La Fédération nationale du bâtiment et des travaux publics s’emploie sans relâche à sauver un secteur en souffrance en l’absence manifeste d’une volonté politique à appuyer l’un  des plus grands pourvoyeurs d’emploi dans notre pays (plus de 500 000 postes d’emplois) et dont l’apport au PIB est de 7%.

Pour Jamel Ksibi, président de la Fédération nationale du BTP, il ne s’agit pas de s’attarder sur les difficultés du secteur, aujourd’hui de notoriété publique, ou encore parler de la crise du Covid-19 qui a aggravé sa situation, mais et surtout de se situer dans une logique constructive et faire des propositions. 

Ne pas se complaire dans les atermoiements mais informer, sensibiliser, réagir et agir. Cette démarche s’impose d’autant plus que le BTP n’a pas figuré dans les priorités de l’Etat lui-même puisque les entreprises des travaux publics ne sont pas encore payées dans un contexte d’une crise exceptionnelle qui a mis tout le monde KO.

A titre indicatif, l’Etat doit 350 millions de dinars à seulement 26 grandes, moyennes et petites entreprises opérant dans le BTP. Et avec la pandémie du covid+, les choses ne s’améliorent pas.

« Nous ne pouvons pas, à ce jour, évaluer l’impact de la crise sur l’économie nationale, on parle déjà de la perte de 150 000 emplois. Dans pareil contexte, le BTP, peut être un secteur salvateur si l’Etat assume et assure son redémarrage en lançant les projets en berne depuis des années. La maxime “Si le bâtiment va, tout va” n’est pas dénuée de sens ou de réalisme et il s’agit aujourd’hui de sauver notre économie. Nous avons d’ores et déjà envoyé nos propositions pour la relance aux autorités gouvernementales concernées », précise Jamel Ksibi.

Les opérateurs appellent à mettre en application les pactes sectoriels de compétitivité économique proposés par Afif Chelbi, ancien ministre de l’Industrie et président du Conseil des analyses économiques et les appliquer sur le secteur du BTP et à relancer les chantiers du logement social et de luxe qui touche aussi bien les étrangers que les TRE (Tunisiens résidant à l’étranger).

Mais pas seulement !

Des ministres chargés des mégaprojets sans mégaprojets

Les années se suivent et avec eux, et presqu’au même rythme les gouvernements ! Dans chaque nouvelle équipe, on charge un conseiller ou un ministre pour activer la réalisation des mégaprojets mais sans succès.

Et pourtant, la relance de projets importants peut donner un nouveau souffle au secteur du BTP et à toute l’économie. Nous citons le port en eau profonde d’Enfidha, le plan directeur de gestion des déchets, la construction des routes transversales rapides, Béja – Tabarka/Algérie – Kasserine – Sidi Bouzid et Sfax ainsi que l’amélioration du réseau ferroviaire et le rétablissement des chemins de fer Tunisie – Tabarka Sousse – Kairouan.

Autres grands projets qui tardent à démarrer, celui de la Société de Promotion du Lac de Tunis (SPLT) et dont l’investissement se monte à 2 milliards de dinars, toujours bloqué à cause des lourdeurs administratives, sans oublier celui de Taparoura et de Pic Ville Sfax ou celui de Sama Dubaï au Lac sud de Tunis. 

Il est, de ce point de vue, étonnant que les gouvernements successifs n’aient pas profité des lignes de financements disponibles pour procéder à l’achèvement des projets de l’eau dont les investissements s’élèvent à béa coup plus de 3 milliards de dinars.

La SONEDE, l’ONAS ainsi que les CRDA ont beaucoup à faire, à savoir le captage de l’eau, son transport, son traitement et sa distribution collective depuis le nord-ouest jusqu’au centre du pays, ainsi que son traitement et son épuration, ce qui donnerait du travail aux différentes entreprises opérant dans les travaux publics, permettrait de résorber le chômage et améliorerait la qualité des services publics. 

Des projets réprimés dans et par les administrations publiques, et ce depuis les différentes phases de leur réalisation jusqu’au suivi d’exécution en butant, en cours de route, sur la passation des marchés. Une mission qui pourrait être déléguée à un bureau d’études national pour activer la réalisation des projets en question en imposant la priorité pour les opérateurs nationaux comme cela se passe dans d’autres pays, au Maroc entre autres. 

Quant aux projets du PPP, nous pouvons autant les nicher dans la catégorie des films de science fiction au vu de la mentalité régnant au sein d’une ARP où les députés sont pour la plupart dénués de culture économique et qui, selon, considèrent le PPP comme une spoliation du public ou le voient comme une occasion de servir les intérêts des amis de partis influents au national et à l’international.

Pourtant, le développement de certaines activités dans des sites qui regorgent de carrières de marbre, de sable siliceux et de gypse, soit des matériaux exportables ainsi que les carrières de pierres très demandées en Italie et à Malte, par exemple, pourraient générer des ressources qui serviraient à renflouer les caisses de l’Etat. Sachant que les informations sur les minerais et des carrières se trouvent, au détail près, aux ministères de l’Equipement et de l’Energie. Des ministères qui ne les exploitent pas pour injecter une dynamique économique positive et développer les partenariats publics/privés dans un domaine désormais familier pour des entreprises publiques qui ont adopté le programme des essaimages avant 2011 et ont beaucoup avancé dans la prospection et la découverte des ressources naturelles en minerais et matériaux de construction. 

Compte tenu de la forte pression sur les finances publiques et de la très forte probabilité pour que comme désormais, “institutionnalisé” (sic), on s’attaque au titre II pour y effectuer des coupes, bloquant l’investissement public, aggravant la création de richesses et augmentant le chômage. Il serait judicieux de solliciter les bailleurs de fonds internationaux pour un financement des projets en cours à hauteur de 100% au lieu des 70% courants, ce qui permettra d’économiser 30% sur le budget de l’État. 

A ce propos, les opérateurs dans le BTP ont proposé que la période de grâce contractuelle soit étalée dans la durée pour permettre aux finances publiques de payer en douceur, et ceci au moins en relation avec les fonds qui n’ont pas encore commencé à être remboursés. Ils ont également suggéré le redéploiement des lignes de financement dédiées à des projets morts nés ou en grandes difficultés à d’autres projets prêts pour la réalisation finale. 

Autant de pistes qui pourraient œuvrer à relancer un secteur dont la crise ne date pas d’aujourd’hui et qui n’arrête pas d’appeler à son secours les autorités publiques en suggérant des solutions réalisables. 

La Banque centrale à la rescousse

La Banque centrale pourrait éventuellement aider au sauvetage du secteur du BTP. Des discussions ont d’ores et déjà été engagées entre les représentants du secteur et les dirigeants de la BCT. Il s’agit de l’application de la circulaire n° 16 du 03 juin 2015 du chef du gouvernement, relative à l’apurement des cautions bancaires par les banques après la réception des travaux. Une circulaire qui n’est pas appliquée par certaines banques dont une a procédé, de sa propre initiative, au retrait, à une entreprise, de montants équivalents aux retenues des garanties délivrées par ses soins au profit du maître d’ouvrage; ce cas risque d’être endémique si la BCT n’intervient pas.

Les professionnels du BTP ont également appelé les autorités monétaire à inviter les banques à mettre en place des crédits sous forme d’avance sur créances administratives destinées à financer les arriérés et leurs intérêts moratoires légaux au titre des créances en rapport avec l’administration. Le montant du crédit serait fixé à 80% de la créance dûment constatée et peut être amorti au fur et à mesure des règlements effectués par l’administration. Le crédit doit être accepté comme collatéral au refinancement de la BCT durant toute la période de règlement.

La Banque centrale a aussi été sollicitée pour faciliter les opérations financières soutenant une participation active des entreprises du BTP à la reconstruction de la Libye. 

Le bâtiment tunisien ne va bien mais jusqu’à quand ? D’autant plus que ce secteur dépend grandement de facteurs macroéconomiques qui ne sont pas aujourd’hui au beau fixe. Les crises successives que le secteur a traversées devraient encourager les opérateurs à se renouveler, à innover et concevoir de nouveaux leviers de croissance dont les hautes technologies. Mais ceci ne dispense pas l’Etat tunisien de sa responsabilité d’assurer le rôle de locomotive pour la relance du secteur.

Amel Belhadj Ali