Tunisie : Crise des «subprimes» et «printemps arabe» (re)boostent la finance islamique

oect-finance-islamique-2801.jpgLa crise des «subprimes», le «printemps arabe», bien entendu pour des raisons diverses et de manière générale, tous les hoquets du système servent d’excellents tremplins pour la finance islamique. Celle-ci tente, à la lumière de sa percée, opérée à la suite de la crise de 2008, de prétendre à un caractère global. Elle se présente à l’opinion et à la communauté des opérateurs comme la finance vertueuse et se pose comme solution universelle.

A Tunis, samedi 29 janvier 2012, l’Ordre des experts-comptables s’est joint à une initiative de la CIBAFI, l’Association professionnelle de la finance islamique, pour organiser un séminaire sur les perspectives de son expansion en Tunisie et dans le monde.

Quel peut être l’apport des experts-comptables dans cette marche triomphale?

Une croissance vigoureuse

La finance islamique connaît son âge d’or. Elle gagne du terrain et progresse à un taux de croissance à deux chiffres. En 2011, elle a représenté 1.100 milliards de dollars US environ, soit une croissance de 24% par rapport à 2010. Elle atteindrait 2.000 milliards en 2013. Curieusement, elle a prospéré dans les pays musulmans d’Asie. La Malaisie est la première place financière islamique. Elle est suivie de l’Indonésie. La finance islamique ne représente, par contre, que 60% des transactions en Arabie Saoudite. Depuis, elle s’est taillé des places fortes dans les Etats du Golfe, puis le Soudan. Et, également l’Egypte.

Il faut rappeler que l’Egypte a été la terre natale de la finance islamique. Il y aurait à l’heure actuelle plus de 500 institutions dont 300 banques qui relèvent de ce régime dans le monde. Dans les pays occidentaux, les enseignes se multiplient. Les pays anglo-saxons ont été une excellente terre d’accueil, et les plus grandes enseignes bancaires, par réactivité commerciale, se sont dotées de départements de finance islamique pour essayer de récupérer le mouvement à leur profit.

La finance islamique, c’est l’imbrication de quatre sphères: la première est la sphère bancaire, dite «Essayrafiya», la seconde est celle de l’assurance dite «Takafol». Cette relation est somme toute logique. Pour sécuriser les engagements bancaires, il faut une couverture d’assurance de même régime. Ensuite on trouve le compartiment du marché des capitaux. Enfin, il y a celui monétaire.

Par ailleurs, la profession, outre le dispositif organisationnel, s’est dotée d’une nomenclature “produit global“ allant de la mourabaha (financement) à la Moudharaba (participation) au leasing (Ijar) jusqu’à Ettawrik (titrisation) et autres Sukuk (émissions obligataires).

Mais malgré le travail d’implémentation opérationnel et terminologique, persistent dans les pays d’accueil des difficultés d’harmonisation fiscale et en matière d’audit et de supervision. Les modes d’organisation n’étant pas celles des sociétés classiques, le travail d’implémentation met un certain temps, dirons-nous, avant de se réaliser.

Une doctrine et des postulats : financer pour le pire et le meilleur

La finance islamique s’appuie sur une axiomatique en béton. Elle est adossée à l’économie réelle. Tous les actifs sont de l’ordre du tangible. Il n’y a aucun risque de financiarisation libérale et encore moins de rupture avec la sphère réelle. L’axiome de base veut que l’argent serve de numéraire pour exprimer les prix des biens et services et finaliser les échanges mais en aucun cas il ne doit faire l’objet d’un commerce propre. C’est ce qui interdit la perception du taux d’intérêt considéré comme loyer de l’argent.

D’ailleurs, entre banques les avances en trésorerie ne sont pas rémunérées et tout prêt est compensé par un dépôt de même maturité (pour la même période) et de même montant. A l’origine, on restreignait les prêts à des obligations strictes. Quand on empruntait, ou ce qui est plus conforme, quand on se faisait avancer les semences pour la récolte d’un type de céréales, on payait dans la même céréale en majorant de la part de gain. Quand on empruntait de l’orge, on remboursait avec de l’orge. C’est tout simple.

Qu’est-ce qui remplace l’intérêt? La rémunération est prélevée sur le bénéfice de chaque opération. Le banquier, en toutes circonstances, agit en investisseur et prend plein risque selon le postulat de l’équité en affaires. S’engager c’est autant s’exposer à gagner qu’à perdre. C’est donc l’assurance d’un financement direct. Evidemment cette solution est supérieure au financement par endettement. En cela, l’opposition avec le prélèvement d’un intérêt prend du relief. En régime commun, les intérêts se surajoutent et leur cumul peut atteindre parfois un taux d’usure et dans l’hypothèse d’un règlement litigieux, le débiteur peut être amené à régler en plus du principal un montant d’intérêts accumulés, issue pénalisante pour le débiteur et qui fait jaillir le spectre de l’usure.

Audit, contrôle et supervision

Ce qu’il faut savoir, c’est que la finance islamique aligne une offre globale avec des correspondances très proches des produits de la finance traditionnelle. Toutefois, elle assortit leur usage de restrictions. La première est, comme on l’a précisé, de ne pas faire des produits financiers purs. Les «Sukuk» sont toujours liés à des sous-jacents réels. Les produits dérivés et les notionnels sont strictement prohibés. Les produits structurés, à l’origine des créances toxiques, le sont aussi.

Un scénario de la crise des «subprimes» est inimaginable. L’un des avantages de ces restrictions est d’empêcher, autant que faire se peut, la spéculation. Alors, malgré cette transparence du bouquet de produits et les progrès de la doctrine et de la législation, des efforts sont encore à faire en matière de gouvernance. Etant donné que le régime commun est dominant, les règles de supervision sont difficiles à implémenter. Pareil pour l’audit. L’ennui, en la matière est que les comptables ou les auditeurs n’ont pas d’interlocuteurs versés dans l’expertise technique. En général, des ulémas, sans bagage technique mais très avancés en exégèse religieuse, décident du caractère licite ou illicite d’une opération. Les mises au point échappent donc au cadre matérialiste ordinaire. Et c’est en cela que les experts-comptables sont sollicités, car il y a un travail de corrélation et d’implémentation avec la comptabilité usuelle qui est permanent.

Au bout du compte, il s’agit de calculer un bénéfice, de dégager des amortissements et des provisions, de payer des impôts et de répartir des dividendes, tout en tenant compte du paiement de la «zakate»

La finance islamique en Tunisie

C’est la BEST Bank qui a démarré cette activité en Tunisie qui est longtemps restée au stade de niche car longtemps contenue dans le secteur export. La BEST Bank s’est dotée d’un compartiment d’assurance. Et même si depuis vingt ans environ, la banque s’est dotée d’un compartiment onshore, son activité n’a pas connu une expansion fulgurante. L’arrivée de la Banque Zitouna a un peu changé la donne.

Les autorités tunisiennes, pour leur part, ont manifesté du répondant et le cadre réglementaire pour le développement de la finance islamique s’améliore régulièrement. La Banque s’est taillé une part de marché. Son image reste toutefois entachée de tout le discrédit qui pèse sur son fondateur. L’offre de la banque, dans son ensemble, a rencontré l’intérêt d’une clientèle sensible aux préceptes religieux de la finance islamique. A titre d’exemple, le crédit logement n’est pas meilleur marché que la concurrence, et Zitouna à ce jour ne propose pas la maturité des 25 ans à l’instar de certaines banques commerciales classiques. Pour l’instant, ses produits ne font pas la différence. Mais au moins elle complète la physionomie de la place de Tunis.