Tunisie – Chronique du chauffeur de taxi : «On ne vend pas le service militaire lorsqu’on veut fabriquer des patriotes»


taxi-21072011.jpgLa sagesse populaire. Rien de tel pour rappeler, à ceux qui se croient plus
intelligents et mieux instruits que d’autres, que rien ne vaut le bon sens des
hommes simples dont la logique n’a pas été pervertie par des «personnalités» aux
égos démesurés qui croient avoir tout compris et pensent être capables
d’analyser le monde dans toutes ses dimensions même parallèles…


Le pouls de la rue? Il est dans les cafés, les administrations, les salons de
coiffure, les quartiers populaires et … les taxis. La realpolitik se fait dans
ces lieux et pas uniquement dans les cercles de discussions, les forums où les
débats télévisés. Car, c’est dans le quotidien et par le quotidien que les gens
du peuple peuvent identifier leurs besoins et définir leurs attentes.
D’ailleurs, nos politiques s’en rendent compte. Ils commencent aujourd’hui à
mettre des stratégies pour conquérir la rue. Les uns par des arguments
objectifs, d’autres par les arguments de l’argent à qui dit mieux…

Espérons qu’étouffés par leur propre logique, ils pourront voir celle des
autres…

Ils pourraient, peut-être, associer les chauffeurs de taxis à leurs réflexions.
Car ces derniers pourraient aider nos politiques à reconnaître les tendances de
la rue ou du moins celle de la classe moyenne. A force de discuter avec leurs
passagers, nombre de chauffeurs de taxi finissent par se faire des opinions
sensées sur ce qui se passe sur la scène politique, économique et sociale.

«Ceux qui veulent lancer des séries de Kasbah sont-ils conscients que les
premiers à en pâtir sont les commerçants des souks et des alentours? N’y a-t-il
pas d’autres moyens de protester que ceux d’arrêter la vie dans une grande cité
de la capitale. Non, je ne comprends ni mes compatriotes ni «Al mit-thacffins»
(les personnes cultivées), ceci au cas où ils le sont. Et vous savez quoi, tout
le monde parle de «Fassad», (corruption) en ce qui me concerne, j’ai acheté à un
employé de la
STEG un petit appareil à 500 DT dont il a lui-même équipé mon
compteur. Grâce à lui, mon compteur ne calcule que ma consommation d’éclairage
sans calculer celle des climatiseurs, du chauffage électrique ou même du
réfrigérateur. Il faut peut-être commencer par éduquer le peuple et s’attaquer à
la corruption à la racine. Nous y sommes tous impliqués, d’une manière ou d’une
autre et nous devons tous remettre nos pendules à l’heure, les grands corrompus
doivent être punis, pour servir d’exemples aux petits ..». C’était… un chauffeur
de taxi qui s’exprimait ainsi.

A propos du patriotisme, un autre s’écria: «Non, mais vous êtes folle de parler
de patriotisme, lorsqu’un gouvernement a institué par la loi le principe de
vendre le service militaire! Notre défunte Constitution ne stipulait-elle pas
que tout citoyen a le devoir de protéger son pays? Lorsque dans un pays comme le
nôtre, pas seulement les hommes mais les femmes sont sommés, dès l’âge de 20
ans, d’accomplir un service militaire d’une durée d’un an et que personne ne le
fait, comment voulez-vous que nous soyons imprégnés du patriotisme? Nous sommes
incapables de défendre notre pays parce que nous avons marginalisé le service
militaire. Depuis quand, en Tunisie, perd-on son emploi parce qu’on effectue le
service militaire, un devoir national? Comment un Etat peut-il s’autoriser à
vendre le service militaire en le remplaçant par «Attaïnat al Fardia» (les
affectations individuelles)? Dans notre hymne national, ne dit-on pas «Fala Acha
fi tounes man khanaha wa la acha man layssa min joundiha» (Ne vit pas en
Tunisie, celui qui l’a trahi ou celui qui n’a pas été l’un de ses soldats) et
vous parlez de patriotisme! Le patriotisme commence, à mon avis, par le respect
du devoir national, par la loyauté au drapeau et sa vénération dans les écoles
primaires et secondaires ainsi que beaucoup de discipline. Et que ceux qui nous
comparent à la Turquie sachent que dans ce pays, on ne badine pas avec le
service militaire; aimer son pays, c’est aussi accepter de sacrifier une année
de sa vie pour lui!»

Non ce ne sont pas mes mots, ce sont ceux de mon chauffeur de taxi…