Poursuivant des objectifs complètement différents, le gouvernement et l’opposition en Tunisie rivalisent, ces derniers temps, en zèle pour dépoussiérer le controversé dossier du mégaprojet touristico-immobilier, «la Porte de la Méditerranée».

Ce projet de smart city d’au moins 250 000 habitants que le groupe émirati Sama Dubaï s’était engagé à édifier, depuis 2007, au lac sud de Tunis, sur 1 000 hectares cédés au dinar symbolique, est, hélas, toujours en stand-by. L’investisseur émirati, touché de plein fouet par la crise financière de 2008, ne s’est pas manifesté, depuis,  pour dire clairement s’il veut reprendre le projet ou s’il veut l’abandonner.

La deuxième proposition formulée pour relancer le mégaprojet a émané du parti islamiste radical « la Coalition Al Karama » dont le porte-parole est le député Seif Eddine Makhlouf.

Ce parti a déposé, le 22 mai 2020, au bureau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) une initiative législative appelant à suspendre l’accord d’investissement conclu le 26 avril 2007 entre l’État tunisien et Sama Dubaï. Un accord en vertu duquel le groupe émirati s’était engagé à édifier, au sud du lac de Tunis et seulement à 200 mètres du centre de la capitale de « la cité du siècle », à savoir « La Porte de la méditerranée ».

A priori, les motifs qui ont amené ce parti à prendre cette initiative sont au nombre de deux. Le premier et le plus apparent du moins serait de défendre l’intérêt de la partie tunisienne qui n’arrive pas à débloquer la situation, 14 ans après la signature du contrat. Ce qui est, dans l’absolu, inadmissible.

Pour justifier son initiative, la Coalition Al Karama (de création récente, janvier 2019) aurait été inspirée par une affaire similaire qui a eu lieu au Maroc. Les Marocains, qui ont connu le même scénario avec leur projet dans la vallée du Bouregreg à Rabat, ont exproprié le terrain vendu au holding Sama Dubaï et opté pour un autre investisseur.

Lire aussi : Le Maroc exproprie Sama Dubaï“… La Tunisie fera-t-elle de même?

En Tunisie, fort heureusement le terrain n’est pas encore cédé à l’investisseur émirati, mais nos décideurs hésitent entre la tentation de résilier unilatéralement la convention et la solution diplomatique, voire un arrangement à l’amiable avec l’investisseur émirati.

Une proposition aux relents idéologiques

Le deuxième motif est d’ordre idéologique. La Coalition Al Karama, allié naturel au Parlement d’Ennahdha de Ghannouchi, ferait, par le biais de cette initiative, le jeu du parti islamiste lequel a toujours vu d’un mauvais œil toute présence émiratie en Tunisie.

Les Emirats arabes unis, qui ont eu constamment des réserves vis-à-vis du fameux printemps arabe, sont persuadés que les élections démocratiques libres qui ont accompagné ce printemps ont toujours porté au pouvoir, avec de l’argent sale, des islamistes radicaux.

La question qui se pose dès lors est de se demander les raisons  qui ont empêché le parti Ennahdha à résilier ce contrat alors qu’il avait gouverné le pays de 2012 à 2014 durant la période de la Troïka.

D’ailleurs, ce parti, qui a pris la fâcheuse habitude d’avancer caché et d’entretenir l’ambiguïté, est resté fidèle à sa stratégie de “semer le flou“. Car, il n’est pas normal que son sous-traitant (Al Karama) se permette de présenter cette initiative de résiliation du contrat alors que son ministre nahdhaoui (Moncef Sliti, peut-être plus pragmatique), continue à croire au mégaprojet, à privilégier la renégociation et à opter pour la valorisation de certaines composantes du projet.

Tout faire pour que ce projet ne tourne pas le dos aux Tunisiens

Abstraction faite des argumentaires du gouvernement et de l’opposition, il faut reconnaître que ce joyau foncier de 1 000 hectares d’excellente qualité cédé au dinar symbolique et négocié dans des circonstances entachées de présomptions de corruption (payement de gros pots-de-vin à l’entourage de l’ancien président), doit bénéficier d’un intérêt particulier de la part du gouvernement.

L’ultime objectif est de déminer le contrat qui aurait été élaboré pour desservir, délibérément, les intérêts de la Tunisie et d’éviter le sort qu’ont connu des affaires antérieures comme celle de la Banque franco-tunisienne (BFT).

Il gagnerait aussi à faire l’objet d’un débat public multidimensionnel d’autant plus que, dans sa mouture actuelle, ce projet sera conçu sans les Tunisiens (architectes, bureaux d’études étrangers…) et dans une perspective élitiste qui ne permettrait pas aux Tunisiens d’y accéder, et ce compte tenu de leur faible pouvoir d’achat.

Interpellée sur ce mégaprojet, Faïka Béjaoui, architecte urbaniste et lauréate du prestigieux prix Agha Khan d’architecture islamique en 2010, s’interroge à juste titre du reste : «si nous sommes exclus en tant que concepteurs, sommes-nous également exclus en tant que citoyens, résidents ? Aurons-nous les moyens, nous Tunisiens, d’accéder à la propriété dans ces quartiers ? Aurons-nous même les moyens d’y prendre un café ? Ce projet tourne le dos à Tunis et aux Tunisiens».

Sans commentaire.

Lire la première partie: Tunisie – IDE : Propositions pour dépoussiérer le mégaprojet “la Porte de la Méditerranée” (Partie 1/2)