Et si après le déconfinement on passait à l’acte, en matière de réformes ? Le renouveau de l’Etat ne serait-il pas le meilleur antidote à la crise économique du Covid-19 ?

Tout bien considéré, la crise du Covid-19 aura été un précieux lanceur d’alerte. Elle nous a montré, à chaud, en direct, que face à la crise, l’Etat est à bout de force. Nous avons pu assister sur nos écrans télé et sur FB à des spectacles désolants, de désorganisation et de dysfonctionnements amplifiés, il faut bien le reconnaître, par une part d’indiscipline populaire. Et ça a brouillé toute l’image de la gestion de la crise, alors que le gouvernement n’a pas manqué de volontarisme.

Le coronavirus nous a procuré un audit fiable du régime opérationnel de l’Etat. L’opinion publique, en temps réel, a été au fait des archaïsmes du modèle actuel et de leurs retombées néfastes. C’est bien simple: les leviers de commande, parce qu’ils datent d’un autre temps et qu’elles furent taillées pour un autre contexte, ne répondent plus. Leur rendement est fatalement en-dessous des attentes. Le système donne des signaux d’essoufflement qui ne trompent pas. Pour autant, est-il aisé de réformer en temps de crise? 

Bien se servir de l’Etat de grâce

Ah ! Les cent premiers jours, une parenthèse providentielle ! Tout gouvernement nouveau ne devrait pas se laisser rebuter par l’odeur de la poudre, pendant cette lune de miel avec l’opinion publique. C’est là qu’il faut aller au charbon.

Ajouter à cela quand la crise fait des ravages, elle complique le travail au quotidien, mais vous ouvre un boulevard pour réformer. Il faut bien se dire que la crise savonne la planche, pour les pouvoirs publics, en matière de gestion courante. En revanche, elle est un allié sans pareil pour réformer, car elle affaiblit les résistances au changement.

Alors il convient de sauter sur l’occasion. Ajouter que l’alibi du redémarrage de la machine peut se révéler utile en pareille circonstance, pour calmer l’appréhension du bon peuple.

Dans une intervention à l’IACE*, Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre français, rappelait la dose d’opportunisme dont il faut se servir pour le bien de la cause. Il rappelait qu’en France, c’est l’été qu’il convient de réformer. Pendant ce “quart chaud” de l’année, les citoyens sont éparpillés et ont l’esprit ailleurs.

Son homologue canadien renchérit sur le même registre en attestant qu’au Canada cela se fait l’hiver car il est pénible d’aller dans la rue, compte tenu de la rigueur de la météo, en cette période.

Nous rajouterons qu’en temps de crise, les citoyens sont dans l’expectative, ce qui est un état second. L’un et l’autre insistaient sur le choix de l’instant, rappelant que la période idéale pour réformer.

Pour un nouveau gouvernement, le premier semestre est la période, idéale, des grandes manœuvres. Passé ce délai, l’état de grâce s’évapore et le vent tourne. La panne de gouvernance, on ne le répètera jamais assez, ça peut arriver aux plus grands.

La Suède et la Suisse, pourtant les deux premiers de la classe, sont passées par-là. Jean-Luc Bernasconi, naguère représentant résident de la BM à Tunis, nous décrivait le phénomène pour son pays, la Suisse, en des termes clairs : “Il arrive un moment où le système ne délivre plus”. Alors la cause est entendue. Pas de temps à perdre, il faut faire feu de tous bois. Et quand il faut y aller, Eh bien, il faut y aller. Gare aux mesurettes et aux demi-mesures, ça ne paie pas en retour ! Et en politique, l’obligation de résultats prime.

L’identifiant unique, un visa avec l’administration

Il ne sert à rien de remuer le couteau dans la plaie, mais avouons que le pays a payé le prix fort pour avoir constamment repoussé la réalisation du dispositif global du dialogue social. Il ne sert à rien de s’étaler sur la question, mais rappelons que l’heure a sonné pour faire sauter ce plafond de verre.

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L’identifiant social, un des éléments importants de ce dispositif, nous aurait épargné bien des désagréments sociaux. Le chantier de l’identifiant unique est fin prêt et il serait contreproductif, de le remettre,  encore une fois, sur le métier. Ce serait la fois de trop. Il n’attend plus que son entrée en service.

Lors d’une interview, Federico Ludovic, actuel ambassadeur du Portugal, a exhibé sa carte nationale, me précisant que tout est crypté dedans. Il y avait son identité, sa carte de soins, sa situation professionnelle et fiscale, ainsi que la liste de ses droits sociaux. Finies les misères des contacts avec les guichets administratifs. Et le diplomate de me préciser : “cette carte est un visa pour l’administration”.

Le pays est dos au mur et la patience du bon peuple n’est pas infinie. Un écosystème technologique national, de haute performance, a volé au secours de l’Etat en offrant des solutions, de haute performance, à titre gracieux, réparer diverses lacunes du dialogue social dont la faille de l’identifiant unique. Il ne reste plus qu’à surfer sur la vague et transformer l’essai. On reculerait davantage qu’on pourrait sauter sur les éclats de la colère citoyenne

Mais où est donc l’agence du Trésor ?

En temps de crise, on connaît le slogan, les temps se font durs et la vie devient chère. Et le moral des citoyens se met en effervescence. Naturellement, les caisses se dégarnissent et il est difficile de les remplir. Et les rumeurs les plus folles circulent sur les finances publiques. Et on s’alarme sur la soutenabilité de la dette, souci tout à fait légitime, compte tenu des circonstances.

Un projet de gestion de toutes les lignes de financement constituant l’encours de la dette publique attend de voir le jour avec la création de l’agence du Trésor. En la matière, deux partenaires entrent en ligne de compte. Il y a l’opinion publique mais également la communauté d’affaires. Tous deux ont des désires, autant que des soucis d’avenir. Et il ne faut pas les exaspérer. C’est d’eux que dépendent la paix sociale et la vigueur de la croissance.

Alors quand ils sont gagnés par le doute sur la solvabilité du pays, leur moral vacille et cela chauffe les esprits.

Les rumeurs ambiantes font croire au retour de la dette odieuse. L’Etat se serait endetté en devises, exposant sa souveraineté, et l’argent aurait été mal alloué.

Par ailleurs, le tarissement des rentrées de devises nourrit le soupçon sur l’éventualité de défaut de l’Etat. Et la diversité des interlocuteurs, car la diversité des ressources fait que plusieurs départements se trouvent concernés et communiquent sur le sujet, n’aide en rien. Là encore, il y a urgence.

Mais où est donc la décentralisation ?

La gestion de la crise sanitaire, via la centralité administrative, malgré l’étendue des ramifications administratives régionales, laisse à désirer. Une plus grande implication des régions aurait apporté plus d’efficacité, cela ne fait pas de doute.

La décentralisation, avec ce qu’elle peut apporter en matière de régionalisation et de déconcentration administrative, est un catalyseur qui n’a plus besoin que l’on démontre ses avantages.

Ce chantier a trop attendu alors qu’il est sensé apporter des avantages précieux à la gestion du pays. Dans son livre blanc, Abderrzak Zouari, ancien ministre du Développement régional du gouvernement Caid Essebsi, plaidait en faveur d’un découpage régional effectif avec une identité régionale affirmée.

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Il soutient que la Tunisie manquera de ressources pour financer le développement des régions. Et à cet égard, faut-il le rappeler, les disparités régionales sont vécues comme des injustices insupportables. Et c’est à l’Etat d’y mettre fin ou du moins de les aplanir, au mieux.

L’émancipation des régions leur permettrait  de puiser dans les fonds structurels européens, des subventions pour financer leurs programmes de développement. L’Etat tunisien n’y a pas accès, en tant que tel, du fait qu’il n’est pas membre de l’UE. Cependant, les régions via des jumelages avec des régions européennes bien ciblées pourraient y accéder. Attendre serait une façon de remettre à plus tard ce qu’on peut faire aujourd’hui, faisant perdre au pays un temps précieux.

Un travail d’image building cohérent et pertinent

Nous avons ciblé quelques projets phares pour évoquer la grande question de la refondation de l’Etat. Notre intention est d’affirmer qu’une feuille de route est disponible. On peut l’établir en mettant ensemble des programmes qui existent déjà.

J’en citerais un, à titre d’exemple. Le plan de république contractuelle fin prêt proposé par le Conseil d’analyses économiques. Je vous ferai cadeau d’un deuxième à savoir le plan d’Economie sociale et solidaire de Comete Engineering.

Il y a ce troisième que nous devons au Conseil des Chambres mixtes européennes. Celles-ci appellent à la création de zones franches, à la reconfiguration de la chaine logistique et à la réforme fiscale.

Allez, un quatrième. Il s’agit de l’amnistie de change, qui ne vise, ni plus ni moins qu’à nationaliser l’informel. Ce pouvoir occulte est en train de prendre le dessus sur le secteur organisé. Pas loin de chez nous, le Maroc a réussi son coup et les résultats dépassent les objectifs.

Le Sénégal est allé encore plus loin en mettant en place un ministère de l’informel. Pour se faire une idée de l’importance de ce pan de l’économie nous rappellerons qu’avec la Libye depuis 35 ans nous avons mis les conventions les plus intéressantes. Mais toutes ont été doublées par les circuits informels.

Pour ceux qui ne la savent pas selon les estimations de l’ONU, les économies des deux pays sont si fortement corrélées au point que  1% de croissance en Tunisie génère 0,9% de croissance en Libye.

L’actuel gouverneur de la BCT, Marouane Abassi, ancien directeur à la BM, rappelait que les dirigeants de la Banque regardent le partenariat entre les deux pays comme une situation “de facto, integration”. Et pourtant tous les flux d’échange se retrouvent “Off-Track”. La Tunisie aura toujours besoin d’attirer les IDE. Or, peut-elle espérer meilleur plaidoyer pour ses avantages comparatifs que l’argument d’un pays en refondation? Pour faire simple, on dira un pays entre les seules mains de ses pouvoirs démocratiques. 

Ali Abdessalam