Lutte contre les inégalités, promotion de la transition énergétique et écologique, afin que la Tunisie s’inscrive dans une trajectoire «bas carbone» propice à un développement économique résiliant au changement climatique à l’horizon 2030, et stratégie de développement d’internationalisation des entreprises tunisiennes, privées et publiques, sur le marché africain. Ce sont là les trois pivots autour desquels a été axé le Mémorandum de dialogue stratégique dans les domaines économiques et de développement entre Zied Laadhari, ministre tunisien du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, et Rémy Rioux, directeur général de l’AFD, et signé le 1er février au ministère des Affaires étrangères, en présence de Khemaies Jhinaoui, ministre tunisien des Affaires étrangères, et Jean-Yves Le Drian, ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères. 

Que c’est beau de signer des accords et des conventions ! Sauf que si l’on veut vraiment soutenir l’économie tunisienne et aider à sa relance, il ne faut pas s’acharner sur les investisseurs français déjà établis dans notre pays sous prétexte qu’ils doivent se «soumettre aux règles».

Emmanuel Macron a déclaré à maintes reprises, lors de sa récente visite en Tunisie (31 janvier – 1er février 2018), qu’il veillera à doubler le nombre d’investissements français en Tunisie dans les 5 ans à venir.

Les redressements fiscaux décrétés par les autorités financières françaises, s’étendant sur des périodes allant jusqu’à 4 ans, qui ont frappé de plein fouet les entreprises sises en Tunisie, n’y aideront certainement pas. Ils ont de quoi décourager plus d’un investisseur et nombre d’entreprises à s’installer dans notre pays.

Pourquoi pareille mesure frappe-t-elle la Tunisie et non l’Irlande où le taux d’imposition ne dépasse pas les 10% et qui a été épargnée lors de l’établissement de la liste noire des paradis fiscaux par l’Europe ? Sans parler de Malte, des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne qui accordent aux investisseurs étrangers des incitations fiscales beaucoup plus importantes que celles de la Tunisie.

A la question pourquoi pénaliser les entreprises françaises sises en Tunisie alors que, preuves à l’appui, chaque emploi créé en Tunisie sauve un autre en France, le très charismatique président français Emmanuel Macron, diplomate à souhait, a évité de répondre à l’essentiel et s’est attardé sur les cadres macroéconomiques de la France et de la Tunisie et à la nécessité de respecter les règles. C’était lors de la conférence de presse de restitution et fin de la visite en Tunisie tenue au pavillon présidentiel de l’aéroport Tunis-Carthage jeudi 1er février.

En fait, de quelles règles parlons-nous là ? De celles qui permettent aux entreprises françaises de résister à la compétition féroce des pays asiatiques, notamment chinoises, et de préserver leurs parts de marchés dans un monde hautement concurrentiel ? Parce que justement à compétences égales, on est de loin moins payés dans notre pays qu’en France?

Pour Emmanuel Macron, qui n’a pas manqué de rappeler que dans tout ce qu’il entreprend, il y a une part d’humanité, et surtout s’agissant du commerce et des échanges entre pays, «car tout est à dimension humaine», n’est-ce pas inégal que de profiter des incitations et de tous les avantages accordés par la Tunisie et dans le même temps de les pénaliser ? Que de contradictions !

Zapper de manière aussi intelligente et «légaliste» la question se rapportant aux représailles du fisc français à l’encontre des entreprises françaises résidentes en Tunisie relève de la haute voltige communicationnelle mais ne répond pas à une question fondamentale : la France est-elle ou non réellement engagée dans le soutien économique en Tunisie lequel, en passant, protège ses frontières d’une migration illégale qui lui coûte beaucoup plus cher que tous les redressements fiscaux qu’elle pourrait appliquer sur ses entreprises sises sur notre sol national ?

«On ne crée pas de bons emplois, lorsqu’on ne respecte pas les règles. Lorsqu’il y a des redressements économiques effectués en Tunisie ou en France, c’est que les règles ne sont pas respectées. Je pense qu’on ne peut pas développer une bonne stratégie économique micro ou macroéconomique lorsqu’elle repose sur des mécanismes non pas d’optimisation mais de fraude ou d’évasion…», a déclaré M. Macron (voir vidéo). Par contre, selon lui, la meilleure stratégie adoptée par les entreprises française est d’aller développer leurs filiales en Tunisie pour le marché tunisien et parfois pour le marché régional, d’y avoir une vraie production et de développer des partenariats avec d’autres pays de la Méditerranée «et parfois la France», mais pour de bonnes raisons.

«Dans ce contexte, la Tunisie peut améliorer son attractivité mais cela ne peut pas se faire par le contournement des règles sociales. Et moi je suis très attaché à soutenir la stratégie du président comme celle du chef du gouvernement qui consiste à avoir un cadre macroéconomique clair et à assainir les relations financières et budgétaires avec les autres puissances, à lutter activement contre la corruption, à avoir de l’attractivité fiscale mais dans le cadre de règles du respect de ces dernières». Ce n’est pas une réponse à la question posée, c’est un plaidoyer pour défendre les intérêts de la France.

Il n’y a rien d’humain lorsqu’il s’agit d’intérêts économiques

Quoi de plus normal ! Sauf que nous, Tunisiens, nous ne sommes pas membre de la Communauté européenne et nous n’avons pas la force de frappe économique de la France !

En un mot, pour le président du premier partenaire économique de la Tunisie, notre pays devrait offrir un cadre d’investissement adéquat à ses opérateurs privés, leur offrir un marché pour y écouler leurs produits et si possible être pour eux une passerelle pour conquérir d’autres marchés, leur offrir une main-d’œuvre qualifiée et à bas prix, mais faire en sorte que tout le bénéfice revienne à l’Etat français. Nous comprenons dès lors pourquoi la France n’avait pas pesé de tout son poids à Bruxelles pour que la Tunisie ne soit pas «rangée» dans le «tiroir européen» des paradis fiscaux.

Par contre, d’autres pays européens peuvent servir de refuge aux plus grosses fortunes françaises sans qu’ils soient pénalisés, à commencer par la Belgique qui a supplanté la Suisse en la matière.

Oui M. Macron, vous pouvez être très humain, mais c’est peut-être un aspect de votre personnalité qui n’a pas voix au chapitre dès lors que les intérêts économiques de la France sont quelque peu touchés. Et la solidarité avec les plus vulnérables, monsieur, où la situez-vous ? Cette solidarité qui leur permet de préserver leur dignité?

N’est-il pas grand temps Monsieur Macron, vous qui êtes capable de faire passer par votre cœur la voix de la raison et celle d’un pragmatisme politique à toute épreuve, de réfléchir comme le dit Jean-François de Raymond, économiste canadien, à une dimension réellement humaine et à une régulation politique  de l’économique pour assurer la dignité de l’homme?

Amel Belhadj Ali