Tunisie : Lettre ouverte au gouvernement de transition

Par : Autres

gouvernement-transition-art.jpgLe plus grand tort de feu Habib Bourguiba fut de croire jusqu’aux derniers jours
de son règne qu’il était le plus intelligent des Tunisiens. Le plus grand tort
de Ben Ali était de croire qu’il était le plus fort et qu’il pouvait régner à
vie par la force et la terreur… Il a mis en place un régime caractérisé par la
brutalité, le mensonge, l’hypocrisie, la méfiance et les fausses apparences. Il
a cultivé la médiocrité à son image et à l’image de ses proches…

Aujourd’hui, il est grand temps de faire une vraie rupture avec les méthodes
anciennes. Il est temps de ne plus sous-estimer les compétences nationales,
notre première ressource. Il est temps de ne plus insulter l’intelligence du
peuple. Il est grand temps d’instaurer la confiance par la transparence et le
dialogue franc.

La crise politique actuelle que nous vivons est avant tout une crise de
confiance. Les décisions et les choix discutables d’après le 14 janvier ont
largement contribué à semer le doute dans l’esprit de la majorité des Tunisiens
et à installer un climat de méfiance. La composition du premier et du deuxième
gouvernements de transition qui ont donné lieu à beaucoup de suspicions et de
spéculations (manœuvres du RCD, ingérence de la France et des Etats-Unis, …), la
nomination des nouveaux gouverneurs, la composition de la Commission nationale
sur la corruption avec des membres entretenant d’étroites relations
professionnelles avec les principaux suspects!

Tous les patriotes sont conscients des responsabilités et veulent relever le
défi de réussir la révolution sur les plans économique, social et politique.
Cependant, ils ont juste besoin d’être rassurés et d’avoir des garanties réelles
de ne pas revenir en arrière…

Monsieur le Premier ministre, en tant que chef d’orchestre de ce gouvernement de
transition, votre crédibilité est fonction de vos actes. Vous avez la lourde
responsabilité de faire oublier les Tunisiens le despotisme, les coups bas, les
malheurs … de l’ancien gouvernement que vous aviez la responsabilité de diriger,
avec une faible marge de manœuvre, certes. Vous êtes prié de mettre fin à la
tergiversation et de prendre des mesures audacieuses pour l’intérêt de la
nation, à la hauteur des aspirations du peuple et répondant à leurs vraies
attentes, sans aucune autre considération.

Monsieur le ministre auprès du Premier ministre, chargé des Réformes économiques
et sociales et de la Coordination avec les ministères concernés
, en tant que
professeur de mathématiques, aux compétences reconnues à l’échelle mondiale,
vous savez mieux que quiconque que le résultat est la somme de Processus et
Ressources. C’est-à-dire qu’il faut une bonne organisation, des processus
efficaces et des ressources adaptées pour atteindre de bons résultats. Je ne
vous apprends rien en vous disant qu’un énorme travail vous attend pour faire
des réformes dans une administration jusque-là sclérosée par un formalisme
aveugle et paralysée par les «valeurs du bilique» instaurées depuis un
demi-siècle. Votre principal défi serait d’abord de mettre à niveau
l’administration par:

· une restructuration en profondeur et une réorganisation des processus,

· une véritable adéquation des profils et des emplois, en se basant sur le
mérite comme unique critère,

· l’instauration d’une nouvelle culture et d’un nouvel état d’esprit favorisant
le respect du contribuable (gouverné), principal client de l’administration et
la raison d’être de services qu’elle fournis,

· l’instauration de véritables partenariats public-public et public-privé
favorisant la communication et catalysant le progrès et le développement.

Monsieur le ministre de l’Intérieur, parce que le peuple avait besoin de
transparence, vous avez réussi, sans faire de populisme, à imposer le respect et
à gagner la confiance et la sympathie de la grande majorité. Malgré le choc subi
suite à la nomination récente des gouverneurs, le peuple continue à vous
soutenir parce qu’il a cru et compris que vous étiez manipulé par certains qui
vous ont présenté des candidatures sous l’angle compétences en développement
régional et local. Si ces personnes avaient réellement des compétences en
matière de développement, pourquoi elles avaient attendu jusqu’à aujourd’hui
pour exercer leur talent? Pourquoi avoir attendu que deux tiers des régions du
pays arrivent à ce niveau de pauvreté et de marginalisation?

Monsieur le ministre, vous êtes prié de continuer votre opération de nettoyage
des structures avec détermination et audace et l’histoire retiendra que vous
aviez contribué à l’édification de la Tunisie libre et démocrate malgré les
risques et les obstacles. Vous êtes priés de revoir rapidement les structures
locales, les délégations et les conseils municipaux, amenés à jouer des rôles
déterminants dans le processus démocratique et dans la stabilité sociale et
politique.

On vous supplie de poursuivre votre œuvre de démantèlement du RCD et de mettre
fin à son pouvoir de nuisance. Par ailleurs, si on s’accorde que les milices du
RCD jouent encore un rôle dans l’instabilité du pays, pourquoi ne pas paralyser
leurs mouvements en arrêtant les personnes suspectées d’être les têtes pensantes
et enquêter avec elles?

Monsieur le ministre du Développement régional et local, la grosse erreur de Ben
Ali, considérée à mon sens comme étant le premier élément déclencheur du
processus de sa chute, fut sa mauvaise gestion des évènements de Gafsa en 2008.
La politique du pompier très court-termiste suivie à Gafsa comme à Sidi Bou Zid
au début du soulèvement n’a fait qu’aggraver les situations et donner des idées
à d’autres régions pour se soulever… Le résultat nous le connaissons.

La politique de développement régional doit être globale et axée sur des
principes de développement durable et équitable, tout en intégrant différents
secteurs économiques et faisant participer toutes les forces vives des régions
au processus depuis la conception de la stratégie jusqu’à l’évaluation des
résultats. Il est vrai que vous êtes nommé pour une période courte ne permettant
pas d’aboutir à des résultats concrets. Mais vous êtes tout de même prié
d’initier le processus dans les différentes régions, tout en rassurant les
citoyens quant à leur avenir, en leur donnant de l’espoir grâce à des actes et
des mesures et non en faisant du populisme…

Messieurs les ministres et secrétaires d’Etat, vous avez la lourde
responsabilité de conduire le changement dans un délai relativement court. Vous
êtes l’équipage du navire Tunisie et vous êtes tenus de l’amener à un havre de
paix, de liberté, de démocratie et de stabilité, malgré les conditions
climatiques désavantageuses, les obstacles et la présence de «piraterie» de tous
bords. Avec la médiocrité cultivée par l’ancien régime, vos ministères souffrent
de l’inertie instaurée par des hauts fonctionnaires incompétents dont le rôle se
résume à l’application des instructions venant d’en haut sans discussion. Des
cadres supérieurs qui se sont démunis de tout pouvoir de réflexion, de toute
latitude de suggestion et de toute possibilité de critique des décisions, et qui
se sont dressés contre l’émergence des compétences et des talents pour assurer
leur propre pérennité…

Pour éliminer les dysfonctionnements dans vos départements et assurer
l’obtention des résultats garantissant la croissance, vous êtes priés de revoir
les structures en optant pour la méritocratie. Vous êtes suppliés de faire
participer activement vos cadres, le secteur privé et la société civile à la
réflexion, à la recherche de solutions et à la prise de décisions.
L’administration a besoin plus que jamais de cadres et de dirigeants qui
assument pleinement leurs responsabilités et non pas de simples exécutants des
ordres et des instructions. Nous avons besoin d’interlocuteurs valables,
capables de résoudre des problèmes et de décider à leurs niveaux et non des
personnes avec des titres, mais sans envergure…

Messieurs, la Tunisie, son peuple et son avenir sont entre vos mains. Nous ne
doutons guère de votre patriotisme, ni de vos compétences. Nous vous demandons
plus de transparence, d’audace et de confiance. Nous sommes tous solidaires avec
vous pour mener votre mission et atteindre les objectifs.

Vive la Tunisie libre et prospère.