La direction des 13èmes Rencontres cinématographiques de Hergla a présenté les recommandations des professionnels et acteurs officiels et privés dans le secteur du cinéma présents à la table ronde sur une meilleure sauvegarde et une efficiente promotion du patrimoine cinématographique en Tunisie, organisée dans le cadre des Rencontres qui se sont déroulées du 25 au 28 août 2018.

Pour un recensement systématique des archives

Les participants ont déploré l’absence d’une vision nationale claire visant à protéger ce patrimoine dont des pans entiers sont dans un état de dégradation, ce qui risque d’entraîner la perte des œuvres cinématographiques et de précieux documents audiovisuels.

Ils ont insisté sur le fait qu’une stratégie de sauvegarde suppose l’élaboration, au préalable, d’un recensement systématique de tout ce qui existe comme archives filmiques en Tunisie. Cela est d’autant plus important que ces films ne se limitent pas aux fonds relevant des services du ministère des Affaires culturelles, mais sont disséminés à travers diverses institutions publiques comme l’Office du tourisme, les télévision tunisiennes (publiques et privées), le ministère de l’Agriculture, le Planning familial ou encore les ministères de l’Intérieur, de la Défense et de la Justice.

Le Fonds de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (FTCA, plus de 1.400 titres) ou encore le patrimoine privé des familles qui, à la faveur de nombreuses occasions (cérémonies diverses, fêtes, voyages…) enregistrent et immortalisent par conséquent des moments forts de leur histoire personnelle qui rejoint, sous l’effet du temps, la mémoire collective et l’Histoire nationale, voire humaine.

Revisiter et moderniser le cadre juridique du patrimoine filmique

Sur le plan juridique et administratif, deux points ont notamment focalisé l’attention des participants.

Ils ont, dans un premier point, relevé un certain flou quant aux prérogatives spécifiques de chaque structure ou établissement en rapport avec le secteur du cinéma.

Certes, tous les services concernés sont placés sous la tutelle d’un seul département, en l’occurrence le ministère des Affaires culturelles, mais cela ne doit pas exclure la nécessité de définir en termes précis la mission de chaque service, notamment en matière des archives et du patrimoine cinématographique en général. Cela est d’autant plus important que les exemples de confusion entre les dits-services, relevés par les participants, n’ont cessé d’affecter dangereusement toute initiative ou mesure relative à la gestion du dossier des archives filmiques.

Le deuxième point concerne la question de propriété des copies des œuvres déposées aux services du ministère des Affaires Culturelles qui mérite selon les participants à s’y pencher avec sérieux et urgence.

En effet, dans un contexte national et international marqué par un vif débat autour de la propriété intellectuelle et surtout par la promulgation de nouveaux textes juridiques, il est impératif, aux yeux des participants, de redéfinir les termes des rapports entre l’administration publique et les ayants droit.

A ce propos, plusieurs cas ont été évoqués qui soulignent le manque de clarté et de translucidité quant à l’interprétation absurde et insensée de certaines dispositions administratives, jugées ambiguës et anachroniques.

L’utilité des Archives cinématographiques : Dépasser la logique du Centre et de la Périphérie

Partant de l’idée que le patrimoine cinématographique et audiovisuel est une composante précieuse et incontournable de l’identité tunisienne et un champ fort utile tant sur le plan culturel, historique et pédagogique, il demeure nécessaire, selon les participants, de prendre en considération les moyens nécessaires pour sauvegarder, préserver et promouvoir ce trésor.

Dans cette perspective, envisager la création d’un Centre national des archives cinématographiques et audiovisuelles est une possibilité comme une autre, en tant que structure indépendante ou greffée à une des institutions existantes. L’essentiel est de conférer à cette structure l’efficacité requise et la flexibilité nécessaire en raison de la nature même du secteur.

Cependant, cette efficacité ne serait pas assurée sans une politique de décentralisation des activités de ce Centre. En effet, comme c’est le cas dans plusieurs pays européens, une agence régionale ou musée local de l’image aurait la performance requise d’explorer des pans entiers de ce patrimoine filmique et même iconographique dans quatre ou cinq grandes régions de la Tunisie.

Faut-il préciser que la mission de telles structures d’archives s’articulerait autour de quatre axes : recenser, recueillir et sauvegarder, promouvoir et diffuser selon des programmes ponctuels et finalement étudier ce patrimoine comme corpus qui se prête à la recherche et à l’étude.

Pour donner forme aux recommandations énoncées, les participants à la table ronde ont proposé la création d’une grande commission ad-hoc qui sera chargée d’élaborer une vision globale de ce programme et une stratégie d’action.

Pour ce faire, les participants suggèrent la constitution au préalable de trois groupes de travail qui auront pour missions d’œuvrer en étroite collaboration avec la direction chargée des archives cinématographiques et audiovisuels au sein du ministère des Affaires culturelles et de définir chacun en ce qui le concerne en termes factuels, précis et rigoureux les trois volets de ce vaste programme, à savoir :

– Un groupe chargé d’examiner le cadre juridique et de proposer les réformes nécessaires en vu de créer les institutions spécialisées et les lois indispensables et idoines pour préserver ces mémoires publique et privée primordiales pour un avenir meilleur.

– Un groupe chargé d’étudier les meilleures modalités concrètes pour recenser, archiver, sauvegarder et promouvoir ce patrimoine, tant sur le plan régional que national.

– Un groupe de veille chargé d’alerter la société civile, l’opinion publique, les structures administratives et gouvernementales sur l’urgence de sauver ce patrimoine de la dégradation alarmante, et de veiller à questionner continuellement l’administration et les responsables de l’état sur d’avancement de leurs actions partant du principe que cette question concerne toutes les générations du pays, voire même l’humanité entière.

Pour rappel, et dans le cadre de leur 13ème édition intitulée “Mémoire Cinématographique de Hergla” placée sous le signe de la préservation et la promotion du patrimoine cinématographique et audiovisuel tunisien, les Rencontres cinématographiques de Hergla ont invité un ensemble de cinéastes, critiques, universitaires, cadres au ministère des Affaires culturelles, le directeur artistique de la Cinémathèque tunisienne, des étudiants en audiovisuel, ainsi que des experts étrangers à une table ronde au cours de laquelle, les participants ont examiné une série de questions relatives à l’état actuel des archives cinématographiques et audiovisuelles en Tunisie, le cadre juridique et administratif qui gère, définit les prérogatives de tous les partenaires, détermine les dispositions d’utilisation de ces archives par les professionnels au plan national et international et enfin protège l’intérêt des ayants droit aussi bien privé que public ainsi que les modalités et les structures qui auront la charge d’accueillir, de préserver et de promouvoir l’ensemble de ce patrimoine.