Malgré la démocratisation de l’accès aux études supérieures, l’enseignement universitaire tunisien reste prisonnier de ses défaillances. Les réformes promises depuis plus d’une décennie peinent à dépasser le stade de l’annonce, laissant étudiants, enseignants et chercheurs dans une désillusion croissante. Karim Ben Kahla, enseignant universitaire a fait le point sur l’enseignement en Tunisie dans le cadre d’une étude réalisée par la Banque mondiale.
Le diagnostic élaboré par les experts de la Banque mondiale s’articule autour de six volets : l’efficacité interne et la maîtrise des coûts, l’efficacité externe et les relations avec l’environnement, la fonction enseignement, la fonction recherche, l’organisation institutionnelle et les problèmes de financement ainsi que l’efficacité interne et la maîtrise des coûts.
Pour les experts, le seul élément maîtrisable par le ministère de l’enseignement supérieur en Tunisie est la répartition des cohortes par filière.
Répartitions adossés sur les scores du bac. Une pratique plus handicapante que valorisante car dans nombre de pays, on commence à réaliser qu’ils ne devraient pas être les seuls déterminants dans le choix d’une filière universitaire.
Nombre d’indicateurs clés combinés à d’autres facteurs, sont aujourd’hui pris en compte pour orienter le bachelier vers la voie la plus appropriée. Son parcours, ses intérêts personnels, ses aptitudes, ses objectifs de carrière, ainsi que les spécificités du diplôme et les exigences des universités sont des éléments cruciaux qu’on considère.
Depuis le début des années 2000, la Tunisie a multiplié les inscriptions à l’université, dans une logique de démocratisation et de massification. L’État, mettant le social au summum de ses préoccupations -ce qui n’a pas changé à ce jour- n’a pas su accompagner cette massification par des investissements adaptés.
Aujourd’hui, les universités du pays se débattent avec des infrastructures saturées. Les amphithéâtres accueillent parfois deux à trois fois leur capacité initiale, les laboratoires sont mal équipés, et les bibliothèques n’ont pas été renouvelées depuis des décennies.
Un déficit qui compromet la qualité de la formation et dissuade de nombreux jeunes chercheurs de s’engager dans une carrière académique. Pire, les formations universitaires ne répondent pas forcément aux exigences du marché du travail. Pendant longtemps, on a parlé de “surdiplômés, sous qualifiés”.
Une formation déconnectée des besoins économiques
La deuxième faille qui ne date pas d’aujourd’hui, réside dans l’inadéquation entre l’offre universitaire et le marché du travail. Chaque année, des dizaines de milliers de diplômés sortent du système avec des profils peu adaptés aux réalités économiques.
Les filières littéraires et théoriques qui avaient longtemps dominé laissent un triste héritage dont les détenteurs de doctorats chômeurs depuis des années. Selon les dernières estimations, près d’un tiers des jeunes diplômés tunisiens sont au chômage. L’université, censée être un ascenseur social, devient ainsi un facteur de frustration et d’exclusion.
Des réformes sans cap clair
Depuis 2011, les gouvernements successifs ont multiplié les annonces de réforme du système universitaire. Mais ces projets restent largement inaboutis. Souvent dictés par des contraintes budgétaires ou par des pressions internationales, ils ne s’appuient sur aucun diagnostic partagé avec les acteurs du terrain.
L’université tunisienne navigue ainsi à vue, oscillant entre promesses non tenues et ajustements technocratiques déconnectés des réalités sociales et économiques.
Autonomie universitaire : un mirage
L’autonomie des universités est régulièrement brandie comme un objectif prioritaire. Mais dans les faits, elle reste largement théorique. Une grande partie des établissements demeurent sous une tutelle administrative stricte, où chaque décision – qu’il s’agisse de recrutement, de gestion budgétaire ou de coopération internationale – doit passer par des procédures bureaucratiques lourdes.
Cette rigidité institutionnelle empêche toute dynamique d’innovation pédagogique et creuse le fossé avec les universités étrangères, plus flexibles et plus compétitives.
Enseignants marginalisés et démotivés
Les enseignants-chercheurs, pourtant piliers du système, sont largement marginalisés dans l’élaboration des réformes. Beaucoup dénoncent une bureaucratie rasante, des salaires peu attractifs et une absence de reconnaissance de leur rôle.
Ce manque de valorisation entraîne des conséquences directes : désengagement, fuite vers le secteur privé ou départ à l’étranger. Dans certaines facultés, le manque d’encadrants qualifiés compromet même la viabilité des formations proposées.
A.B.A
EN BREF
- L’enseignement supérieur tunisien souffre d’un manque de réformes concrètes.
- La Banque mondiale a identifié six volets de défaillance : coûts, recherche, organisation, financement, lien avec l’économie.
- La massification depuis les années 2000 n’a pas été accompagnée par des investissements.
- Les infrastructures sont saturées et la qualité de la formation compromise.
- L’inadéquation entre formations et marché du travail alimente le chômage des diplômés.
- Les enseignants sont marginalisés, l’autonomie reste théorique, les réformes inachevées.