Le pays est en mal de reprise économique. L’attente aux starting blocks semble s’éterniser. Et puis, gare au faux départ avec des réformes de surface.

Ali Abdessalam

Dans un communiqué de presse daté du 5 août 2021, le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investissement présente une sorte de préambule de ce que serait le plan d’action pour la période à venir. Il faut garder à l’esprit qu’à l’ère de l’après-25 juillet 2021, on n’en attend pas moins qu’une marche vers le nouveau modèle de développement économique.

Nous pensons, pour notre part, que les termes du document du département des Finances sont par trop génériques. Les milieux d’affaires et les opérateurs économiques et leurs structures représentatives n’ont pas réagi. En toute probabilité, elles entendent signifier qu’elles restent dans l’expectative.

La nouvelle ministre affiche sa bonne volonté en vue de lancer un programme de réformes. Soit. Encore faut-il bien les calibrer et ensuite passer à l’acte.

Quoi de neuf, dans le discours ?

Le texte du communiqué embraye directement sur les perspectives d’avenir. Ce faisant, il omet de faire le diagnostic du moment. Le voile pudique, qui décrit « une conjoncture difficile », est laconique. Au 23 juillet 2021, échéance d’un crédit extérieur de 500 millions de dollars US, le pays vivait dans l’angoisse d’un risque de défaut. Et depuis le mois de décembre 2020, le pays vit avec un budget non encore bouclé.  L’opinion est en permanence tétanisée par le stress d’un collapse. Il est vrai que le pire n’est jamais sûr, cependant la raison recommande de s’y préparer. Tenir un discours rassurant est nécessaire, mais encore faut-il trouver le ton qui rend compte de la réalité et des difficultés de la relance.

Sihem Boughdiri Nemsia, directrice générale des études et de la législation fiscale, de son état, enfant du sérail, sait mieux que quiconque qu’on l’a appelée à la tête de cette prestigieuse citadelle avec la consigne des sapeurs pompiers*. On attend de la voir afficher une recette gagnante. Elle n’est pas tenue à l’impossible. L’opinion se suffira d’effets d’annonce. Il lui faut détailler le plan de redéploiement de l’économie qu’elle entend appliquer. Son ministère à lui tout seul possède la taille critique pour impacter le système dans son ensemble. La suite des faits dépendra de la nature de ses choix forts.

Se contenter de rappeler que l’administration a un rôle essentiel dans la conduite des réformes, tel que c’est rappelé dans le communiqué, ne présage en rien d’un changement de gouvernance. Ça manque de mordant ! On attend qu’elle se livre à un véritable crash test pour prouver que la maîtrise d’œuvre, du redressement économique, est dans les possibilités de son équipe.

L’exercice est périlleux, on en convient. Mais voilà, il faut une confrontation avec la communauté d’affaires. On ne peut éviter une concertation afin de définir un New Deal avec des choix conséquents et structurants.

Dire ce qu’on va faire et annoncer comment on va s’y prendre pour y parvenir

Tous les objectifs évoqués dans le communiqué de presse sont certes louables. Leur défaut est qu’ils demeurent abstraits. Comment un document d’un tel ministère peut-il se contenter d’objectifs vagues ? Que l’on se rappelle que tout ce qui ne se mesure pas n’existe pas. Bien se rappeler également que la croissance est encore négative.

Pour sa part, le taux de chômage est à 18 % et l’inflation montre le nez. En l’occurrence, comment contraindre le gouvernement pour des réalisations précises, en l’absence d’un plan quinquennal détaillé ? Hélas la nouvelle ministre ne s’est pas prononcée sur la question.

Toute la communauté d’affaires déclare l’actuel code des investissements caduc. Et pour le retoucher cette fois, le gouvernement peut-il ne pas référer aux suggestions des chefs d’entreprise ? Ce sont les meilleurs prescripteurs en la matière, car la pompe de l’investissement est entre leurs mains. Il n’y a de véritable attractivité que celle qui les incite à y aller. Et il serait bien que la haute administration tienne compte de cette vérité cardinale.

Quel sort faut-il réserver à la loi de l’urgence économique et de la régularisation des infractions de change ? Le pays peut-il continuer à fonctionner quand la contrebande et l’informel détiennent, hors du circuit règlementaire, davantage de ressources en devises que les réserves de change officielles ? Le récent incident de la juge-mule pour les passeurs de devises en dit long sur ce fléau.

Laisser flotter le dinar, c’est s’exposer à le voir se déprécier comme il le fait depuis près de dix ans. Raymond Barre (ancien Premier ministre français durant sept mois entre 1976 et 1977) disait sans équivoque que « la dépréciation de la monnaie est une perte de substance pour le pays ». Voilà la messe est dite.

Finis les programmes en pointillés

Réformer, c’est vital pour la Tunisie. Ou le pays se rebâtit ou l’économie partira en vrille. Et en l’occurrence, ce sont les bijoux de famille qui nous seront subtilisés par des créanciers vautours. Quand la solvabilité est menacée, c’est la souveraineté nationale qui est en ligne de mire. Les enjeux sont de cette portée. Décider de projets audacieux et aller leur trouver les financements adéquats, c’est cela que l’on attend de Sihem Boughdiri Nemsia.

Quand on est convaincu de la justesse de l’approche des réformes, on doit pouvoir « plaider rentable » devant les financiers les plus aguerris et arracher le financement. Il ne faut pas que l’on se résigne à aller « plaider insolvable » devant le Club de Paris.

Avec un plan qui intègre une digitalisation à marche forcée, on sait que la bureaucratie et son corollaire la corruption seront oubliés. Par conséquent, le climat d’affaires se trouvera assaini.

Quand l’option pour l’industrie 4.0 est clairement affirmée, on se donne l’espoir de décupler notre PIB sur un horizon de 15 ans.

Figer une parité pour la monnaie nationale, et éviter que le dinar soit ballotté par vents et marées, c’est une assurance d’un solde extérieur positif.

Avec de tels arguments, on doit pouvoir défendre un programme de réformes devant les financiers les plus sceptiques et emporter le jack pot. En regard des réformes structurantes que peut oser le pays, les propositions du FMI passeraient pour des réformes de boutiquiers.

Que le gouvernement décide de choix forts et le fait savoir. Il faut avoir le courage d’écouter les grandes doléances des investisseurs internationaux. Le Conseil des Chambres mixtes, soit le cercle d’investisseurs internationaux le plus proche de nous, nous fait des propositions recevables. Une trêve fiscale, n’est tout de même pas hors d’atteinte. L’activation des zones franches fouetterait l’investissement et attirerait des enseignes internationales nouvelles.

Désormais, il faut oublier les demi-mesures et taper fort. Demander à la SONEDE de baisser ses tarifs est un contresens. Cette régie a besoin d’un plan d’expansion qui ferait d’elle la “Générale des eaux pour le continent“. Pareil pour la STEG et l’ETAP, et toutes nos entreprises phares.

En-dessous de ces ambitions pour un nouveau modèle de développement qui ferait de la Tunisie une puissance économique, il serait raisonnable de penser à rendre le tablier.

Ali Abdessalem

*Chez les Sapeurs pompiers la consigne est « mourir ou sauver »