Des hommes d’affaires arrêtés pour des « délits financiers », dont certains se sont intégrés dans la démarche de la réconciliation pénale. Des cadres bancaires mis sous pression pour avoir voulu faciliter des opérations bancaires ou accompagner des entrepreneurs dans leurs investissements y compris ceux qui ont accordé des crédits de campagne, une pratique courante et non criminelle ! La Tunisie qu’on disait aux années 2000 le dragon de l’Afrique renvoie aujourd’hui l’image d’un pays peu clément pour ses compétences et ses créateurs de richesses !

Que se passe-t-il ? Pourquoi cet acharnement de la justice, du ministère des Finances, de certains médias et d’une partie de la population contre la communauté d’affaire ?

Serait-ce une réaction au népotisme de l’ère Ben Ali ou la conséquence des discours des apprentis politiciens qui ont pris le pouvoir depuis 2011 et lesquels ont laissé libre cours à leurs rancœurs, leur haine, leur envie et leur vindicte ?

Le titre de cet article reflète le sentiment d’une grande partie de la communauté d’affaires tunisienne. C’est la réponse d’un jeune homme d’affaire à une question sur le climat d’affaires en Tunisie. L’opérateur rencontré au retour d’une mission en Italie à Ecomondo, une des plus grandes foires internationales sur l’Economie verte et circulaire, a avoué être abasourdi par ce qu’est devenu le statut d’homme d’affaire en Tunisie : « presqu’un délit »!

En Tunisie, plus on évolue dans le formel, dans l’officiel, plus on respecte les cadres institutionnels plus on est visé par l’appareil de l’Etat ! Il est devenu fréquent que voulant récupérer la T.V.A, on réagisse par un redressement fiscal !  Ceux qui ont choisi l’informel ont la vie belle ! On ne peut appliquer la loi sur des hors la loi !

Solliciter l’Administration publique pour raccourcir les délais, activer les procédures ou finaliser un dossier relève aujourd’hui de l’acte héroïque. On doit avoir du souffle, apprendre à se « la boucler » et ne pas provoquer ceux qui détiennent « notre destin entre leurs mains » !

Quel malheur que de passer du racket de certains gouvernants corrompus de l’ère d’Ennahdha et Youssef Chahed à une « extorsion » expliquée, justifiée par force de loi !

Sévir contre les corrompus ne doit pas nuire à l’investissement et à l’image du site Tunisie !

Lorsque l’Etat perd le sens de la justice sous couvert de lutte contre la corruption, on réalise, tout d’un coup, à quel point les 10 ans d’Ennahdha et de ses alliés l’ont perverti et ont déstructuré et altéré ses institutions.

Le gouvernement Saied réussira-t-il à rétablir la justice, l’équité, la confiance et la sécurité ?

Aujourd’hui la guerre qui doit être livrée devrait l’être au système débauché en profondeur depuis des décennies et qui a une grande capacité d’adaptation et même de transmutation.  Il résiste, s’adapte et s’améliore, ses acteurs se protégeant par une espèce d’union sacrée ! Les quelques hommes d’affaires visés par une vendetta nationale ne sont que la partie apparente de l’iceberg mais les mauvaises pratiques, la corruption et le népotisme, l’ont touché jusqu’à la moelle et ce ne sont pas des dizaines ou des centaines d’arrestations qui changeront la donne !

Car pendant que certains applaudissent la chute des têtes, le moteur de l’investissement tombe en panne, les entreprises malmenées par une administration frileuse ou revendicatrice s’enfoncent plus dans leurs difficultés annonçant pour certaines le licenciement d’une partie du personnel et pour d’autres carrément la faillite quant aux prétendants aux nouveaux projets, ils réfléchissent à mille fois avant d’investir dans un pays où ils ne sont pas en odeur de sainteté et où ils peuvent être pourchassés pour n’importe quel prétexte !

Le site Tunisie était pourtant très convoité !

Personne ne peut s’opposer à l’application de la loi contre les coupables d’évasion fiscales, les corrompus ou ceux qui s’adonnent à des pratiques douteuses. Encore faut-il que les juges n’usent pas de leurs pouvoirs discrétionnaires pour interpréter à leur guise les articles de loi pour justifier leurs décisions d’arrêter de grands acteurs dans le secteur privé !

Une enquête menée par l’Institut national des Statistiques illustre à quel point le capital confiance des industriels dans l’Etat et ses politiques est érodé. Commentaire de l’économiste Hechmi Alaya : « Les dirigeants d’entreprises tunisiennes souffrent un affaissement important de la demande aussi bien intérieure qu’extérieure et ont dû dégraisser leurs effectifs et utiliser moins qu’auparavant leurs capacités de production ».

Hechmi Alaya parle d’un pessimisme qui frappe toutes les activités industrielles et qui ne risquent pas de disparaître d’ici la fin de l’année. Le même Hechmi Alaya parle aussi de la baisse de l’investissement agricole pour la 6ème année consécutive.

La perte de confiance = désinvestissement !

La perte de confiance, l’absence d’investissement, la désindustrialisation, le départ de centaines d’investisseurs nationaux et étrangers pour s’établir sous des cieux plus cléments, le changement de statut de l’on shore pour l’offshore avec des résidences à Dubaï et des titres de séjour à la clé ne semblent pas émouvoir outre mesure la ministre des Finances devenue aujourd’hui aussi celle de l’Economie par intérim et encore moins les décideurs publics !

Du moment que certains s’éclatent au rythme de nouvelles arrestations dans les milieux d’affaires, tout paraît acceptable, tout paraît tolérée et en prime le zèle des magistrats à émettre des mandats d’arrêt faisant de l’emprisonnement une règle et de la liberté une exception !

A quoi rime la création d’une commission nationale de réconciliation si ceux qui négocient peuvent être arrêtés ?

Au rythme où vont les choses, on risque fort de voir le nombre des arrestations dépasser celui des investisseurs alors que comme l’explique la magistrate Jaouida Guiga : « On s’oriente partout dans le monde et très activement en Afrique du Nord à dépénaliser les infractions financières usant d’outils coercitifs touchant les patrimoines et les biens des contrevenants. On a entamé un processus pour la dépénalisation des chèques sans provision, pourquoi ne pas étendre cette logique aux autres délits financiers ? ».

Le cycle de diabolisation des hommes d’affaire et de leur emprisonnement depuis 2011 n’est pas près de finir à voir l’empressement des juges à décider des détentions ! L’image de la Tunisie n’en finit pas de se dégrader mais on continue sur la même lancée comme si la destruction de l’économie nationale, dont le fer de lance est le secteur privé, est programmée, voulue !

En Algérie, où on a réalisé que les caisses de l’Etat ne seront pas remplies par les campagnes coups de poing des redressements fiscaux et des menaces, on a procédé à la dépénalisation de certains actes de gestion des entreprises afin de lever tous les obstacles qui entravent l’opération de leur gestion, rassurer leurs gérants et encourager les investisseurs à s’y implanter en toute sécurité.

«La loi sur l’investissement consacre le principe de la liberté de commerce et d’investissement aux opérateurs algériens et étrangers en leur assurant toutes les garanties et les facilitations pour accéder au monde des affaires en Algérie, sur un pied d’égalité notamment après les mesures prises pour garantir un climat adéquat à l’exercice de leurs activités et au transfert de leurs bénéfices dans une transparence totale garantie par la loi et par les instances créées à leur tête l’Agence algérienne de promotion de l’investissement (AAPI)» a déclaré le Président Tebboune lors d’un séminaire international sur le rôle de l’avocat dans l’accompagnement de l’investissement et le règlement des litiges.

En Tunisie, c’est en 1972, que fût promulguée la fameuse loi 72 portant création d’un régime particulier pour les industries produisant pour l’exportation suivie de la création de l’Agence de Promotion des Investissements (API).

Mais le destin de la Tunisie est peut-être d’être née grande par la vision et la clairvoyance de ses pères fondateurs et de se rétrécir au fur et à mesure que leurs héritiers du pouvoir décident de ses politiques et de ses stratégies socioéconomiques et de ses politiques qui ne paraissent pas être des plus brillantes !

Amel Belhadj Ali