Le pouvoir grise, le pouvoir enivre, le pouvoir aveugle, le pouvoir corrompt…


tunisie-22041201-l.jpg«Le
pouvoir est l’aphrodisiaque suprême», disait H. Kissinger. Nous le voyons
aujourd’hui et nous le vivons comme jamais nous n’avions cru devoir le revivre.
Car le pouvoir grise, le pouvoir enivre, le pouvoir aveugle, le pouvoir
corrompt… Et il est dommage que certains parmi ceux qui nous gouvernent
aujourd’hui, ceux que nous croyions immunisés par leurs convictions, «luttes» et
«haute spiritualité» se laissent autant prendre au jeu du pouvoir qu’ils en
oublient pourquoi ils y sont!

N’eut été la mégalomanie de Bourguiba, fondateur de la Tunisie moderne et
despote éclairé, n’eut été Ben Ali, un dictateur qui s’est doté du pouvoir
absolu et qui l’a exercé par l’arbitraire, la Troïka n’aurait pas été là où elle
est aujourd’hui… Une
Troïka, laquelle, quoi qu’elle prétende, est le produit des
politiques bourguibiennes éclairées, de ses choix judicieux en matière
d’éducation et de santé et bien avant d’une civilisation millénaire, même si on
feint de l’ignorer. Et loin des discours démagogiques qui ne parlent que des
erreurs commises par Bourguiba et ses héritiers, reconnaissons quand même que
c’est grâce à lui et aux COMPETENCES nées de la Tunisie indépendante
qu’aujourd’hui notre pays n’est pas le Yemen, le Soudan ou la Libye, qu’il est
doté d’institutions qu’on est en train de “désinstituonnaliser” et d’un Etat
qu’on est en train de mettre en miettes…
Nous devrions avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître aussi bien les
réalisations d’autrui que de stigmatiser leurs erreurs et de nous condamner les
uns les autres.

Dans ce même ordre d’idée, avouons que nous pourrions tout dire de ce leader
emblématique de la Tunisie du 20ème siècle sauf qu’il ne connaissait pas son
peuple et les recoins les plus reculés de son pays, ce qui n’est pas le cas de
la Troïka aujourd’hui.

Une Troïka -et à sa tête
Ennahdha – tellement coupée de la réalité du pays
qu’elle n’arrive plus à communiquer avec des pans entiers de la population. Une
Troïka tellement tournée vers elle-même, focalisée sur ses propres malheurs, ses
«souffrances» et ses déceptions, qu’elle ne voit pas qu’elle engage le pays dans
une thérapie singulière autodestructrice en clamant à tout bout de champ les
supplices qu’elle aurait, paraît-il, été la seule à avoir enduré et en
culpabilisant les Tunisiens afin de mieux les posséder. Leur faisant croire que
le statut de victime de la lutte pour les libertés justifie tous les actes,
toutes les positions, toutes les décisions même si elles devaient aller à
contre-courant ou desservir le pays.

Comme si le peuple aujourd’hui devait payer de sa propre souffrance d’autres
tourments et d’autres privations…
Une Troïka qui voit le pouvoir comme un butin de guerre, une revanche sur le
passé douloureux de certains… Les victimes sont devenues les bourreaux et le
peuple est devenu le bouc émissaire… Car ce peuple, qui croyait en avoir fini
avec les traitements de faveur, les passe-droit et les pratiques d’allégeance,
qui espérait, après sa «révolution», construire une nouvelle ère basée sur une
meilleure gouvernance, de bonnes pratiques, la justice et la méritocratie, voit
aujourd’hui ses espoirs tombés en lambeaux et ses rêves éclater en petits
morceaux…

Finies les promesses d’une Tunisie démocratique, égalitaire et juste.
Aujourd’hui, les règles élémentaires de bonne gouvernance sont renvoyées aux
calendes grecques, si elles n’étaient jetées carrément à la poubelle.

Conflits d’intérêts… et intérêts tout court…

Ainsi, la femme du ministre de la Justice est une avocate et, tenez-vous bien…,
qui exerce toujours… Le militantisme dont elle se prévaut très souvent aurait
pourtant dû l’inciter à prendre une année sabbatique, le temps que la Tunisie se
dote d’un nouveau ministre de la Justice. Tout comme le gouvernement légitime,
qui se prétend garant des meilleures pratiques, aurait dû désigner Noureddine El
Bhiri à un autre poste autre que celui de la Justice, car dans les démocraties,
cela s’appelle conflit d’intérêt.
Rappelons également que le ministre des Domaines de l’Etat est le beau-fils du
ministre de l’Agriculture; que le président du bureau politique du parti
Ennahdha est le frère du ministre de l’Intérieur; et que le ministre des
Affaires étrangères est marié à la fille du président d’Ennahdha qui exerce un
pouvoir absolu sur ses troupes à l’intérieur du gouvernement et au sein du
parti.

Ceci pour ce qui est des exemples les plus percutants. Que savons-nous du reste?

Aux dernières nouvelles, c’est Tarak Dhiab, ministre de la Jeunesse et des
Sports, qui veut s’approprier un terrain au même prix d’acquisition du sieur
Mourad Trabelsi, frère de la femme de l’ancien président, alors que sa douce
moitié se serait appropriée le Club Elyssa, géré auparavant par la belle-soeur
de l’ancien président.

Le terrain et selon les dires de notre confrère Mongi Khadraoui du journal Al
Chourouk, qui avait effectué moult vérifications avant de procéder à la
publication de son enquête, couvre quatre hectares situés dans la région de
Gammarth où les prix de terrain coûtent les yeux de la tête… Mais pas pour tout
le monde car tant que le système n’a pas évolué vers plus de rigueur et de
transparence, et tant que les hauts responsables sont plus soucieux de faire
leurs petites affaires que de s’occuper de ceux du pays, nous ne sortirons pas
de sitôt de l’auberge des traitements de faveurs et de passe droits.

Un pouvoir velléitaire ou égalitaire?

A voir ce qui se passe dans les arcanes du pouvoir, nous ne pouvons nous
empêcher de nous poser des questions quant à l’impartialité d’un gouvernement et
au bien-fondé de ses choix pour ce qui est de l’octroi de certains postes de
responsabilité. Des choix plus justifiés par la proximité et l’allégeance au
parti vainqueur qu’à la pertinence des profils sélectionnés et leur adéquation
avec les profils exigés… Un gouvernement où le fil entre liens familiaux et
responsabilités politiques est tellement enchevêtré que l’on n’arrive plus à
distinguer le vrai du faux et le juste de l’injuste.

Au final, les personnes ont changé, les pratiques sont restées les mêmes. Qui
mieux que ceux qui se sont servis de la religion, notre religion à tous, pour
faire de la politique pourrait mieux en user en les enrobant des habits de la
sainteté?

Lorsque notre Prophète avait dit «Wal Akrabouna awla Bil maarouf» (Que les plus
proches soient les mieux traités), il devait être loin d’imaginer en donner
prétexte à ceux qui occupent des hauts postes de responsabilité en feront
profiter les leurs… Mais ce fut une époque où les valeurs revêtaient tout leur
sens…

Qui pourrait, dans ce cas, rassurer le peuple sur l’impartialité de son
gouvernement et sur le bien-fondé de ses choix? Lorsque ce gouvernement a
commencé par où a terminé son prédécesseur, des pratiques indignes de la phase
de transition démocratique qu’il clame tout le temps haut et fort? Lorsqu’il a
la tête plus retournée vers le passé qu’orientée vers l’avenir? Lorsque
s’occuper d’une chasse aux sorcières, plus fictive que réelle, lui importe plus
que le fait de renforcer ses institutions afin qu’elles assument au mieux leurs
missions? Lorsque, faute de lancer les programmes socioéconomiques, il se lance
dans le sensationnalisme et les faits divers politiques?
En son sein, pourtant il y a des personnes, ouvertes, dynamiques, dotées de bon
sens et militant pour faire avancer les choses dans le bon sens. Elles sont
malheureusement broyées par la machine d’un parti auquel elles auraient depuis
longtemps juré fidélité. Le discours prononcé par Hamadi Jebali, Chef du
Gouvernement à la constituante jeudi 20 décembre appelant à un consensus
national, à la neutralité de l’administration, à l’impartialité des hauts
responsable de l’Etat et la valorisation des compétences sans esprit partisan,
annoncerait-il une virage dans la politique suivie jusqu’aujourd’hui par son
gouvernement? Si cela se traduit sur le terrain par des actes concrets, on
pourrait espérer une avancée rapide sur le chemin de la transition démocratique.

Car les temps sont venus pour que le parti
Ennahdha comprenne que le peuple est,
aujourd’hui, prêt à relever le défi de la liberté et de la démocratie mais plus
que tout, celui du progrès et du développement.
“Un dictateur n’a pas de concurrent à sa taille tant que le peuple ne relève pas
le défi”, disait feu François Mitterrand.
Espérons que ce que nous vivons aujourd’hui est une transition démocratique et
non une transition dictatoriale. Mais de toutes les façons, c’est au peuple de
choisir, désormais, son destin.