’élève à 51%, ce n’est pas dramatique si nous parvenons à redresser la barre dans le bon sens dans les prochains mois».

Le FMI s’est montré réceptif et compréhensif, ce qu’il nous demande est de stabiliser l’inflation et de procéder à des réformes auxquelles nous sommes nous-mêmes sensibles: «L’inflation est comme le cholestérol, il y a le bon et le mauvais, nous œuvrerons à la réduire par la maîtrise des importations».

Pour résumer l’intervention de Monsieur le gouverneur de la BCT à l’IACE, samedi 19, nous pouvons dire que la Tunisie se porte bien malgré le fait que les fondamentaux économiques sont au rouge, que le taux de croissance du dernier trimestre 2013 reste incertain, que les Américains auraient refusé d’être les garants de la Tunisie pour la levée des fonds à l’international, que l’économie informelle a dépassé de loin le cap des 50% et que les prévisions pour 2014 sont pour le moins inconnues…

Mais M. Ayari voit plus le verre à moitié plein qu’à moitié vide, question de points de vue, d’interlocuteurs et d’ambition.