Deux jours après le succès de la grève générale dans la fonction publique, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) convoque une réunion de sa commission administrative pour évaluer cette forte mobilisation et se prononcer sur les actions ultérieures. Ainsi, samedi 24 novembre, cette dernière a décidé de faire monter les enchères et de programmer, pour le 17 janvier prochain, une nouvelle grève générale dans la fonction publique (administration) et le secteur public (entreprises publiques).

Cette grave décision, si elle est maintenue, annonce un hiver social très chaud. Elle semble avoir donné, du moins au regard de son hypermédiatisation, des cauchemars à la nouvelle coalition gouvernementale Ennahdha–Youssef Chahed issue du dernier remaniement ministériel. Cette même coalition qui a refusé d’augmenter les salaires dans la fonction publique alors qu’elle l’avait acceptée dans les secteurs public et privé.

Cette grève est d’autant plus préoccupante qu’elle bénéficie, même par défaut, de l’appui d’importantes franges de la société, et surtout de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) et de l’Union nationale de la femme de Tunisie (UNFT), voire de la centrale patronale (UTICA).

C’est que la situation socio-économique dans le pays est devenue intolérable par l’effet conjugué de la cherté de la vie, de la modicité des salaires et de l’incompétence des gouvernants. La forte campagne de communication qu’a faite la centrale sur la réalité des salaires a touché l’ensemble des Tunisiens. Quand Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT, révèle, en public et dans les médias, que les travailleurs tunisiens travaillent 4 semaines pour n’être rémunérés que l’équivalent d’une semaine, un tel constat ne peut que faire mouche.

L’UGTT courtisée par ses pires ennemis

Ebranlés par cette démonstration de force de l’UGTT qui devrait changer les rapports de force en place, Youssef Chahed a été amené, lors de la présentation, le même jour de la réunion de la Commission administrative de la centrale syndicale, de la déclaration du gouvernement, à l’occasion du démarrage du débat budgétaire sur le projet de loi de finances 2019, à tenir un discours conciliant envers l’UGTT et à la féliciter même pour l’excellent organisation de la grève générale de la fonction publique.

Son ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi, a été plus direct. Il a déclaré à l’Agence TAP que le gouvernement «examine actuellement un accord avec l’UGTT pour assurer une augmentation de salaires dans la fonction publique et éviter la prochaine grève générale».

Mieux, les députés du parti Ennahdha, dont le président, Rached Ghannouchi, assumerait une grande responsabilité dans le rejet de l’augmentation des salaires dans la fonction publique, ont changé de ton, appelant le gouvernement à reprendre le dialogue avec l’UGTT.

Les députés nahdhaouis, Mohamed Ben Salem et Leila Oueslati, ont insisté sur l’urgence d’accorder aux agents de la fonction publique leur droit à l’augmentation salariale et de prendre au sérieux le préavis de grève générale pour le mois de janvier prochain.

Les nahdhaouis, pires ennemis de l’UGTT dans la mesure où ils ont toujours cherché à la marginaliser, particulièrement au temps de la Troïka, cherchent apparemment à limiter les dégâts, à gagner du temps et à barrer, momentanément, la route devant ceux qui tentent de tirer profit des mouvements de grève déclenchés par la centrale syndicale.

Quant à la deuxième tête de l’exécutif, la présidence de la République, le président Béji Caïd Essebsi donne l’impression qu’il se délecte de la détérioration de la situation dans le pays, lui qui, en principe, devait être le premier à se soucier de la stabilité générale dans le pays. C’est, dit-on, l’exception tunisienne en ce sens où tout est à l’envers ne serait-ce qu’à ce titre : le parti vainqueur aux dernières élections législatives de 2014 et dont est issu l’actuel chef de l’Etat ne gouverne pas.

Que mijote l’UGTT après sa démonstration de force ?

Abstraction faite des réactions des uns et des autres, la question est de se demander sur la nature de la stratégie que l’UGTT compte adopter pour valoriser cette démonstration de puissance qui l’érige de fait au stade de première force régulatrice du pays.

Du côté des dirigeants de la centrale syndicale, la tendance est de ne plus connaître des situations difficiles pareilles. Ils veulent en finir avec des gouvernants apatrides, incompétents et irresponsables. Lors des meetings qu’il préside, Noureddine Taboubi appelle constamment ses troupes à «se tenir prêts pour les prochaines échéances électorales».

Faut-il entendre par là que l’UGTT projette de se convertir en parti politique, projet qui avait donné des soucis à Bourguiba, premier président de la République tunisienne ? Ou va-t-elle soutenir un des partis ou un pool de partis capables de défendre les intérêts de ses adhérents au Parlement?

Même s’il est vieux en raison du rôle historique qu’avait joué et joue encore la centrale syndicale dans l’Histoire contemporaine de la Tunisie, le débat vient d’être relancé plus sérieusement cette fois-ci.