De toutes les démissions qui ont eu lieu, jusqu’ici, au sein du parti Ennahdha, particulièrement celles des figures de proue de la mouvance islamiste en Tunisie, Lotfi Zitoun et Zoubeir Chhoudi, c’est celle de Zied Ladhari, secrétaire général de ce parti qui pourrait faire le plus mal aux islamistes au pouvoir, depuis 2011. Et ce pour deux raison majeures.

La première raison est que Zied Ladhari a jeté l’éponge pour manifester son désaccord avec la nouvelle politique suivie par le parti, notamment après le choix de Habib Jemli comme chef du gouvernement.

Le député nahdhaoui de Sousse estime que, de par son parcours, il est mieux aguerri aux affaires de la gouvernance et, partant, le mieux placé pour occuper ce poste.

Et s’il y avait des raisons plus profondes de cette démission?

Pour mémoire, Zied Ladhari a été trois fois un «super-ministre»: ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle (2015-2016), ministre de l’Industrie et du Commerce (2016-2017) et ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale (2017-2019).

Par ailleurs, à travers sa démission, le député de Sousse semble rappeler, sous forme de messages, deux donnes au gourou Ghannouchi et à ses faucons.

D’abord, avec ce départ, le parti risque de perdre la caution électorale nahdhaouie régionale (le Sahel). La seconde remet à l’esprit de Ghannouchi que conformément à la tradition gouvernementale en Tunisie depuis l’accès l’indépendance, en 1956, la primature est toujours revenue aux Sahéliens. C’est seulement après le soulèvement du 14 janvier 2011 que des personnalités non originaires du Sahel ont eu droit à ce privilège, et en plus dans des circonstances très particulières.

Il s’agit des Tunisois (Béji Caïd Essebsi en 2011, et Youssef Chahed de 2016 à 2019) et du sudiste Ali Larayedh (2013-2014).
Avec la stabilisation du pays après les récentes élections générales de 2019 et le retour à la normalité, la tradition gouvernementale devait être respectée, semblent penser Zied Ladhari et son entourage forcément sahélien.

L’enjeu serait la succession de Ghannouchi

Dans un deuxième temps, la démission de Zied Ladhari serait le reflet d’un conflit générationnel au sein du parti Ennahdha, un conflit qui opposerait, de manière dramatique, les faucons (dont Abdessalem Bouchlaka, Noureddine Bhiri, Abdellatif Mekki, Abdelkerim Harouni et Neji Jmel), partisans d’une mainmise du pouvoir par les seuls cadres d’Ennahdha, d’un côté, de l’autre, les colombes que représentent Samir Dilou, Lotfi Zitoun, Zied Ladhari et Zoubeir Chhoudi, partisans d’une gestion collégiale et plurielle du pouvoir.

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A l’origine de ce clivage, les surenchères politiques que mènent les belligérants pour succéder à Rached Ghannouchi dont le règlement intérieur du parti lui interdit de briguer une nouvelle candidature lors du prochain du congrès du parti, lequel devrait se tenir incessamment.

La question qui reste à poser serait donc de savoir si les Tunisiens doivent regretter ou non le départ de Zied Ladhari. La réponse est en principe par la négative, à notre avis, en ce sens où il n’a vraiment pas donné satisfaction dans les trois postes ministériels qu’il a occupés.

Un ministre à oublier

Pour preuve, quand il était ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, il a géré de manière catastrophique le programme d’insertion des jeunes dans le monde du travail «Forsati» pour lequel une enveloppe budgétaire de 90 millions de dinars avait été allouée. Le résultat est affligeant: seulement une soixantaine d’emplois ont été créés.

Quand il était ministre de l’Industrie et du Commerce, il a à son actif d’avoir ouvert le marché tunisien aux produits turcs et d’augmenter le quota des concessionnaires automobiles pour l’importation de véhicules de luxe.

Enfin, en tant que ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, il s’est comporté comme un ministre régalien. Il a passé le plus clair de son temps soit entre deux avions, soit au bureau pour signer des conventions de prêt. On l’a rarement vu dans les régions, particulièrement à l’ouest du pays alors que les volets “investissement“ et “développement“ relevaient de son département.

Il a poussé son cynisme en tant que ministre de l’anti-développement jusqu’à suspendre, sans donner des raisons objectives, une étude de faisabilité technico-économique pour le lancement d’un projet de développement structurant «Jenene Mejerda» dans la région de Béja. Comble de l’aversion de Ladhari pour l’intérieur du pays, l’étude était financée par un don koweïtien.

Ainsi, au regard de son bilan pas réellement positif, le départ de Zied Ladhar ne devrait pas être regretté, tout autant du reste que celui des personnalités nahdhaouies et autres qui ont eu à assumer des responsabilités gouvernementales, depuis 2011.