Finie la crise. Le secteur du textile/habillement se met en dynamique de rebond à l’export. Le sourcing local peut-il l’aider ? Quelles sont ses possibilités de progression sur le marché international ? Ne faut-il pas de nouvelles alliances avec les distributeurs ?

Le secteur est appelé à faire des choix forts pour renforcer son positionnement sur le marché international, à l’avenir.

Les textiliens et les confectionneurs tunisiens ont la pêche. La crise est derrière nous, disent-ils, en chœur. Le secteur retrouve du punch. Ils reviennent de loin. Sur le marché européen, ils ont rebondi plus haut et plus fort que tous les autres concurrents. Les professionnels ont la “grinta“ et sont motivés pour revenir dans la partie grâce à leurs propres efforts de redéploiement. Ils veulent en découdre avec leurs compétiteurs, faisant valoir leurs atouts. Façon de prouver qu’ils ont l’étoffe des conquérants.

Le secteur du textile/habillement retrouve la santé

Le secteur remonte la pente. Il a rassemblé ses forces après que la crise eut siphonné plus de 40.000 emplois. Le secteur a fait le saut de palier de la qualité autant pour la production que pour le management. Pareil pour la réactivité et la veille. On le sent dans les propos incisifs de l’ensemble des professionnels, qu’on voit plus aguerris et déterminés.

C’est de par leurs propres efforts qu’ils ont fait repartir le business. Et voilà le secteur qui gagne +4% sur un marché européen… atone. La performance est à saluer.

Et de fil en aiguille, le T&H se met en ordre d’offensive et compte ses chances de progression à l’international. Le “Made in China“ et le “Made in Turkey“ l’ont agressé à domicile. Or, les experts soutiennent que l’export passe par le marché local. Pourra-t-il les évincer pour que ses propos soient confortés par ses actes ?

Ils l’ont également malmené sur le marché européen. Durement challengé, il prospecte les possibilités de faire ses emplettes chez les fournisseurs locaux. Le sourcing domestique serait une carte maîtresse si les professionnels, en amont de chaîne, c’est-à-dire les textiliens, témoignait du répondant nécessaire.

Le haut débit de production et le soin d’anoblissement des tissus sont les composantes de la solution. Ce n’est pas acquis pour le moment, mais c’est à explorer. Le secteur est deuxième exportateur du pays. Ainsi, pour les neuf premiers mois de l’année 2018, il a exporté pour 6,5 milliards de dinars. Il a aussi importé pour 5 milliards de dinars. Cela lui fait un solde de 1,5 milliard de dinars. La valeur ajoutée reste, hélas, son talon d’Achille.

Le T&H est aussi gros employeur. A l’heure actuelle, il existe 1.590 entreprises employant plus de 10 personnes totalisant 160.000 salariés. Le secteur compte 1.315 entreprises totalement exportatrices qui emploient 145.000 salariés.

Le T&H a subi une grande secousse depuis 2011 et il a vu son projet phare, celui du Technopôle Manouba El Fejja, accuser un certain retard. Et puis, on l’a vu amorcer une percée à l’export. Les professionnels ont eu assez de cran et d’énergie pour se reprendre, et le business redémarre.

Le marché européen et ses contraintes

La bonne nouvelle vient de ce que le marché européen marque une préférence pour la proximité. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il va tourner le dos aux confectionneurs d’Asie. Cette tendance contribue à faire revenir la Tunisie dans la partie. Sur ce marché, le secteur réalise de jolies performances. Près de 50% de la lingerie féminine est fabriquée en Tunisie.

Certaines actions phares se sont révélées payantes. Une expédition vente a été organisée sur le bateau Carthage de la CTN (Compagnie tunisienne de navigation), au port de Barcelone. L’initiative aurait été un plein succès commercial. Les professionnels espagnols étaient venus nombreux et les commandes ont suivi.

En Europe, précisent les experts internationaux, le défi est double. Il y a d’abord un objectif d’expansion. La Tunisie, trop focalisée sur trois pays traditionnels que sont l’Italie, la France et l’Espagne, est appelée à prendre pied sur certains marchés importants tel la Grande-Bretagne.

Ensuite, il y a à déterminer un positionnement commercial. A quel niveau de gamme on veut jouer. Un autre élément n’est pas à négliger, à savoir le choix des canaux de distribution. Il y a les centrales d’achat, les chaînes spécialisées, sans négliger les ventes par internet qui progressent rapidement. De la sorte, il serait plus commode de recalibrer l’offre.

Le CMR du mois de juin 2017 avait fixé deux objectifs. Le premier est de permettre au secteur de s’ancrer dans la cotraitance.

Échappant à la mainmise des gros ordonnateurs, il irait vers son émancipation en proposant des produits finis, en propre. Cela donnerait plus de force au secteur pour conforter sa position. A ces conditions, il serait en situation de mieux se profiler entre les géants qui régentent le marché européen.

Il y a bien entendu le peloton de tête. Et on ne peut espérer se comparer aux titans que sont la Chine, l’Inde et les Etats-Unis. Cependant, en mezzanine, il faut trouver les moyens de bousculer la donne avec des concurrents tels que le Brésil, l’Egypte, la Turquie, le Bangladesh ou le Maroc. L’affaire n’est pas simple étant donné que l’Europe nous pénalise en nous privant de la double transformation. En revanche, elle l’accorde à la Turquie accentuant davantage l’ascendant turc sur le T&H tunisien.

Les règles d’origine accordent l’exonération des droits de douanes à partir d’un taux d’intégration de 40%. Quand ce taux est réuni à partir de deux pays, par exemple de la cotonnade égyptienne et de la confection tunisienne, normalement l’exonération est maintenue. Depuis que le secteur n’achète plus de tissus en Europe, l’Union nous l’a retiré, tout net.

Les négociateurs tunisiens sauront-ils le récupérer lors des pourparlers de l’ALECA ? En attendant, afin de contrer ces fragilités, les professionnels demandent certaines mesures d’accompagnement, à l’effet d’appuyer le redéploiement commercial sur l’Europe. Il s’agit pour eux que le pays reprofile un travail d’image building qui profiterait d’abord au site national et, par ricochet, au T&H. Ce ne sera pas déterminant. Mais c’est d’une certaine utilité.

Le T&H à l’épreuve du forcing turc

Le secteur a beaucoup souffert de l’offensive turque. Deux faits se superposent. La chute vertigineuse de la lire turque a créé comme une situation de dumping de change en faveur de la Turquie.

Par ailleurs, les excédents de stocks turcs, qui viennent en surplus des commandes des grandes centrales, tel Inditex, sont écoulés en Tunisie à des prix de bradage. Très loin des prix de marché.

Nous ajouterons, sous notre propre responsabilité, que les exportations turques vers la Tunisie empruntent les voies de l’informel. Et ce n’est pas fair play. Et, la question prend une dimension d’affaire d’Etat.

Le défi d’avenir

Le secteur trouverait-il chaussure à son pied en se cantonnant au sourcing local ? Cela ne peut constituer qu’un palliatif, de notre point de vue. Quand on exporte sur le marché mondial, on s’approvisionne dans le même espace. La préférence nationale reste, de ce point de vue, peu opérante. Le secteur vit toujours avec une faible valeur ajoutée.

Le T&H français emploie 250.000 personnes, tout autant que le T&H tunisien. Et on connaît, hélas, l’écart de la valeur ajoutée entre les deux. La question est donc de bâtir des avantages comparatifs et compétitifs, consistants. Le secteur s’est refait une santé, au plan productif et c’est bon signe. Il lui faut trouver, désormais, les moyens de se bâtir une puissance marchande. C’est là son nouveau défi. Il ne faut plus chercher à accabler le secteur avec le seul objectif d’employer la main-d’œuvre locale, peu qualifiée. Sa rentabilité doit figurer comme priorité. Quitte pour cela à s’implanter à l’international. Le pays se payera sur le retour sur investissement. On ne devrait voir aucun mal à cela.