Tunisie-Médias publics : Des «Pechmergas» ou des amateurs de la télé?

La télévision nationale est-elle réellement représentative, du moins en matière d’information politique de tous les courants et les orientations existants? La langue de bois a-t-elle viré avec le tournant décisif du pays le 14 janvier? Ou bien est-il difficile de changer brutalement de cap sans formation, sans moyens et sans encadrement?

L’UNESCO, qui organise mardi 31 mai, une conférence internationale en faveur de l’audiovisuel tunisien et égyptien, y a pensé. Car, créer les conditions du développement de médias libres, pluralistes et indépendants est une étape incontournable de toute transition démocratique.

La situation est différente pour notre télévision publique qui, plus que de moyens, a besoin de professionnaliser encore plus ses équipes et ses staffs techniques et opérationnels.

A la télévision publique où un appel insistant a été lancé à la direction générale de ne pas intervenir dans le contenu informationnel, les médias seraient réellement libres et de toutes les manières, les décideurs n’ont pas voix au chapitre, car bien entendu: ce ne sont que des intérims, et le «dégage» est l’épée de Damoclès!

Qui décide donc du contenu du journal de 20h aujourd’hui très suivi par le public tunisien? «C’est un comité de rédaction», répond une journaliste, ce qui nous rappelle tout d’un coup que les comités populaires… Ca n’existe pas qu’en Libye…

Kallou taarefch El Ilm, Kallou nzid fih…

«Il est vrai qu’au niveau du contenu, le seul moyen d’avoir des informations sur les régions est de regarder le téléjournal, mais beaucoup reste à faire en matière de professionnalisme tant au niveau de la forme que du contenu. On n’accorde pas assez d’importance à l’image, et pour ce qui est d’informer : “Kallou taarefch El Ilm, Kallou nzid fih“ (on a demandé à quelqu’un s’il avait du savoir? Il a répondu, je peux même en rajouter…). Nous nous trouvons en face de journalistes qui prennent trop de position soi-disant pour être au goût du public. Ils oublient qu’il y a public et public. Nous voyons tout le temps des figures d’Ennahdha et du POCT à la télé», a avancé Khmaies Khayati, auteur et critique, qui s’est étonné de voir, qu’à l’occasion du report des élections de la Constituante, le journaliste s’est adressé à Kamel Jendoubi, président de l’Instance indépendante des élections et tout de suite après à Hamma Hammami qui approuvait le report. «Nous n’avons même pas eu droit à une déclaration de la part d’une personnalité qui désapprouve le report juste pour avoir l’avis et l’avis contraire»…

Pour Abderrazzek Tbib, membre du comité de rédaction du journal télévisé de 20h, les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent être: «Nous sommes passés de la dictature de Ben Ali à celle des mouvances politiques et du peuple, et il n’est pas facile d’y résister malgré toute notre bonne volonté». Tout d’abord, il y a eu ce passage brutal, d’un journal dirigé du et par le palais présidentiel, à celui totalement libre à s’en étourdir. C’est de temps que tout le monde a besoin pour gérer cette nouvelle liberté et surtout de formation. «Nous nous trouvons parfois face à des journalistes qui tombent dans les excès parce qu’ils n’ont pas une culture politique qui leur permette de juger les choses à froid en prenant du recul et en étant impartiaux et crédibles».

Des réponses pas trop convaincantes car elles privent le journaliste de son libre arbitre. Ceci même si elles expriment la réalité du terrain, un terrain où le chantage supporté par une équipe de journalistes, qui ont dû subir le joug de la dictature Abdelwaheb Adallah, est à ce jour aussi fort. Car, il y a une catégorie de public qui ne veut entendre que ce qui répond à ses propres penchants sinon elle devient diffamatrice. «Vous êtes toujours restés cette télévision mauve qui ne veut pas transmettre les malheurs du “peuple“ et autres propos accusateurs».

Pas de surenchères pour les professionnels

Reste qu’en matière de professionnalisme, il ne faut pas qu’il y ait des surenchères de quelque nature qu’elles soient. Et c’est ce manque de professionnalisme qui s’exprime quelquefois à travers notre téléjournal ou nos talk show. Et c’est ce qui a fait dire à une ancienne de la télévision: aujourd’hui, nous avons affaire à des Pechmergas et non à des journalistes de haute facture. «Nous pouvons aisément observer que la parole n’est pas équilibrée à la télévision nationale. Une grave erreur du point de vue de l’information, ce qui nous ramène en arrière du point de vue du pluralisme politique, nous avons presque affaire aux mêmes sources. Les temps impartis en matière de talk shows ou d’émission d’information ne couvrent pas l’ensemble des 5 à 6 courants politiques majeurs existant dans notre pays. Les indépendants sont pratiquement absents, les femmes à peine présentes (alors que la loi électorale appelle à la parité) sans oublier les libéraux qui ont leur mot à dire dans une économie de marché. La Tunisie est pourtant composée dans sa grande majorité d’une classe moyenne centriste qui appelle à un discours modéré, crédible et tempéré», a indiqué Salwa Charfi, professeur à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information et journaliste qui renchérit: «Le discours véhiculé à la télévision est démagogique, populiste et irréaliste. Il reflète les orientations politiques de deux grands courants salafistes. Un de gauche qui rappelle l’ère stalinienne et l’autre de droite qui rappelle l’époque où Al Maamoun à l’époque du Khalifat abbasside traitait tous ceux qui ont un discours éclairé de «zanadicas» et les emprisonnait. Ce n’est pas de l’information, c’est plutôt de la communication politique de bas étage».

Fatine Hafssi, journaliste du comité de rédaction du journal télévisé réfute de bout en bout ces accusations: «Il s’agit tout juste de moyens. Nous sommes impartiaux et nous voulons accorder autant d’espace aux uns et aux autres, le fait est qu’Ennahdha et le Poct savent mieux communiquer et s’imposent sur le terrain des médias en nourrissant les polémiques».

Reste que professionnels ou non, les médias ont dû subir pendant des décennies et de manière intentionnelle et étudiée une guerre sans merci de la part de l’ancien régime pour détruire leur crédibilité et les marginaliser tant au niveau des moyens mis à leur disposition qu’au niveau des formations qui leur sont dispensés et même en fragilisant sciemment leurs conditions de vie.

Parmi, ceux qui en ont le plus souffert, figurent les journalistes de la télévision nationale.

Comment remédier à cet état de fait?

Tout d’abord, en revoyant de fond en comble la formation dispensée par l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information. En développant les sessions de formation nationales et internationales et surtout en mettant en place une charte éthique pour le bon exercice du métier de journaliste dans le respect du droit du public à une information fiable et crédible.

«Ce qu’il nous faut au plus tôt, c’est une instance de régulation surtout avec l’approche des élections. La répartition du temps de parole entre les différents adversaires politiques doit être équitable. Il n’est pas normal qu’Ennahdha ait le temps de parole plus important. Toutes les tendances politiques doivent être représentées au journal télévisé comme cela se passe en France sur les télévisions publiques ou privées. Nous devons mettre tous les challengers sur la même ligne de départ et que le meilleur gagne», a pour sa part indiqué Samira Dami, rédactrice en chef au journal la Presse, qui a exprimé son étonnement de ne pas voir la question sur le financement des partis politiques mise sur le tapis et de ne voir aucune contestation médiatique ou officielle à propos du démarrage hâtif de la campagne électorale PDP.

C’est parce que plus de 90% des foyers disposent d’au moins un téléviseur en Tunisie que comme l’explique l’Unesco, la radio et la télévision constituent des outils fondamentaux pour rétablir le dialogue, restaurer la confiance des citoyens envers les institutions et les aider à participer à la vie publique.

A bon entendeur…