Chokri Mamoghli, Secrétaire d’Etat au Commerce extérieur : «Le nouveau projet de loi sur le Commerce extérieur est révolutionnaire parce qu’il sacre la libre circulation des biens»

chokri-mamoghli-220.jpgConstruire le futur non seulement du commerce mais également celui des rapports avec les différents partenaires. Se renouveler encore et toujours pour le bien du secteur et celui du pays, c’est sur cela que ceux qui veillent aux destinées du ministère du Commerce et de l’Artisanat, planchent chaque jour que Dieu fait. L’assurance d’une économie vient de sa capacité à s’adapter aux mutations à l’échelle tant locale qu’internationale.

La révision de la loi sur le Commerce extérieur arrive à point nommé pour le dire et le prouver. Avec Chokri Mamoghli, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, nous discutons du plus qu’apporterait la nouvelle loi, mais également du développement des échanges commerciaux avec des partenaires internationaux de plus en plus nombreux, et de l’approvisionnement du  pays en matières premières.

Entretien.

Webmanagercenter: La Tunisie projette de réviser la loi sur le commerce extérieur qui s’attaque à deux axes importants, la consolidation de la compétitivité et l’amélioration de l’environnement des affaires.  Sur le plan pratique, qu’apportera la nouvelle loi aux opérateurs privés ?

Chokri Mamoghli: Lorsque les cadres légaux deviennent permissifs et incitatifs, les choses évoluent rapidement et positivement. Les opérateurs jugent selon leurs intérêts. Ceci étant, il ne faut pas oublier que la loi est encore au stade de projet et n’a pas encore été soumise au Conseil des ministres. Elle sera discutée à la rentrée et nous aurons toute une année pour préparer et les textes d’application et la communauté des hommes d’affaires et l’opinion publique par une communication conséquente.

Comme auparavant pour la loi sur le commerce et la distribution, nous organiserons des campagnes de sensibilisation à l’échelle nationale.

 A l’échelle internationale, nous escomptons demander à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), une révision de notre politique commerciale. Cette révision nous permettra d’obtenir un meilleur «rating» (notation), mieux que celui que nous avons et qui est déjà avantageux. Mais nous estimons que, vu les nouvelles dispositions révolutionnaires que nous comptons introduire dans la loi, avoir droit à plus.

Qu’est-ce qui est révolutionnaire dans cette nouvelle loi?

Il n’y aura pratiquement plus de produits soumis à une licence d’importation, tout sera libre. L’opération d’importation sera considérée comme une simple opération d’achat. L’opérateur aura la possibilité de s’approvisionner à l’échelle locale ou internationale sans aucune contrainte. Pareil pour l’exportation, il n’y aura plus de distinction entre l’importation et l’exportation.

Un aspect important de cette loi concernera le contrôle technique destiné à la préservation de la santé et la sécurité des consommateurs, lesquels, du reste, ne seraient pas menacés que par les produits importés, ceux produits localement peuvent être aussi dangereux.

Le contrôle technique, selon le nouveau projet de loi, ne fera plus partie des prérogatives du commerce extérieur. Dans l’état actuel des choses, il pourrait induire les observateurs étrangers en erreur leur donnant la fausse impression que nous mettons des obstacles à la commercialisation de leurs produits dans notre pays. Désormais, ils seront traités au même titre que les produits locaux soumis à la loi pour la protection du consommateur.

Quels seront les produits exclus de cette libéralisation totale des opérations d’import/export ?

Une centaine de produits qui toucheraient à la sécurité nationale, l’ordre public, la morale ou la sécurité économique.

Avez-vous mis en place un programme pour la formation du personnel exécutant aux dispositions de la nouvelle loi ?

La politique de l’Etat en la matière est articulée autour de deux axes : premièrement, le renforcement du nombre de laboratoires qui procèdent au contrôle technique, et, deuxièmement, le développement des moyens dont ils disposent en mettant un programme de mise à niveau chapeauté par le ministère de l’Industrie et de la Technologie. Nous voulons implanter des laboratoires sur le territoire national, pas seulement publics mais également privés s’ils sont certifiés et nous ambitionnons l’amélioration des prestations rendues par ces laboratoires. Particulièrement la réduction des délais, hormis les tests en laboratoires qui nécessitent une durée de temps précise et qui ne peut être en aucune façon réduite.

Dans le nouveau projet de loi, on parle également de plus de transparence pour l’amélioration du climat d’affaires. Qu’entendez-vous par cela ?

La transparence dans ce cas implique que tout refus doit être justifié. Ne pas rester dans l’opacité et ne pas se cacher derrière la hiérarchie. A chaque fois qu’un opérateur essuie un refus, il doit pouvoir savoir qu’elles en sont les raisons.

Pour revenir à l’approvisionnement du pays en céréales, qu’en est-il concernant cette année ?

Nous importons aussi bien du blé dur que du blé tendre, d’Ukraine que du Canada, un petit peu d’Australie et d’Amérique Latine, sachant que nous sommes en moyenne autosuffisants à raison de 70% en blé dur et qu’en blé tendre, nous sommes autosuffisants à hauteur de 10 à 20%. Ceci étant, cette année les conditions climatiques difficiles n’ont pas œuvré pour de grandes récoltes en blé dur.

Toutefois, grâce à la baisse des cours mondiaux, nous avons importé dans de bonnes conditions de marché. La tonne de blé tendre -qui représente pour nous la référence- nous a coûté, tous frais compris, 190 $ alors qu’il y a quelques années, elle avait atteint les 350 $.

Comment s’explique, dans ce cas, l’augmentation du prix du pain et dérivés ?

Même si la tonne de blé tendre nous coûtait 100 ou 50 $, les prix resteraient toujours aussi valables. Ces produits sont très fortement subventionnés, le gros pain dans notre pays, selon les cours mondiaux, est subventionné à hauteur de 100 millimes, il est vendu à 250 millimes et coûte en réalité 350 millimes. La baguette est aujourd’hui subventionnée à hauteur de 20 millimes.

Devons-nous nous attendre à une augmentation des prix du sucre également ?

Le sucre reste subventionné dans notre pays  mais pas par la Caisse générale de compensation, qui subventionne uniquement les produits céréaliers et leurs dérivés.

Justement, allons-nous vers la disparition de la Caisse générale de la compensation ?

Jamais. La politique de l’Etat est construite autour de deux fondamentaux: l’efficience économique et la justice sociale. Nous sommes une société solidaire. Nous ciblons la consommation des ménages et, dans la mesure du possible, ceux à revenus faibles ou moyens. Nous tenons à préserver le pouvoir d’achat de la classe moyenne qui est la plus importante dans notre pays. C’est une constante de la politique tunisienne, elle figure d’ailleurs dans le Programme présidentiel (2009-2014).

Comment réussissez-vous à cibler une catégorie de la population plutôt qu’une autre ?

Par la multiplication des contrôles, par exemple, les gros pains fortement subventionnés ne peuvent pas être acquis par les opérateurs dans le secteur touristique, para-touristique ou la restauration. Nous mettons également sur le marché une variété de produits de pain pour que les classes sociales favorisées puissent se procurer ce qu’elles désirent.

Quels sont les produits importés qui coûtent le plus cher et qui pèsent lourd sur le budget de l’Etat ?

L’Etat n’est plus un producteur, il opère dans très peu de secteurs. Nous importons pour le compte du secteur privé qui a besoin d’intrants, de matières premières et de produits semi-finis. Ces opérations sont réalisées à travers nos trois offices: Office des céréales, Office de l’Huile et l’Office du Commerce pour le sucre. Ce sont des produits qui pèsent lourd dans la balance alimentaire.

Hormis les hydrocarbures, l’Etat n’importe plus rien pour ce qui est des autres secteurs tel celui des textiles, ou des industries manufacturières.

Sommes-nous auto-suffisants en fruits et légumes ?

Nous sommes même des exportateurs sur le Bassin méditerranéen, l’Union européenne, la Libye, l’Algérie à un moindre degré, de plus en plus les pays du Golfe.

La liste de produits prédéfinis mis en place par l’Algérie pourrait-elle affecter nos exportations vers ce pays ?

Je voudrais, avant d’aborder l’historique de nos accords commerciaux avec l’Algérie, préciser que ce pays est souverain dans la prise de décisions en rapport avec ses intérêts nationaux au même titre que la Tunisie n’admettrait pas que l’on intervienne dans ses choix.

Ceci étant, je voudrais rappeler que nous avons signé avec ce pays un accord préférentiel à la fin de l’année 2008 avant même que l’Algérie n’adhère à la zone arabe de libre-échange au début  2009. A l’époque, nos échanges commerciaux étaient soumis à l’Accord arabe de libre-échange. Quand l’Algérie s’est retirée de cet accord, nos échanges se sont poursuivis sur la base de l’accord préférentiel.

L’accord avait pris en compte les intérêts mutuels des deux pays ainsi que les spécificités des échanges entre eux. Nous ne pouvons donc pas dire que nous avons été touchés par la décision de l’Algérie de définir une liste de produits à importer des pays arabes.

Mise à part l’Europe avec laquelle nos échanges commerciaux s’élèvent à entre 65 à 70%, quels sont nos partenaires commerciaux les plus importants de par le monde ?

La Libye et l’Algérie avec lesquelles nos échanges évoluent de manière exponentielle; étant entendu que la Libye est notre quatrième fournisseur, se plaçant ainsi devant nombre de pays européens.

Avec l’Algérie, les opérations d’importation/exportation dépassent le milliard de dinars, avec la Libye, elles sont plus de deux milliards de dinars. Sachant que nous importons chaque année, tous pays confondus, pour 30 milliards de dinars et nous exportons pour environ 25 milliards de dinars. 5 à 6% de nos échanges se font avec nos deux pays voisins. Les autres pays sont le Maroc et l’Egypte. Nous développons nos échanges avec les pays arabes nord-africains au sens large, Mauritanie comprise.

L’autre zone est l’Afrique subsaharienne sur laquelle nous sommes de plus en plus présents, commercialement, et particulièrement dans le secteur des services.

Et l’Asie, et  les Amériques, sachant qu’un marché tel que celui des Etats-Unis offre un potentiel important à un pays comme la Tunisie. Avons-nous les moyens de nous exporter sur ces marchés?

Nous voulons développer nos échanges avec toutes les régions du monde, et précisément avec les USA et le Canada. Récemment, lors d’un déjeuner-débat avec l’ambassadeur du Canada, j’ai manifesté la volonté de notre pays de conclure un accord de libre-échange avec le Canada, pareil pour les Etats-Unis. Nous sommes tout à fait disposés à entrer en négociations pour un accord de libre-échange. Sachant que le cadre légal actuel avec les Etats-Unis ne nous pénalise pas du tout puisque le système généralisé de préférence nous donne la possibilité d’exporter en exonération totale de droits de douanes et nous profitons de ces avantages.

Nous sommes, toutefois, demandeurs de négociations afin d’établir un accord de libre-échange ou du moins d’un accord préférentiel avec les Etats-Unis qui serait un peu plus élargi que le cadre actuel, ce qui est valable pour d’autres pays et d’autres régions comme l’Amérique latine. Nous sommes en contact avec les autorités argentines, brésiliennes également, afin de conclure des accords de libre-échange, et avec l’Asie du Sud-est. Pour ce, nous tenons compte de la structure de nos échanges et de nos moyens humains.

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