…et les prospectivistes s’approprient le futur

Par : Autres


…et les prospectivistes s’approprient le futur

 


Entretien avec
Michel Godet, prospectiviste.

 

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Dans un monde déboussolé,
la prospective est elle le dernier instrument à la mode pour prédire
l’avenir ?

Tout sauf çà. Car l’avenir n’est
écrit nulle part, il reste à faire. Ceux qui disent le contraire sont des
imposteurs. A contrario, la prospective s’oppose à toute forme de
déterminisme, de la futurologie au libéralisme économique pur et dur qui
suppose que “la main invisible du marché” fasse la loi. Nombre d’économistes
et de modélisateurs rêvent même de mettre le monde en équation afin de
prédire le futur de façon certaine. En définitive, ils envisagent un
scénario unique à partir duquel on pourrait dégager des tendances autour
desquelles la société devrait fatalement se structurer. Attitude d’esprit
indisciplinée où l’on essaie d’agir dans le présent en fonction d’un projet
désiré pour le futur, la prospective est autonome face à des avenirs
multiples et indéterminés. Sa prétention n’est donc pas d’éliminer les
nombreuses incertitudes économiques, technologiques et sociales, mais bien
plutôt d’anticiper les menaces et les opportunités qu’elles portent en elles
afin de corriger la route tout en maintenant son cap. Il s’agit en quelque
sorte de s’approprier le futur au lieu de se contenter de le subir
passivement. Et puis, penser l’avenir autrement, c’est déjà changer le
présent.

 

Vous contestez la
prévision économique classique ?

Les prévisions ne sont jamais
que des représentations quantitatives qui modélisent, non saris
subjectivité, des données du passé pour donner une traduction unique de la
réalité. Elles sont nécessairement sujettes à toutes sortes d’erreurs
d’analyse: inexactitude des données de base, instabilité des modèles dans le
temps, insuffisance d’informations, interprétations erronées.

 

Le passé sur lequel s’appuient
les prévisions n’est il pas aussi incertain et multiple que l’avenir ? Tout
dépend de la grille de lecture qu’on en donne. Ainsi, Napoléon est un héros
chez nous et présenté comme un “boucher” dans certains pays européens.
D’autre part, depuis 1973, avec l’accélération du changement, les
comportements des acteurs économiques ne sont plus conformes aux schémas
rationnels classiques, et donc les scénarios d’avenir s’écartent de plus en
plus des modèles passés. Enfin, en simplifiant la réalité à l’extrême pour
la faire entrer dans un modèle mathématiques, on risque de transformer le
dit modèle en schéma déformant de cette réalité.

 

Mon objectif n’est pas pour
autant de jeter aux oubliettes les acquis des prévisions chiffrées, mais de
les replacer dans le d’hypothèses à long terme qui doivent a fortiori être
stimulées et  chiffrées pour être crédibles. En tout cas, quelle que
soit l’approche adoptée, tout raisonnement doit répondre à quatre conditions
: pertinence des questions, cohérence des réponse, vraisemblance,
transparence des sources et des résultats. Reposant sur une vision
malthusienne de la réalité, les conclusions des experts du Club de Rome
avaient peut être le mérite d’être transparentes, mais elles n’étaient ni
pertinentes, ni cohérentes, ni vraisemblables. Maurice Allais explique que «
tout progrès réel se heurte à la tyrannie des idées dominantes des
establishments dont elles émanent.»

 

En fait, vous remettez la
planification au goût du jour ?

Trop souvent, le libéralisme,
assimilé au laisser-faire des forces du marché, conduit à subordonner
l’action à la réactivité soi-disant stratégique. Pourtant, s’adapter en
permanence aux turbulences de l’environnement ne conduit nulle part et ne
peut tenir lieu de stratégie. En réalité, il faut non seulement se préparer
aux changements attendus (pré-activité), mais aussi provoquer les
changements souhaités (pro-activité) et donc restaurer l’idée de projets et
de plan. Un retour en force de la planification libérée de ses corsets
bureaucratiques me paraît indispensable pour continuer à s’adapter aux aléas
de l’environnement, tout en retrouvant un sens à l’action, c’est-à-dire une
finalité et une signification.

 

 

Propos recueillis par C A T H
E R I N E  L É v I

SCIENCE & VIE ECONOMIE N°76 –
Octobre 1991

 

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Michel Godet est
professeur au Conservatoire national des arts et métiers (chaire de
prospective industrielle) et consultant auprès de nombreux entreprises (EDF,
Chanel, Sollac etc.). Il est l’auteur de L’Avenir autrement, Armand Colin,
février 1991, De l’Anticipation à l’action, manuel de prospective et de
stratégie, Dunod, et Crise de la prévision, essor de la prospective, Puf,
1977.

 

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Webmanagercenter – Management & Nouvelles Technologies -15/05/2004 à
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