Loin de vouloir s’immiscer dans le conflit qui oppose le président de la République au chef de gouvernement qu’il a plébiscité et sur lequel il a mis tous ses espoirs de «gouverner» lui-même en Homme fort du pays avec, également, des alliés qu’il s’est rallié depuis 2014, il serait intéressant de nous pencher de manière sommaire sur le bilan de près de 4 ans de règne de BCE, d’Ennahdha et les chefs de gouvernement successifs. Car ce à quoi nous assistons impuissants aujourd’hui est une suite de batailles entre chefs avec des «armées» élus démocratiquement pour prêter allégeance aux personnes beaucoup plus qu’au pays et au peuple.

Sur le plan sécuritaire, les réalisations de la Tunisie en matière de lutte contre le terrorisme n’ont pas mené à l’éradication du phénomène terroriste. Ce n’est pas normal lorsque nous savons que nos frontières sont poreuses et que les terroristes y circulent presque librement menaçant la plupart du temps les populations de représailles en cas de non ravitaillement.

Un haut responsable dans un département ministériel important du gouvernement témoignait il n’y a pas si longtemps : «Parler de lutte contre le terrorisme est en soi-même un aveu de l’incapacité de l’Etat à y mettre un terme ou peut-être de l’absence d’une volonté réelle pour y parvenir. Aujourd’hui, nous devons parler de l’éradication pure et simple des terroristes et nous en avons les moyens. Ces terroristes n’ont pas peur et il y a des zones dans notre pays où ils se sentent très sécurisés».

Les militaires estiment pour leur part que le mont Chaambi peut être ratissé et nettoyé en long et en large par des troupes de l’armée et des forces de la garde nationale. A chaque fois que le président de la République préside le Conseil national de sécurité, on parle de lutte et de plans conséquents contre le phénomène terroriste, mais concrètement, les terroristes tunisiens dont les relations avec les contrebandiers sont étroites restent fort présents sur le terrain. Il aurait fallu commencer par lutter efficacement contre la contrebande et tarir leurs sources de financement en menant des enquêtes approfondies sur nombre d’associations dont les liens avec les acteurs du terrorisme à l’échelle nationale sont connus, et en emprisonnant, dans le cadre de la loi sur l’état d’urgence, les contrebandiers financiers.

Pourquoi tant d’hésitations et tant de peurs? Qui les protège ? Toutes les déclarations du président de la République ne répondent pas à ces interrogations et ne suffisent pas à rassurer les Tunisiens qui l’on élu pour vivre en paix et en sécurité.

Suite à la prorogation de l’Etat d’urgence, Mustapha Saheb Ettabaa, ancien officier de l’armée tunisienne et aujourd’hui leader d’un mouvement politique baptisé «Agissons pour la Tunisie», a déclaré ce qui suit : «Ce qui se passe devient tragique et ridicule. L’État d’urgence est décrété alors que la loi est jugée anticonstitutionnelle. Donc juste un effet d’annonce. Les terroristes ont encore de beaux jours devant eux».

La sécurité économique est menacée

Mais il est une autre sécurité qui n’est pas à ce jour assurée, celle alimentaire, et nous en souffrons quotidiennement au vu de la pénurie de nombre de produits alimentaires de base dont le lait et les œufs ainsi que la cherté des autres, ce qui a dangereusement érodé le pouvoir d’achat non pas des classes pauvres mais de celles moyennes qui se sont appauvries d’année en année depuis 2011, et la situation des régions qui se plaignaient de marginalisation ne s’est pas améliorée avec le temps.

Taoufik Baccar, ancien gouverneur de la BCT, n’a pas manqué de le souligner faisant allusion aux régions. «La pression exercée sur les finances publiques avec les conséquences que cela implique au plan régional. A prix constants, le titre II du Budget de l’Etat aurait baissé de plus de 40% entre 2011 et 2018, ce qui n’a pas manqué d’impacter le niveau des investissements publics dans les régions. Par ailleurs, la léthargie du secteur privé sous l’effet de la crise de confiance qui prévaut dans le pays depuis des années, n’a pas arrangé les choses, loin s’en faut. Enfin, les efforts engagés auparavant dans ce domaine n’ont pas été préservés, poursuivis ni consolidés, car le choix de la voie de la rupture en a décidé autrement».

Il rappelle à ce propos l’absence d’initiatives porteuses telles celles qui ont permis d’amener des investisseurs étrangers à installer d’importantes unités industrielles générant des milliers d’emplois à Gafsa (Yazaki), Siliana (Draxlmayer), Jendouba (Somitomo), Béja (Krumbert et Schoubert), Le  Kef (Coloplast), et le quasi-gel des institutions de développement régional durant une longue période (Offices de développement régional, sociétés régionales d’investissement, BFPME, BTS, etc.) ont arrêté presque tout processus de développement dans les régions.

L’incapacité de relancer la production énergétique de la Tunisie, qu’il s’agisse d’hydrocarbures ou des minerais ont fini par mettre l’économie nationale à genoux.

Les députés, soucieux de garder leurs «richesses» naturelles pour eux sont-ils conscients qu’ils ont fait fuir toutes les sociétés pétrolières du pays à cause d’une loi mal formulée et bêtement protectionniste à souhait? Sont-ils conscients que si la valeur du dinar dégringole de jour en jour, c’est à cause de pareilles bêtises commises par des politiques incompétents, populistes qui maîtrisent la démagogie avec brio mais rien d’autres.

Sont-ils également conscients qu’en faisant chaque jour que le bon Dieu fait l’école buissonnière à l’ARP où ils doivent participer aux commissions économiques et adopter des lois, ils menacent la sécurité économique du pays et délaissent les régions qu’ils prétendent défendre, en braillant régulièrement dans l’enceinte de l’ARP?

Des déficits qu’on n’arrive plus à corriger et des incompétences notoires

Autres précisions de Taoufik Baccar : “En 2011, l’euro était à DT 1,92 et le dollar US à DT 1,44. Aujourd’hui, le dollar US est à 2,97 soit le double de sa valeur de 2011, et l’euro est à 3,35”.

Les allocations touristiques qui ont été portées entre 2004 et 2010, de 1.000 DT à 6.000 Dt, ne représentent plus qu’environ 1.700 euros contre 3.100 euros à la fin de 2010 et 2.070 dollars US contre 4.170 dollars.

Les déficits extérieurs ne désarment pas : le déficit du commerce extérieur sera probablement aux alentours de DT 20 milliards de dinars en 2018 et, depuis le mois d’août, ce déficit est à DT 2 milliards par mois, soit un rythme annuel de DT 24 milliards contre DT 6 milliards de dinars seulement moins de dix ans auparavant (données de 2009).

“Le déficit des paiements courants sera quant à lui de plus de 10% du PIB en 2018 et ce pour la deuxième année consécutive et à une moyenne de plus de 8,5% durant la période 2011-2018. Du jamais vu dans ce pays depuis son indépendance avec ce que cela signifie en termes d’endettement extérieur supplémentaire”.

Quelles sont les réalisations économiques de tous les gouvernements post révolutionnaires depuis 2011? Qu’en est-il des 82 projets dont la valeur globale était de 17,731 milliards d’euros répartis sur 20 secteurs et proposés aux investisseurs et bailleurs de fonds lors de la Conférence internationale de l’investissement “Tunisia 2020” tenue les 29 et 30 novembre 2016? Combien de projets réalisés, combien d’emplois créés?

Lire aussi: Tunisia 2020 : Comment concrétiser les projets qui seront financés par la Banque mondiale

Les seuls communiqués qui nous parviennent ces derniers temps du ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération international, présidé par l’indéboulonnable Zied Ladhari du parti Ennahdha, se rapportent à des accords de financement bilatéraux avec des institutions internationales destinés à des projets environnementaux ou liés aux nouvelles énergies et encore rien de vraiment notable !

Y a-t-il eu signature pour de grands investissements dans les régions venant de l’étranger ou des nationaux?

Par ailleurs, ayons l’humilité de reconnaître que du temps du «bénalisme», méprisé et abhorré, le népotisme facilitait l’accès de plus 20% de dirigeants aux hautes fonctions et à la direction des grands établissements publics à l’instar de la CPG, les 80% restants étaient reconnus pour leurs CV biens garnis, leurs expériences managériales et leurs compétences. Aujourd’hui, nous aimerions bien trouver au moins 20% de compétences occupant les “bons” postes.

Mais il est évident qu’un régime politique bâtard dont la philosophie même est non pas d’assurer les équilibres économiques du pays et de garantir les fondamentaux, mais de partager équitablement les postes entre partis alliés ne peut que produire une gestion médiocre, une absence de prise de décisions, un manque d’imagination et un laxisme révoltant quant aux débordements que nous voyons partout dans l’administration publique, qu’il s’agisse de ministères ou des différentes institutions de l’Etat.

Résultat des courses? C’est l’allégeance qui prend le pas, étant la seule garantie pour accéder aux hautes sphères administratives ou ministérielles. Nous voulions des politiques, nous en avons plein aujourd’hui et partout. Que gagne la Tunisie? Que gagne le peuple? Plus de paupérisation et moins de développement. Rien de grave, nous sommes en démocratie. Alléluia !

Rendons grâce aux nouveaux dirigeants d’avoir non seulement mis en faillite les caisses sociales, stoppé net les investissements dans le secteur des hydrocarbures pour “préserver“ les richesses nationales, entortillé toutes les lois encourageant l’initiative privée et l’investissement et avoir privé le pays de ressources précieuses en devises alors que la contrebande et l’économie parallèle sont devenues des activités florissantes en l’absence de lois réellement coercitives !

Abdelaziz Halleb, entrepreneur et membre exécutif de l’UTICA, rappelle qu’au cours des cinquante dernières années, la Tunisie a perdu 2 décennies de développement : 80-90 et 2008-2018. Pour lui, le défi pour le gouvernement d’après 2020 est de remettre le pays sur le chemin de la croissance et d’amener le PIB à 120 milliards de dollars (contre 40 actuellement, le même niveau qu’en 2007). Là où la Tunisie aurait pu être en 2020 si le gouvernement de 2005 avait osé entamer les réformes nécessaires et si “les freins nationaux” n’avaient pas été actionnés.

A quelques mois des prochaines élections législatives et présidentielle, le gouvernement en place osera-t-il réellement la révolution des réformes ?  Rien ne l’y prédispose.

Amel Belhadj Ali