Alors que l’ISIE, par la voix de l’un de ses membres, Anouar Ben Hassine, a annoncé 900 violations lors de la campagne électorale dont 121 ont été déférées au parquet et se rapportent en premier à l’achat des voix, la rupture du silence électoral, l’échange de violences et l’exploitation des ressources de l’Etat, la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE), elle, ne tarit pas d’éloges sur la réussite des élections tunisiennes. C’est être plus royaliste que le roi !

«Un scrutin crédible», a déclaré Fabio Massimo CASTALDO, chef observateur de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE) en Tunisie et vice-président du Parlement européen. Il est bien le seul à le penser mis à part ceux et celles qui ont commis des violations tout au long de la campagne électorale et le jour du scrutin.

Des associations tunisiennes ont, en effet, dénoncé nombre de dépassements et d’abus. Le mercenariat politique électoraliste a battu son plein, et nombreux sont les témoignages qui attestent que des partis sont allés jusqu’à offrir de l’argent et des couffins pleins de provisions pour le mois de ramadan pour acheter les voix. Une habitante à Hammam-Lif nous a assuré que lors de la dernière journée de la campagne, certains membres du parti islamiste auraient offert la somme de 100 Dt pour tout électeur potentiel ; pareil pour les cités telles que Mellassine ou Hay Hlel, où de nombreux témoins ont confirmé la pratique de l’achat des voix par les plus offrants et ceux qui disposent de plus de moyens. C’est à se demander pourquoi on a justement choisi cette date qui précède de 10 jours l’avènement du mois de ramadan !

Même si elles sont insignifiantes, certaines pratiques ne peuvent que nuire au processus électoral et à la culture démocratiques.

Ainsi, des rapports des associations ATID, Jeunes Sans Frontières attestent que des partis ont procédé au transport des électeurs vers les centres de scrutin, qu’il y a eu interdiction aux sécuritaires retraités de voter dimanche 6 mai arguant qu’ils devaient le faire une semaine auparavant alors qu’ils avaient la confirmation de l’ISIE pour dimanche dernier (6 mai).

Elles ont relevé le non-respect du silence électoral par les familles des candidats et ont exprimé leur indignation face à la violence survenue dans nombre de centres de votes entre les représentants des partis en lice.

A Sidi Fraj (Ariana), on a dénoncé l’incitation des électeurs à voter Ennahdha par une dame membre du bureau de vote dont le père était un candidat. L’ISIE n’aurait-elle pas dû procéder aux vérifications nécessaires pour éviter le conflit d’intérêt ?

A Mahdia, un électeur a voté deux fois en usant de deux cartes d’identité, Et dans de nombreux centres, on a remarqué la mise en place par les partis de toute une logistique pour le transport des électeurs ayant des besoins spécifiques.

Lors du dépouillement, relève ATIDE, il y a eu nombre d’infractions dont l’interdiction aux observateurs de photographier les PV des votes accrochés aux bureaux de vote de La Marsa (par exemple), un dépouillement anarchique à Médenine et mixtion de bulletins de votes entre Djerba et Zarzis.

Des déclarations attribuées à Chafik Boussarsar, ancien président de l’ISIE, indiquent qu’Ennahdha aurait dépassé de 55% le seuil des financements définis par la loi pour les campagnes électorales.

Si ces quelques exemples de mauvaises pratiques, pendant et le jour des élections, ne surprennent pas les Tunisiens qui s’y sont habitués depuis 2011 -et nous supposons qu’elles sont de loin plus nombreuses dans la réalité-, il est quand même étonnant que la Mission d’observation de l’UE considère qu’il ne s’agit là que de quelques défaillances techniques. «Le scrutin a cependant été marqué par certaines faiblesses techniques et une participation assez modeste, dont il faudra tirer les leçons. En particulier, la faible participation des jeunes est un sujet de préoccupation», a déclaré le chef observateur.

Que de tolérance envers la jeune démocratie que nous sommes !

Et pourtant, quel mérite ont certains partis à réaliser des scores élevés dans des élections où ils ont acheté des voix ? La pauvreté et le dénuement d’un pan du peuple tunisien justifieront-ils le mercenariat politique auquels s’adonnent sans vergogne les partis en place ?

Pouvons-nous faire confiance à des élus qui ont réussi parce qu’ils disposent de moyens financiers colossaux qui leur permettent d’acheter qui que ce soit et n’importe où ?

Pourquoi la MOE n’a pas condamné ouvertement pareilles pratiques ou estimerait-elle que nous les méritons et que dans des pays comme le nôtre la démocratie peut se passer de morale et d’éthique ?

Quelle crédibilité accorder à des élections où l’argent a pris le pas sur les programmes électoraux ?

Rien de grave pour l’Union européenne, car «le scrutin s’est généralement déroulé dans le calme, malgré quelques retards et incidents causés par des défaillances logistiques. Dans presque tous les bureaux de vote observés, les procédures ont été correctement appliquées. Le dépouillement y a été conduit de façon transparente et le plus souvent consensuelle».

Cela veut dire quoi au juste “un dépouillement consensuel“ ? Ceci existe-t-il dans le jargon des pratiques électorales universelles ?

Le rapport de la MOE a été plus dans la complaisance que dans la description exacte de la réalité du déroulement d’élections lesquelles ne sont certainement pas catastrophiques mais qui n’ont pas non plus souffert que de défaillances techniques.

L’éthique a été absente tout au long des élections qui se sont déroulées et à plusieurs reprises dans notre pays. A l’international, on préfère ne pas en parler !

C’est plus rassurant de dire que la Tunisie a réussi la démocratie par le consensus.

A.B.A