OPINION Tunisie : Journalistes et «espèces» ou espèce de journaliste!

journalisme-1.jpg«Je ne veux pas être un observateur passif devant ce qui se passe dans mon pays», me dit un ami proche qui s’active devant un supermarché alors que je le rejoignais pour voir le travail de son parti sur le terrain sur le ton d’un reproche. Sauf qu’être journaliste n’est pas être un observateur passif. Bien au contraire! Etre journaliste, c’est observer, critiquer, dénoncer, informer, alerter, analyser et activement. Faut-il que l’on soit tous partisans et politiques? La logique du «si tu n’es pas avec moi tu es contre moi» fait des siennes, surtout par les temps qui courent. Dur, dur d’être journaliste!

Quand on s’attèle à son travail, nous sommes surpris de voir que les tentatives de manipulation ne viennent pas toujours des mêmes. Autrement dit, des journalistes qui attendent misérablement une invitation, un voyage, un téléphone, un repas… Des journalistes qui souffrent de conditions précaires, d’inaccessibilité à l’information, d’instrumentalisation,…

Des journalistes qui ont subi la révolution et dont une partie y a participé croulant sous les arrestations, les intimidations et la torture. Cependant, le secteur dans son ensemble peine à participer à l’édification d’une information crédible, sûre et impartiale. Un apprentissage inéluctable qui est en cours, qui prend du temps et nécessite autant de mise à niveau que de purges à force d’avoir été longtemps assujetti au système encore en place.

En ce temps de transition démocratique, la corruption prend des formes multiples. Elle peut prendre des formes sournoises du genre: «propose-nous tes idées et nous trouverons des solutions». Entendez par-là, on s’arrangera! En «espèces» ou en «ouvertures», tous les moyens sont bons pour appâter et trouver les relais qui comptent.

Il arrive aussi qu’un journaliste soit sollicité pour concevoir des programmes pour des associations, des entreprises ou d’être à la solde de partis politiques. Sauf qu’à ce jeu tout le monde y perd. Le journaliste ne sait pas faire de la communication politique, à moins que cela ne soit sa spécialité. Ce n’est pas son métier. Mélangez les spécialistes de la «Comm’» à ceux qui s’essayent à la politique, avec une dose d’égos surdimensionnés, de charlatans journalistes aux appétits aiguisés qui mélangent opportunités et opportunismes et le tour est joué! Vous vous retrouvez avec le paysage chaotique actuel.

Des medias qui alimentent le brouillard et ne parviennent à expliquer les enjeux et les défis actuels que vivent le pays. Dans la course effrénée au plus de lecteurs, de clics, de spectateurs ou d’auditeurs, beaucoup y ont perdu leur ligne éditoriale et surestimé leurs domaines de compétence. Le plus humble et honnête aurait été de ne pas occuper une dimension qu’on ne peut assumer!

Pour en revenir au clientélisme, le récent rapport de monitoring sur les medias et les partis politiques le confirme. Le mélange des genres prend en otage l’opinion publique. Il en ressort autant de favoritisme que d’amateurisme. La publicité et les médias font souvent mauvais ménage quand les limites ne sont pas claires et qu’ils ne répondent pas à une éthique certaine.

Les femmes et les medias ont quant à eux consommé un divorce avant la grande fête. Sur la période du 1er au 25 septembre, les Tunisiennes impliquées dans la chose politique sont totalement marginalisées. Dans les principaux journaux, elles n’occupent que 0,51% de l’espace, n’ont eu accès qu’à 1,64% de l’espace radiophonique, et les chaînes Tv ne leur ont octroyé que 0,56% de leurs plages de programmation à forte audience.

Le tout se corse quand les medias dépassent leur dimension et biaisent les débats. Dans le cas de Nessma TV, un média peut devenir le sujet d’une polémique avant l’heure ou peut-être juste au bon moment, c’est selon! Indépendamment que l’on soit pour ou contre, cette affaire a révélé la puissance de certains maux maintenus sous couvercle et c’est peut-être tant mieux!

A quelques jours des élections Nessma Tv a péché par un excès de légèreté. A trop jouer avec le feu, on s’y brûle! Reste que ceux qui ont tardé à préciser leurs positions incendiant la chaîne après l’avoir exhorté à y jouer n’assument pas ou plus, sont aussi responsables. S’il y a un fait qui reste immuable, c’est que la censure et l’exclusion changent de visage mais oublient rarement personne. Si on laisse le couperet de l’intolérance tomber, un jour viendra où il s’abattra sur tous.

Loin de ce débat, et pour en revenir aux médias plus traditionnels, le manque de professionnalisme est flagrant. Il anesthésie le débat de fond sur la réforme constitutionnelle en péchant par un défaut de transmission de la culture citoyenne, par l’absence de l’investigation et par le manque de hiérarchisations des enjeux. Mais les supports qui s’emmêlent les pinceaux, car ils ont trop de choses à se faire pardonner, sont-ils les pires? Rien n’est aussi sûr! Les futurs journalistes tunisiens encore à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information ont manifesté pour la censure en appelant à la fermeture de Nessma Tv. Un comble. On aura tout vu! L’avenir du journalisme tunisien n’est pas gagné d’avance!

Avec la flopée de nouveaux médias qui doivent faire leurs preuves, ce sont les réseaux sociaux qui continuent d’être le vivier d’informations autant que celui de désinformations diverses et de manipulations. Les batailles électorales s’y font activement, peut-être autant et même plus que sur le terrain.

A quelques jours du 23 Octobre, le nombre de médias qui limitent leur action à la reprise de Tweets ou d’informations via Facebook devrait se réduire. Ces pratiques, ça va un temps! Aujourd’hui la vérité reste sur le terrain. Il faut se donner la peine, le temps et les moyens d’aller la chercher.

Ce n’est qu’à partir de la compétence de chacun que l’on parviendra à rebâtir la confiance des lecteurs en allant vers le plus important: séparer la communication du journalisme. Le mélange des genres a été désastreux et le lecteur continue malgré la prolifération de nouveaux titres à aller chercher ailleurs. Jusqu’à quand ou plutôt jusqu’à combien?