Malek Ellouze, vice-président de la Fondation BIAT, est réfléchi, passionné, humble et totalement engagé dans le développement de cet organisme caritatif qu’il considère comme une modeste participation de la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT) qui aspire à forger le futur d’une partie de la jeunesse tunisienne. Une jeunesse que l’on veut brillante, positive, ambitieuse et optimiste.

Il considère que la Fondation qu’il gère se doit d’œuvrer à créer les élites de demain, semer les graines de la réussite et les arroser du savoir-faire et de l’expertise. Elle dote le leadership de demain de tous les moyens pour conduire le changement et construire l’avenir.

«Si vous voulez réussir, il faut ouvrir de nouvelles voies et éviter les chemins empruntés par les promesses de réussite», disait Rockefeller.

La Fondation BIAT est depuis sa création dans l’action et non dans les promesses. Et ça marche.

Entretien

WMC : Cela fait un peu plus de 3 ans que vous existez. Un premier bilan ?

Malek Ellouze : Lorsque nous avons décidé la création de la Fondation BIAT en 2014, nous avons tout de suite adopté l’idée d’en faire une Start-up sociale. En 2014, c’était tout juste une idée et un projet porté par deux personnes. Nous avons ensuite identifié les champs d’action dans lesquels nous pouvons être les plus efficients et servir au mieux la cause des jeunes. C’est ainsi que nous avons décidé qu’il fallait investir dans l’éducation.

Entre-temps, de 2 personnes notre équipe a quadruplé. Elle compte aujourd’hui de hautes compétences triées sur le volet venant de la banque et d’ailleurs. Elle est formée de femmes qui s’investissent corps et âme dans leurs différentes missions. Elles travaillent en étroite synergie et ont gagné l’adhésion de près 300 personnes du personnel BIAT qui s’est engagé lui aussi dans le bénévolat.

Nos agents participent à des opérations ponctuelles telles la rentrée scolaire ou à de grands projets ou événements. Ils aident la Fondation par leurs idées et par leur présence à des fins utiles.

Partout dans le monde, les personnels des grandes firmes peuvent consacrer une journée par semaine ou tous les 15 jours au volontariat sans que cela ne soit considéré comme une absence de la part des décideurs. En est-il ainsi chez vous ?

C’est pareil. Les journées de bénévolat sont considérées comme des journées de travail. Mais généralement les volontaires viennent quand ils sont libres. Ceci dit, le volontariat ne doit pas entraver la bonne marche du travail au sein de la banque.

Vous avez fait du chemin depuis votre lancement. De soutiens aux institutions scolaires à l’intérieur du pays, vous en êtes aujourd’hui à l’accompagnement des entrepreneurs, aux compétitions entre porteurs de projets en passant par le développement de la libre initiative et l’esprit entrepreneurial au sein des établissements scolaires ?

Nous investissons dans l’avenir de la Tunisie qui est entre les mains des jeunes. Notre but et ambition est de promouvoir les activités dans l’éducation et la formation humaine, culturelle et économique de nos jeunes depuis les écoles primaires jusqu’aux diplômes universitaires. Nous soutenons et promouvons les initiatives sociales, culturelles et sportives.

Partant d’un seul projet à notre démarrage, nous gérons aujourd’hui 3 projets dans les domaines de l’éducation, la culture et l’entreprenariat. Notre équipe est soudée et engagée.

Le concours Bloom Master pour l’entreprenariat est notre projet phare, et nous voulons qu’il devienne le premier dans notre pays. Nous en sommes cette année à sa deuxième édition. Les candidats postulent jusqu’au mois de mars, la clôture est au mois de mai.

Cette année, trois femmes ont sillonné tout le pays pour dénicher des projets porteurs et originaux. J’en suis très fier et j’applaudis le courage, l’engagement et la persévérance que vouent les femmes tunisiennes à la patrie ainsi que leur endurance. Les femmes de la Fondation qui sont toutes de hauts cadres ont passé un temps fou loin de leurs familles pour accomplir cette mission en vadrouillant de Gabès à Médenine en passant par Gafsa, Sousse, Djerba et Kasserine, etc. Elles ont été époustouflées par l’enthousiasme des jeunes qui sont loin de l’image que l’on donne d’eux dans les médias ou par certains orateurs: «Nos jeunes sont curieux, ouverts et prêts à toutes les propositions, tous les programmes et toutes les suggestions qui leur permettront de se frayer un chemin pour un avenir prometteur».

Vous pensez que sacrer les porteurs de projets par un prix aussi important que celui de la Bloom Master pourrait développer l’esprit entrepreneurial chez les jeunes ?

Pour nous, le but ultime du concours n’est pas celui d’offrir des prix mais plutôt d’en faire le couronnement d’un apprentissage consistant et de nombreuses formations. Ces jeunes sont des entrepreneurs potentiels que nous découvrons et que nous aidons à dépasser les entraves psychologiques qui leur font douter de leurs capacités et compétences. Nous voulons qu’ils deviennent innovants, résolus et audacieux, des jeunes femmes et des jeunes hommes qui osent et qui ont confiance en leur capacité à réussir. Nous leur montrons comment faire, nous les encadrons, et nous leur donnons les outils adéquats pour réaliser leurs projets.

Parmi eux figurent de nouveaux diplômés au chômage. Nous les approchons et nous travaillons avec eux sur la culture entrepreneuriale.

Nous avons mis en place le projet Spark à l’adresse des lycéens âgés entre 15 et 18 ans et nous y avons engagé les universités. Il s’agit d’intéresser lycéens et étudiants à l’entrepreneuriat à travers «Spark, ateliers d’idéation pour les jeunes».

La Fondation BIAT pour la jeunesse les accompagne, les initie à l’entrepreneuriat et les aide à réaliser leurs idées innovantes de projets d’entreprise. Actuellement, la formation à la culture entrepreneuriale se fait dans 8 universités et nous comptons terminer 2018 avec 15 universités. Des universités qui abritent des clubs chargés d’organiser des workshops entre lycéens et étudiants. Nous voulons orienter cette génération vers l’entrepreneuriat depuis le lycée et consolider cet esprit au sein des universités.

Quels sont aujourd’hui vos programmes phares ?

Les piliers de la Fondation BIAT sont l’éducation, la culture et l’entrepreneuriat. Grâce à notre équipe et nos volontaires, nous arrivons à toucher 20.000 personnes. Depuis les actions rentrées scolaires à l’occasion desquelles nous offrons aux écoliers cartables et fournitures jusqu’aux porteurs de projets que nous formons pour participer au concours Bloom Master dont le prix, je le précise, s’élève à 100 milles dinars, et passant par les jeunes concernés par le programme SPARC.  Notre principe est d’assurer la continuité de nos actions et de les pérenniser.

Celui ou celle qui a bénéficié d’un cartable dans une région rurale où il n’y a même pas de librairie ou de bibliothèque va ensuite profiter d’un club d’enfants dans son lieu de résidence.  Notre associé dans la création de clubs d’enfants est le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance. Nous avons aujourd’hui 20 clubs à l’intérieur du pays. Nous suivons de près les enfants adhérents aux clubs, et s’ils sont brillants dans leurs études et choisissent le cycle long, ils peuvent décrocher des bourses d’élite offerte par la Fondation.

Nous leur dispensons des formations pour l’apprentissage des langues, l’informatique et la communication. Ils participent à différents programmes en volontaires dans des actions initiées par la Fondation. Le but est de leur permettre d’intégrer le concept de vie sociétale dans leur culture et l’importance de leur rôle dans l’amélioration de l’existant.

Ils peuvent également participer au projet Spark et se familiariser avec la vie entrepreneuriale. S’ils ont des idées pertinentes pour des projets intéressants, ils peuvent postuler au prix Bloom Masters. Le gagnant peut ainsi fonder sa propre entreprise et bien sûr devenir un client BIAT.

Je rappelle que cette compétition est une initiative de la Fondation BIAT pour la Jeunesse, en partenariat avec le MIT Enterprise Forum Pan Arab. Sa deuxième édition tenue au mois de février a été un grand succès. Le montant des prix accordés par ce concours est de l’ordre de 400 mille dinars.

Comme je l’ai précisé, les start-up tunisiennes innovantes bénéficient également d’un accompagnement de la part d’experts.

La Fondation BIAT est un nouveau-né qui fait beaucoup de bruit. De quel budget disposez-vous pour financer vos actions ?

Je préfère ne pas parler argent, mais à titre indicatif sachez que depuis son lancement, le budget de la Fondation a été multiplié par 8. Mais plus que le budget, ce qui est important, c’est la démarche que nous avons adoptée pour que toutes nos actions soient fructueuses et aient un impact direct sur l’environnement où nous évoluons. Nous tenons à ce que les jeunes que nous prenons sous notre aile figurent parmi les futures élites et profitent réellement des moyens que nous mettons à disposition et ceci n’a pas de prix.

Nous voulons travailler sur la structure mentale de nos jeunes et les inciter à exploiter au mieux les ressources dont ils disposent, qu’elles soient personnelles ou viennent de leur environnement direct. Nous voulons inculquer à nos jeunes le sens des valeurs. Des valeurs où il y a un maillon complètement inexistant : celui du travail. Nous voulons leur expliquer qu’il faut qu’on travaille sur l’avenir, et qu’être, c’est aussi travailler. Les jeunes générations sont l’avenir de la société et c’est pour cela que les convaincre, les orienter et les intéresser est fondamental.

Nous voulons qu’ils se positionnent dans la continuité des valeurs des générations post-indépendance qui ont construit la Tunisie moderne. Et c’est pour cela que nous travaillons sur les 15, 20, 25 ans. Nous tendons la main à ceux âgés de 30 ans qui acceptent d’évoluer pour leur expliquer qu’il faut apprendre à être autonome et créer de la valeur ; qu’il faut travailler en équipe, qu’il faut apprendre à apprendre, qu’il faut être ouvert d’esprit et cultivé, qu’il faut savoir comment concrétiser leurs idées et réaliser leurs rêves.

Nous leur apprenons des concepts économiques basiques : savoir comment vendre, comment acheter, comment parler, comment persuader leurs interlocuteurs. Nous tenons à ce qu’ils se projettent dans leur pays et c’est pour cela que lorsqu’on choisit les boursiers d’élite, nous leur expliquons qu’il ne s’agit pas d’avoir seulement 18/20 de moyenne mais qu’il faut créer.

Nous les accompagnons pendant 5 ans jusqu’à ce qu’ils réussissent leurs diplômes. Nous avons commencé, il y a à peine trois ans, et nous voyons les résultats aujourd’hui. Des jeunes qui viennent de partout, de Gafsa, du Krib, du nord et du centre et qui sont complètement métamorphosés. J’ai reçu une jeune fille qui a fini brillamment son master. Elle est transformée, bien habillée, sûre d’elle, bien mise, et est première de sa promotion. Je me rappelle le premier jour où je l’ai vue à la Chebba, elle a beaucoup changé, rien de la jeune fille timide et repliée sur elle-même ! D’autres jeunes filles de son âge issues de la capitale et ayant plus de moyens et plus de confort n’ont pas pu arriver à son niveau. Une vraie réussite qui fait chaud au cœur, mais il y a beaucoup d’efforts à déployer et parfois c’est jusqu’à l’épuisement.

Vous êtes en train de métamorphoser la société, n’est-ce pas au-delà des efforts que vous déployez en tant que Fondation, plutôt le rôle des élus et des décideurs publics ?

Je n’ai pas la prétention de dire que nous sommes en train de changer la société, je dirais que nous œuvrons à ouvrir les portes de la réussite à des jeunes qui ont toutes les qualités et pas de moyens. Nous leur offrons ces moyens et les aidons à avancer. Il y a une différence entre les politiciens et ceux qui travaillent comme nous sur le terrain. Nombreux sont les politiciens qui promettent à nos jeunes des choses qu’ils ne réalisent pas. Leur crédibilité est remise en cause et la confiance disparaît. Nous ne promettons pas à ces jeunes monts et merveilles, nous ne leur mentons pas, nous leur disons : «nous ne voulons pas faire de vous des assistés structurés, votre avenir est en train vos mains et dépend de votre volonté. Nous voulons vous apprendre à pêcher mais ne vous attendez pas à avoir tout sans aucun effort de votre part».

C’est un travail de longue haleine qui se fait sur des années. Nous disons aux jeunes que pour réussir, il faut travailler, se sacrifier et apprendre ; que pour devenir grand, on commence petit ; que lorsqu’on décèle la graine d’un entrepreneur, les banques se l’arrachent, mais il faut qu’il soit brillant.

La culture, c’est important. Qu’avez-vous fait à ce niveau ?

Pour ce qui est de la culture, nous ne finançons pas des productions, mais nous dispensons des formations et nous aidons en dotant des salles de musique des instruments nécessaires ou en achetant des livres pour une bibliothèque. Nous organisons dans les régions de grands événements, comme la Fête de la musique en collaboration l’IFC.

C’est grâce à la culture que l’on devient ouvert d’esprit. Nous avons relevé que les acteurs dans le monde culturel dans notre pays ne possèdent pas de formation managériale. Nous comptons créer des masters en management culturel, et nous commencerons avec les cadres du ministère de la Culture pour qu’ils soient formés dans plusieurs disciplines, comme la gestion des musées, des festivals, des espaces culturels, etc. Se limiter tout juste à offrir de l’argent à des artistes, pour qu’ils le dépensent, ne permet pas de créer une industrie culturelle. Une industrie dont nous avons grandement besoin dans notre pays.

Je suis personnellement dans la musique et il y a de grands talents mais ils n’ont pas eu la chance de Lotfi Bouchnek. Ces personnes talentueuses ont besoin de vrais managers, pour les aider à percer. Nous ambitionnons de travailler sur cela également. A ce jour, nos priorités ont été l’éducation, l’entreprenariat, mais maintenant nous comptons nous attaquer à la culture.

Combien avez-vous aidé ou soutenu d’établissements scolaires ?

Nous avons touché 105 écoles et équipé 21 clubs d’enfants dans les petites délégations. Ils sont situés dans de petits patelins où il n’y a aucun moyen de loisir à Hidra, Fouchana, Feriana, Medjez el Bab, Hammam Bourguiba, Zaghouan et autres.  Il s’agit de villages de 10 à 30.000 habitants, ils ne sont dotés que des écoles et des clubs d’enfants publics.

Fort heureusement le potentiel humain existe. Il y a des formateurs diplômés, des psychologues, des animateurs spécialistes dans la formation des jeunes. Notre mission est de doter les espaces de tous les moyens adéquats. Nous sommes intervenus pour équiper des salles d’informatique, des salles des arts, de musique, de théâtre.

Pour les sportifs, nous avons installé des gazons artificiels, et prochainement, nous comptons organiser des ateliers pour des jeux d’échec.

Vous réussissez là où beaucoup ont échoué. Qu’est-ce qui explique votre succès ?

La vision. Un plan clair, une stratégie bien définie et un objectif : celui de préparer les élites de demain.

Par ailleurs, rassurez-vous, il y a un effet d’entraînement et beaucoup d’organismes financiers se sont lancés dans des actions telles que les nôtres. Aujourd’hui, tout le monde est convaincu que, pour projeter la Tunisie dans le futur, il faut que chacun mette la main dans la patte et ajoute sa pierre à l’édifice.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali