Les derniers événements de Kasserine amènent à poser de nouveau la question de l’emploi et du développement dans ce gouvernorat et de façon plus générale la problématique du développement régional et de l’emploi dans son ensemble. Le pays ne peut plus faire la sourde oreille face à ces questions vitales ; il n’en a pas droit.

Évidemment, la situation ne date pas d’aujourd’hui, mais force est de constater que durant les dernières années, elle s’est particulièrement détériorée, notamment avec la baisse du budget d’investissement sous l’effet de la pression exercée sur les finances publiques avec les conséquences que cela implique au plan régional. A prix constants, le titre II du Budget de l’Etat aurait baissé de plus de 40% entre 2011 et 2018, ce qui n’a pas manqué d’impacter le niveau des investissements publics dans les régions.

Par ailleurs, la léthargie du secteur privé sous l’effet de la crise de confiance qui prévaut dans le pays depuis des années n’a pas arrangé les choses, loin s’en faut.

Enfin, les efforts engagés auparavant dans ce domaine n’ont pas été préservés, poursuivis, ni consolidés, car le choix de la voie de la rupture en a décidé autrement.

Ainsi, entre 2005 et 2010, le ministère de l’Industrie, conduit par notre ami Afif Chelbi et la BCT, s’affranchissant quasiment de son rôle traditionnel, avaient mis en œuvre des mécanismes concrets de promotion des investissements privés visant les régions de l’ouest du pays.

Les efforts menés avec l’appui des autorités régionales et l’API -conduite par un directeur général dynamique en la personne de Mohammed Ben Abdallah- ont permis d’amener des investisseurs, notamment étrangers, à installer d’importantes unités industrielles générant des milliers d’emplois à Gafsa (Yazaki), Siliana (Draxlmayer), Jendouba (Somitomo), Béja (Krumbert et Schoubert), Le Kef (Coloplast).

A fin 2010, seuls deux gouvernorats de l’ouest et du centre, ceux qui souffrent le plus aujourd’hui, n’ont pu bénéficier de cette dynamique (Kasserine et Sidi Bouzid) bien que Kasserine ait pu profiter d’un mécanisme de sous-traitance des activités du groupe Benetton, ce qui a permis de créer près d’une quarantaine d’entreprises de sous-traitance.

La mise au pas de ces deux mécanismes de développement de l’industrie et de l’emploi dans les régions, les grèves et les bras de fer connus notamment par Yazaki à Gafsa et Coloplast au Kef et le quasi-gel des institutions de développement régional durant une longue période (Offices de développement régional, sociétés régionales d’investissement, BFPME, BTS, etc.) ont quasiment arrêté tout processus de développement dans les régions.

Dans mon dernier livre, je reviens à toutes ces questions et de façon générale, au problème du développement régional avec un nouveau concept : faire de la Tunisie dans son ensemble une bande côtière compétitive et intégrée à son environnement régional ainsi que des instruments dont certains sont imprégnés des expériences menées durant la période 2005/2010.

Je considère que loin des professions de foi et des vœux creux, une démarche concrète doit être rapidement mise en œuvre.

Par ailleurs, tout doit être mis en œuvre pour que le budget d’investissement de l’Etat cesse d’être une variable de solde et de couverture des déficits d’un budget, devenu d’une grande fragilité.

A cet égard, j’aurais personnellement préféré, comme c’était le cas auparavant, que le Titre II du budget soit rattaché à un grand ministère du Développement, débarrassé des fonctions de coopération internationale et à larges attributions en matière de développement régional et d’emploi.

J’aurais également aimé que la refonte du Code des investissements aboutisse à un seul objectif horizontal, celui de l’encouragement du développement régional et que la soumission du régime exportateur à l’impôt exclue, au moins pour une certaine période, les zones prioritaires de développement régional.

Mais encore une fois, le choix de la rupture avec le passé avec ses succès et ses échecs en a décidé autrement.

Nous ne l’avons jamais assez dit, les compétences acquises et les expériences passées sont un patrimoine national qui n’appartient à personne et un pays ne peut être construit en faisant fi de ce patrimoine et de son histoire.

On doit à Ferdinand Foch cette citation pertinente pour la circonstance : « Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ».