Le réveil sonne à 6h30, le fonctionnaire baille en s’extirpant difficilement de dessous la couette et s’en va en titubant pour se laver les dents, se raser, s’habiller, mettre sa chemise bien repassée par sa femme -elle aussi fonctionnaire-, noue sa cravate, cire ses chaussures et se met d’aplomb dans son costume devant la glace et se donne un dernier coup de peigne pour démarrer une nouvelle journée.

Ensuite, il rejoint sa moitié qui, elle, est déjà allée réveiller les enfants, avale avec eux le petit déjeuner et, une heure plus tard, mettent le moteur en route de la petite auto achetée à crédit dont il ne reste que quelques traites à payer. Et après avoir déposé les petits à la garderie, sa femme a son bureau et il rejoint le sien juste à l’heure pour signer la feuille de présence… et s’y installe jusqu’à l’heure où il faut re-signer pour retourner au bercail…

Tout ceci pour continuer cet immuable rituel qu’il pratique tous les jours depuis plus de dix ans et environ 250 jours par an, et il continuera son train-train durant plus de trente ans. Il démarrera dans la fonction publique simple employé terminera sa carrière comme sous-chef de service et prendra sa retraite et retournera chez lui vieillir avec sa douce moitié en donnant des conseils à ses trois enfants qui ont grandi et sont devenus fonctionnaires et épousé à leur tour des fonctionnaires…

Tout cela jusqu’au jour où le seigneur voudra le rappeler auprès de lui, il sera enterré dans un cimetière entre deux fonctionnaires aussi inconnus que lui, et s’il a de la chance, il le sera pas loin du tombeau de son regretté père lui-même ancien fonctionnaire…

Faut-il rappeler que cette endémie naturelle en Tunisie est liée au fait que ce pays, à l’indépendance, est parti de presque rien et que, pour former son peuple, il l’a nourri, lui a accordé des bourses, l’a formé et l’a recruté pour développer le pays et former d’autres citoyens.

Mais aujourd’hui le mécanisme s’est saturé et s’est enrayé, le système s’est déréglé et s’est mis à former des analphabètes bilingues et des chômeurs et des chômeuses sans aucune ambition si ce n’est de chercher à se caser dans un des milliers de bureaux que compte notre administration. D’ailleurs, les adeptes du gourou l’ont bien compris et ont développé ce concept jusqu’à saturation, et aujourd’hui ils ont réussi l’impensable d’avoir plus de fonctionnaires que de bureaux!

Conséquence directe de cette situation absurde, les couloirs deviennent de plus en plus embouteillés où se croisent ceux qui arrivent en retard et ceux qui partent avant l’heure, les salles de réunions surchargées et avoir des taux d’occupation qui feraient rêver plus d’un hôtelier. Aujourd’hui l’importance d’un fonctionnaire se mesurera au nombre de jours qu’il pourra utiliser pour bloquer –pardon je voulais dire étudier- un dossier urgent auquel on est sûr qu’il manquera toujours un papier que doit émettre un autre fonctionnaire…

Ce papier pourra durer des pages et des pages, et encore heureux qu’il y aura un fonctionnaire pour en réduire la taille pour qu’il puisse rentrer dans le moule créé par mon patron!