Au commencement, les révélations faites, au début du mois de mars 2021, sur la contamination des eaux du barrage Sidi Salem par les eaux usées non traitées par la station d’assainissement de Béja. Faites par le député Badreddine Gammoudi, qui est en même temps président de la Commission parlementaire de la réforme, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, ces révélations ont suscité une vive polémique sur la qualité de l’eau consommée. Et pour cause. Le barrage Sidi Salem approvisionne en eau potable et en eau d’irrigation la moitié de la population du pays : le Grand Tunis, le Cap Bon et ses orangeraies, la région du Sahel et Sfax.  

Abou SARRA

Les photos écœurantes de cadavres d’animaux, de déchets, de saletés de tous genres flottant sur l’eau du barrage donnent la nausée, surtout quand on sait qu’on consomme, au quotidien, cette même eau pour boire, pour se laver, pour cuisiner et pour irriguer nos légumes et fruits. 

Une contamination prouvée sur le terrain 

La gravité des images reproduites, à grande échelle, par les réseaux sociaux, ont fait réagir le chef du gouvernement qui a demandé, à deux de ses ministres, de lui fournir, en quarante-huit heures, un rapport sur « ce crime d’Etat ».

Entre temps, les médias se sont emparés de l’affaire et ont dépêché des journalistes pour enquêter de visu sur le degré de la contamination du barrage Sidi Salem, un ouvrage imposant d’une capacité de plus de 680 millions mètres cubes.

Le reportage fait par la chaîne publique El Wataniya 1, dans le cadre de l’émission « Ennas wa donia » (les gens et la vie), a été particulièrement édifiant.

A l’appui, d’images saisissantes et de témoignages accablants de simples citoyens, de techniciens et de maires de villes jouxtant le barrage, la jeune journaliste, qui a réalisé ce reportage, a montré l’ampleur de la contamination des eaux brutes du barrage par des eaux usées non traitées.

Dix jours après les révélations du député, les deux ministères concernés, celui de l’Agriculture et celui de l’Environnement, ont publié les résultats du rapport demandé par le chef du gouvernement. 

Une contamination démentie dans les bureaux

A la surprise générale, le rapport a révélé que « l’eau brute arrivant dans les barrages du nord et l’eau traitée et distribuée via les réseaux d’eau potable sont conformes aux normes tunisiennes et ne constituent pas une menace pour la santé publique ».

Selon ce communiqué, publié sur la page Facebook, « la qualité de l’eau est surveillée de manière précise et continue, et que l’eau du barrage exploitée dans le domaine de l’irrigation, ainsi que l’eau potable distribuée, après une série d’opérations de traitement, ne représentent pas une source de danger pour la santé publique ».

« Au cours de l’année 2020, plus de 20 000 analyses ont été réalisées au complexe de traitement des eaux de Ghédir El Gollah et 1 500 analyses au complexe de traitement de l’eau de Belli, tandis qu’en 2021 quelque 5 060 analyses ont été effectuées, au niveau du complexe de traitement de Ghédir El Gollah et 128 analyses ont été réalisées au complexe de traitement de Belli », lit-on dans le communiqué.

Plaidoyer pour l’adaptation de la qualité de l’eau distribuée aux normes internationales

La question qui se pose dès lors est de savoir qui, des deux parties, a raison. S’agit-il du député et des médias qui ont fait, sur le terrain, un constat de la contamination du barrage ou des ministères précités qui affirment que l’eau distribuée est conforme aux normes locales tunisiennes ?

S’agissant de la thèse officielle, compte tenu du fait que la Tunisie est une destination touristique, il y a de fortes probabilités que les gouvernements des pays émetteurs de touristes, soucieux de la santé de leurs concitoyens, vont s’appuyer sur ces révélations sur la contamination des barrages en Tunisie pour exiger des autorités tunisiennes d’adapter la qualité de l’eau brute et de l’eau distribuée aux normes internationales. Ces mêmes normes qui exigent la traçabilité de l’eau consommée, une donne que notre code des eaux ne prend guère en considération.

C’est du moins ce que pense Hamza Elfil, directeur de laboratoire au Centre des technologies de l’eau. Son témoignage est d’ailleurs accablant pour les autorités en charge de la gestion de l’eau.

Le chercheur, qui a déclaré aux médias que les eaux usées en Tunisie polluent barrages, nappes phréatiques, mers, oueds…, a expliqué que le talon d’Achille réside dans le code des eaux.

Pour lui, cette réglementation est trop généraliste dans la mesure où  elle n’évoque pas la qualité de l’eau de manière générale, que ce soit la qualité de l’eau potable ou celle des eaux usées traitées.

Sans commentaire.

Au final, nous pensons que cette contamination des barrages est réelle et trop grave. Elle relève un crime d’Etat. Le moment n’est peut-être pas propice pour faire assumer la responsabilité à une partie bien déterminée en raison de la situation chaotique que vit le pays. Mais une fois le pays stabilisé, il faudra mettre de l’ordre, responsabiliser toutes les parties concernées et surtout pénaliser sévèrement les pollueurs.