Les semailles et les moissons. Le tragique destin d’une terre, telle une belle mariée promise à deux prétendants fougueux, passionnés, aux désirs violents … Une déchirure, des larmes et beaucoup de sang ! D’ailleurs, le sang ne revêt-il pas, dans beaucoup de sociétés, une symbolique culturelle de sacrifice ? Et dans l’imaginaire arabe, pour asseoir et renforcer la domination masculine, manifester une sorte d’appropriation abusive, n’aime-t-on pas voir le sang d’une femme vierge, souvent associé à la vertu, à la pureté et à l’honneur ? N’y a-t-il pas là aussi, une représentation du sacrifice, celui de la jeune mariée sur l’autel des conventions sociales ? La mariée est si belle mais le spectacle est si laid …

Lotfi Farhane

La déclaration Balfour, promesse pour l’établissement en terre de Palestine d’un foyer national pour les Juifs, promesse d’une terre de celui qui ne la possède pas à ceux qui ne la méritent pas, et qui est mise en œuvre, verra plus tard la création de l’État d’Israël et le point de départ du conflit israélo-palestinien et l’exode palestinien de 1948, l’histoire est connue … Une terre, doublement promise car une année auparavant, ces mêmes Britanniques ont miroité au Chérif de la Mecque, leur désir de lui céder les territoires arabes sous occupation turque, dont la Palestine. La toile de fond étant le démantèlement de l’Empire ottoman après la guerre.

Il en découle un afflux vers cette terre de Juifs formant une nouvelle société bâtie et stratifiée insidieusement selon un ordre non déclaré mais tangible, de castes, une hiérarchie associée à un principe de pureté religieuse. Ils venaient d’Europe, d’Afrique du Nord et d’Orient, du Caucase, d’Asie et d’Inde. Et au bas de la pyramide se retrouvent les Falashas, des Juifs éthiopiens, que les autorités religieuses israéliennes ont mis du temps pour reconnaître leur judéité.

Installés, ils sont en butte à diverses discriminations … Avec des origines diverses, des parcours sinueux, des tempéraments différents, on se retrouve face à un hétéroclitisme complexe, générant naturellement une société instable que seule une constante mobilisation guerrière est capable de cimenter et de la faire perdurer.

La Turquie déboutée à l’entrée en Europe, celle-ci, avec sa phobie immuable de l’islam, ne voyait pas d’un bon œil l’entrée de plus de soixante-dix millions de musulmans dans son giron. Elle s’est tournée vers les pays du Maghreb et le Moyen-Orient.

Aidée par des courants islamistes en place, elle jette son dévolu sur les pays, scènes du tartuffard printemps arabe, comme un braconnier jetant son filet sur une proie blessée, livrant des guerres par procuration.

Assiste-t-on aux préparatifs d’un retour de la régence ottomane? Cela m’a tout l’air … Ne perdons pas le fil d’Ariane.

Nous avons été plutôt spectateurs dupes d’un renversement de régime qu’acteurs d’une authentique révolution

Tout a commencé avec le soulèvement populaire de 2011 : pour parler juste, il s’agissait pour moi d’un embryon de processus révolutionnaire, catalysé de l’étranger, qui a pris de court les partis de la place mais rapidement avorté et récupéré. La tournure prise par les événements me conforte dans l’idée qu’on a été plutôt spectateurs dupes d’un renversement de régime qu’acteurs d’une authentique révolution avec la sociologie connue qui lui sied …

Une certitude, le parti islamiste qui dirige actuellement le pays était remarquablement le grand absent de la scène nationale des événements. Ses dirigeants ont juste laissé mitonner pour débarquer à temps afin de cueillir un fruit bien givré : tirer les marrons du feu avec la patte du chat …

Couvrant le pays par une épaisse, lourde et stagnante nuée grise, et faisant fi des espérances et des rêves des jeunes qui sont descendus dans la rue, bravant la machine répressive de l’ancien régime, ils ont commencé à tisser méticuleusement leur toile pour concrétiser le désir tant convoité d’instaurer un État islamique.

Leurs outils sont rudimentaires mais hautement toxiques et s’articulent autour de ce commerce du religieux, un commerce de tout temps lucratif, car il s’alimente de l’ignorance des gens et dont le bail est la peur de l’au-delà, du jugement dernier et du châtiment divin…

La méthodologie consiste à persuader et convaincre les gens qu’ils sont propriétaires de la religion et les dépositaires de la foi, développer une pensée messianique

La méthodologie consiste à persuader et convaincre les gens qu’ils sont propriétaires de la religion et les dépositaires de la foi, développer une pensée messianique et présenter leur chef et guide comme étant le secours tant attendu et tombé du ciel ! Souvenez-vous, la ferveur et le chant, jadis composé pour notre “prophète“, avec lesquels il a été accueilli par ses partisans à sa descente d’avion, à Carthage … Ils se sont aussi attachés les services de prédicateurs venus de l’étranger, des personnages hirsutes et ténébreux, versant dans l’endoctrinement de masse et le bigotisme et convaincus que les Tunisiens se sont écartés du droit chemin, que l’islam en Tunisie est perverti et en danger, que le pays est devenu un haut lieu de perdition, de corruption morale et d’athéisme, donc nécessitant une nouvelle reconquête musulmane. Rien que cela!

Sentant le vent tourner à la fin des années quatre-vingts et pourchassés par le dernier despote fraîchement intronisé, beaucoup de membres de la mouvance islamiste se sont enfouis en Europe où ils ont vécu dans la luxure et ceux qui sont restés ont connu les années de braise …

Observez leur hypocrisie démesurée : ils fulminent avec véhémence dans leurs rassemblements, débitant des insultes et les pires insanités contre l’Occident mécréant et laïque mais dès qu’il y a répression, ils courent s’y réfugier et s’y installer avec femme et enfants et jamais en Arabie, dont ils rêvent de dupliquer le régime et leur Constitution basée sur la charia. Ils traficotent dans leurs pays d’accueil mais mettent un point d’honneur de ne manger que du halal. Éblouissante schizophrénie !

Le système des islamistes repose sur un principe universel : une relation symbiotique entre les hommes d’affaires corrompus et les politiques

De retour au pays, il y a eu une forte rivalité et des querelles intestines entre ces deux groupes pour la possession des postes de pouvoir, des frictions qu’ils ne veulent absolument pas laisser transparaître. Un microcosme précaire qui ne doit son équilibre qu’à la position hégémonique de leur gourou qui s’accroche à son poste comme un corail, surtout qu’il détient les clés du coffre-fort, et aussi à la hantise viscérale qui les obsèdent, celle de revivre une fois de plus l’errance ou le retour en prison.

Ils savent pertinemment que leur division et la perte du pouvoir signifient leur fin … Ils ont aussi leurs falashas, un bon contingent de menu fretin, ces anciens RCDistes qui ont demandé grâce et pénitence au grand ponte de la confrérie par un baisemain tel un vassal agenouillé envers son suzerain ; expliquant à qui veut bien les entendre qu’ils ont toujours été nahdhaouis dans l’âme mais jouant le rôle d’agents infiltrés à l’intérieur du parti de l’ancien régime.

Loin de la spéculation et plus dans le factuel, je vois des éléments annonciateurs du vacillement de leur règne sur les affaires du pays et de leur imminente chute

Ils sont reconnaissables à leurs aboiements incessants et leur maintien volontaire dans un état de surchauffe. Bêtes et méchants ! Loin de la spéculation et plus dans le factuel, je vois des éléments annonciateurs du vacillement de leur règne sur les affaires du pays et de leur imminente chute. Tout système a ses limites, et le leur repose sur le principe universel, celui de l’instauration d’une relation symbiotique entre les hommes d’affaires corrompus et les politiques, une couverture et une impunité contre un financement … et aussi sur une seule personne, leur chef lequel est en chute libre dans les sondages et devenu incontestablement le personnage le plus antipathique du pays sauf aux yeux de son cercle rapproché de troubadours et de courtisans.

Le gourou ne tire son pouvoir que de l’argent qu’il distribue parcimonieusement et les avantages qu’il concède à ses fidèles en les plaçant à des postes clés de l’État

Il ne tire son pouvoir que de l’argent qu’il distribue parcimonieusement et les avantages qu’il concède à ses fidèles en les plaçant à des postes clés de l’État, conseillers et directeurs dans les cabinets ministériels, des emplois le plus souvent fictifs. Ceux qui sont écartés du festin ou insatisfaits de leurs lots se rebiffent …

Les gens s’impatientent de voir une amélioration minime de leurs conditions de vie, cela fait dix années qu’ils attendent, qu’ils espèrent, et on ne peut pas continuer indéfiniment à les berner, à les corrompre et à acheter leurs voix.

Dix années de disette, de terrorisme, de peur, même l’espace des libertés est en train de se réduire comme peau de chagrin.

Dix années de disette, de terrorisme, de peur, même l’espace des libertés est en train de se réduire comme peau de chagrin.

Ils ont beau être simples d’esprit et démunis mais finissent à la longue par réaliser l’ambivalence du discours et l’étendue de la perfidie, de l’hypocrisie et de la malhonnêteté de la confrérie.

Ils voient les signes extérieurs de leur fulgurant enrichissement, leur manière de s’octroyer ainsi que leurs familles des privilèges indus, ces pansus aux ventres graisseux qui poussent à vu d’œil, conséquence de leur goinfrerie.

Combien de temps encore va-t-on devoir endurer ce défilé d’incompétents et de médiocres à La Kasbah ?

La crise du coronavirus et ses corollaires, les positions de Moussi, son martèlement et sa dénonciation des diverses malversations et abus dont les derniers sont les accords de la honte avec les Turcs et les Qataris, preuve d’une accointance et d’une désinvolture ouvertement affichée de l’intérêt national. Les verra-t-on emboîter le pas à Sadok bey, de la dynastie des Husseinites et haut officier de l’armée impériale ottomane qui a livré le pays au colonialisme français ? Tous ces facteurs ont fini par faire apparaître les islamistes dans le plus simple appareil !

Si on ajoute à cette composition le funeste spectacle de l’Assemblée et ces honteux députés, qu’il devient urgent de faire déguerpir pour préserver le peu de dignité qui nous reste, les dérapages verbaux intempestifs et détonants du président de la République, on obtient un cocktail hautement inflammable…

Force est de constater, à travers notre Histoire, qu’à chaque malheur qui nous frappe, les Turcs ne sont jamais bien loin

Force est de constater, à travers notre Histoire, qu’à chaque malheur qui nous frappe, les Turcs ne sont jamais bien loin ! Il ne fait aucun doute pour moi que pour les prochaines échéances législatives, le parti islamiste ne se représentera plus dans sa version actuelle mais éclaté et sous la forme de groupuscules. Son réservoir électoral sévèrement amenuisé, il sera ratatiné et réduit à sa dimension réelle.

Dans cette configuration et avec une gauche en un état avancé de décomposition, la découverte de l’opportunisme manifeste de la majorité des autres partis, le PDL de Moussi aura une carte à jouer si elle saura convaincre un plus large public et bien manœuvrer pour avancer habilement ses pièces, même si elle reste pour moi l’incarnation de la bonne vieille droite républicaine.

Combien de temps encore va-t-on devoir endurer ce défilé d’incompétents et de médiocres à La Kasbah ? En France, on remercie le corps médical pour l’effort titanesque fourni en leur accordant une prime exceptionnelle, et chez nous, on n’a pas trouvé mieux pour leur rendre grâce et les encourager que de leur subtiliser une journée de travail. Quel affront !

L’actuel chef de gouvernement, en manque d’inspiration, d’idées et à l’imagination étriquée et dont personne ne donne cher de sa peau, ne jure que par les taxes et les coupes, la dernière en date étant l’augmentation astronomique des droits pour les documents administratifs infligée à nos concitoyens résidents à l’étranger qui méritent d’être traités avec plus de considération pour leur contribution non négligeable à l’économie nationale par un apport substantiel de devises.

Ne pourrait-on pas faire comprendre au CDG qu’il y a d’autres voies plus justes et plus équitables pour renflouer les caisses de l’État

Ne pourrait-on pas lui faire comprendre qu’il y a d’autres voies plus justes et plus équitables pour renflouer les caisses de l’État que la solution de facilité de la parafiscalité ?

Ce mois de jeûne, de transcendance spirituelle et de piété touche bientôt à sa fin. Alors qu’en a-t-on retenu ? A-t-on vu moins d’insultes, de violence dans les propos, de fanatisme, de refus des différences et plus de tolérance, de communion des âmes et d’amour ? N’est-il pas temps d’opposer à la stricte identité religieuse le patriotisme et la tunisianité ou au moins de rechercher un subtil compromis entre les deux ? Ne doit-on pas voir plus sur le terrain, cet espace commun, l’expression de la liberté de culte et de conscience, de sorte qu’en s’adressant à une personne, on vise et scrute son humanité plutôt que sa religion ? A-t-on fait un pas de plus vers un islam aniconique, ce que je prône, casser le monopole imposé par certains sur la foi et le dogme et arrêter de s’écarter du fond du texte coranique pour verser dans la liturgie ?

Enfin, qu’espère-t-on récolter quand on sème l’oppression, l’injustice, l’autoritarisme, la haine, la division, le rejet de l’autre ? Je reste coi mais une envie de prier me submerge, au plus profond, dans l’intime du cœur, vivre pleinement cet instant éternel qu’est ce tête-à-tête avec Dieu. N’est-il pas écrit dans le Coran qu’on doit implorer Dieu dans une supplication ardente, muette et en cachette ?