La réconciliation, tant souhaitée, entre l’Etat et le citoyen tunisien n’est pas pour demain. C’est du moins ce que pense le professeur de droit, Slim Loghmani. Dans un entretien accordé à la radio privée Mosaïque FM, il a déclaré que l’espoir d’une réconciliation entre le tunisien et l’Etat qui a prévalu, au lendemain, des émeutes 17 décembre 2010-14 janvier 2011, n’a pas duré longtemps. Il s’est vite estompé une dizaine d’années après.

Il a laissé entendre que de nos jours, le tunisien est revenu à sa perception d’antan de l’Etat au temps des régimes autoritaires de Bourguiba et de Ben Ali.

L’Etat est ainsi perçu à la fois comme une entité autoritaire et inefficiente et comme une entrave à toute liberté d’initiative et d’entreprendre.

Il a déclaré que la citoyenneté du tunisien est viciée voire faussée à la base en ce sens où ce dernier ne se sent pas jouir du statut de citoyen, et ce, pour une raison évidente. L’Etat tunisien n’a pas rompu, au lendemain de l’indépendance, avec l’Etat autocratique des époques beylicale et coloniale. Plus simplement l’Etat post indépendance n’a pas tranché la question de la séparation entre l’Etat et le citoyen. Cela signifie, d’après lui, que le citoyen ne perçoit dans l’Etat qu’un pouvoir autoritaire et une entrave et jamais en tant qu’entité au service de l’intérêt général.

Selon le professeur Loghmani, l’illusion d’avoir cru que dans l’euphorie du changement qui a eu lieu en 2011, qu’il y avait une réconciliation entre le tunisien et son Etat a très disparu.

Aversion du tunisien pour la politique et les politiciens

Pis, la décennie passée a généré une répulsion du citoyen de la politique et des politiciens. Le juriste impute cette aversion à quatre facteurs :

Le premier consiste en l’image que le citoyen s’est forgée de la politique et des politiciens, durant la dernière décennie Cette image est une image répulsive, fortement négative. La raison, pour lui est simple. Le citoyen tunisien ne se sent pas ni concerné ni impliqué dans les conflits et débats improductifs qui ont marqué cette période.

Le deuxième facteur, toujours selon le juriste, a trait à la dimension juridique conférée à la politique, depuis le 25 juillet 2021. Une dimension juridique dans laquelle le décret 54, entre autres, a joué un rôle déterminant.

Le troisième facteur qui a contribué à la résurgence de la défiance du citoyen vis-à-vis de l’Etat réside dans l’impact négatif de deux crises exogènes concomitantes : la pandémie du corona virus Covid 19 et la guerre russo-ukrainienne.  Par l’effet négatif de ces crises, les conditions de vie des Tunisiens se sont précarisées à l’extrême et sont devenues leur principale préoccupation.

Du coup, les Tunisiens ont décidé de rompre avec la politique dans la mesure où l’Etat n’est plus capable de quoi que ce soit. Pour le tunisien, l’Etat a abandonné son rôle social et n’est plus capable d’aider le citoyen à améliorer son vécu.

Le quatrième facteur porte sur la perception qu’a l’Etat du citoyen tunisien qu’il considère plus un sujet qu’un citoyen.  A son tour, le tunisien ne voit dans l’entité de l’Etat qu’un pouvoir autoritaire et une source de blocage qui ne lui est d’aucun apport.

Cette perception s’est aggravée avec la survenance des crises précitées auxquelles il faut ajouter, également, du moins à notre avis, la persistance d’une sécheresse survenue par l’effet du réchauffement climatique durant cinq années successives.

Au final, le professeur de droit estime que le citoyen tunisien se méfie de l’Etat. Il n’a pas confiance en lui. Il a le sentiment que l’Etat ne lui appartient pas en raison de l’absence de la démocratie ce qui est, du reste, loin d’être l’apanage du seul Etat tunisien.

En ce qui nous concerne, nous pensons qu’au regard de cette aversion du citoyen pour l’Etat, cette entité est à réinventer sur la base d’un nouveau contrat social. Un contrat social qui doit s’articuler, autour des valeurs de solidarité, de pluralité et d’égalité, ayant comme objectifs la répartition équitable des richesses, de la connaissance et des pouvoirs entre les classes sociales, les régions, les générations, les races et une dimension genre, ainsi que la définition des droits et des devoirs.

L’ultime objectif étant, la mise en place d’un Etat stratège démocratique et social, une société civile efficiente, un modèle de développement partenarial, équitable, numérique et durable avec trois acteurs d’activités (public, privé et tiers secteur).

A bon entendeur.