L’UTICA consacre cette première partie de son document-propositions aux aspects budgétaires de la loi des finances 2018.

  1. Au vu de la situation des finances publiques, caractérisée par un déficit budgétaire important et persistant depuis plusieurs années, ayant conduit à un niveau d’endettement sans cesse croissant, menaçant même pour la stabilité du pays, enrayer cette tendance constitue un impératif de salut national afin de ne pas hypothéquer l’avenir.
  2. Cette exigence incontournable, devra trouver sa traduction non seulement dans les orientations de la LF 2018, mais également dans les autres instruments de politique économique (monétaire, commerciale, industrielle…), l’endettement n’étant que la résultante des choix antérieurs dans les divers aspects économiques et sociaux.
  3. Contenir l’endettement à des niveaux soutenables avec moins de risques (sur la souveraineté et l’activité) tout en améliorant le rythme et le contenu d’une croissance favorisant la compétitivité des entreprises, tel devrait être l’objectif des mesures à envisager dans les circonstances présentes : un équilibre entre l’indispensable assainissement des finances publiques et le soutien à l’activité économique.
  4. Cela nécessite la réduction du déficit budgétaire, l’ajustement par le budget étant préférable à l’ajustement par l’inflation. Seule une économie compétitive avec des entreprises compétitives est en mesure de nous propulser dans un cercle vertueux d’expansion, d’investissement d’exportation et de création d’emploi et de nous donner les moyens nécessaires à la réduction de la fracture sociale.
  5. Pour cela, le déficit budgétaire devra nécessairement amorcer une décrue, rendant crédible la volonté d’assainissement des finances publiques. L’annonce d’une trajectoire réaliste et soutenable du solde budgétaire pour les 3 ans à venir avec indication, dans les grandes lignes, des moyens qui seront mis en œuvre, et la détermination affichée de la respecter permettra certainement d’améliorer la confiance des agents économiques.
  6. Dans le cadre de la Loi des Finances, et afin de déterminer sur quel chapitre budgétaire il faudra agir pour réduire le déficit budgétaire, un passage en revue des possibilités offertes par les principaux postes de ressources et d’emplois s’impose. En tout état de cause, et pour être en cohérence avec les objectifs précités de croissance et de compétitivité, aucune variation des ressources ou des emplois ne pourra être retenue si elle y contrevient.
  7. Cet examen nous montre que toute tentative de limitation du déficit budgétaire se heurte à de nombreuses rigidités -aussi bien pour les ressources que pour les emplois- qui entravent et limitent les marges de manœuvre permettant une résolution soft des problèmes et rendent douloureuses socialement et couteuses économiquement et financièrement les mesures de sauvetage nécessaires. Les petits replâtrages ne suffisent plus : à problèmes structurels, réponses structurelles. C’est un changement de paradigme qui s’avère nécessaire.

Opportunités d’action sur les ressources budgétaires

Quelles possibilités offrent les ressources pour réduire le déficit budgétaire ? Les ressources fiscales classiques offrent très peu de possibilités, sauf à contrarier la croissance économique par des relèvements de taux d’imposition. Une stabilisation de la pression fiscale à son niveau de 2016 est souhaitée (20.7%), 2017 ayant été un cru particulier du fait de l’impôt conjoncturel. Il est nécessaire de rechercher de nouvelles sources de financement et de passer d’une logique d’adaptation des ressources aux emplois à une logique d’adaptation des emplois aux ressources.

  1. Impôt sur les revenus: une modification du barème a déjà eu lieu en 2017 consacrant une baisse des taux sur les premières tranches de revenus. Toute hausse des taux est donc exclue. L’élargissement des bases d’imposition à l’ensemble des catégories socioprofessionnelles, sans exclusives ni privilèges, est indispensable pour l’amélioration des rentrées fiscales.
  2. Impôt sur les sociétés: en sus de la contribution exceptionnelle de 7.5% de 2017, et selon plusieurs études concordantes, la Tunisie détient des records en matière d‘imposition sur les sociétés. Outre le signal très négatif que cela constituerait, et à l’impossibilité pour la plupart des entreprises d’y faire face, toute augmentation des taux pourrait se traduire par une baisse des rendements.
  3. En ce qui concerne la TVA, une augmentation d’un point du taux conduirait à un supplément de recettes de 300 MD environ. Mise à part ses effets sur le pouvoir d’achat et les revendications salariales qui s’ensuivraient, est-ce à la mesure des enjeux ? Un élargissement de la base imposable est préférable à une augmentation du taux, tout en prévoyant des procédures allégées pour les forfaitaires et les TPE
  4. Pour la fiscalité, et afin d’éviter les strates successives, non coordonnées, voire contradictoires et contre-productives de mesures fiscales introduites à travers les différentes lois de finances, il est urgent d’accélérer une mise en œuvre cohérente de la réforme fiscale. Les principes qui doivent guider la réforme fiscale font l’objet d’un consensus. Le taux d’imposition devrait progressivement rejoindre des taux bas contre un élargissement de la base d’imposition. Les divergences entre les règles fiscales et les règles comptables devraient être supprimées pour renforcer la transparence. Une attention particulière aux vrais forfaitaires s’impose en prenant soin d’éviter les amalgames.
  5. Compte tenu des contraintes pesant sur les ressources fiscales, il y a donc lieu de rechercher d’autres ressources. Parmi celles-ci, la restructuration financière d’entreprises publiques constitue une alternative permettant à la fois de soulager le budget de leurs considérables déficits, et également de procurer des recettes nouvelles. Il n’y pas de schémas uniques, mais plutôt du cas par cas. Ce chantier doit être impérativement ouvert sans tabous et des décisions de mises en œuvre hardies et urgentes sont attendues. Il importe que l’Etat définisse une stratégie transparente et exempte d’ambigüités.
  6. L’accélération de la lutte contre la contrebande et l’économie informelle à laquelle le secteur privé apporte tout son soutien, ainsi que la réalisation des biens confisqués constitue une autre source de revenus pour le budget
  7. Sauf exceptions, les revenus procurés par les ressources exceptionnelles de la privatisation et des biens confisqués, pourraient être logées dans un fonds pour les générations futures, dédiés à des investissements d’avenir (formation, entreprenariat, PPP, régionalisation, commandes publiques de recherche/innovation, énergies alternatives, stockage de l’énergie…)

Opportunités d’action sur les emplois budgétaires

Au niveau des emplois, autres source de rigidités, qu’il convient de stabiliser pour le proche avenir, on devra tendre vers une augmentation parallèle au taux de croissance en volume. En effet, la progression des emplois plus rapide que l’accroissement de la richesse a été la cause majeure du dérapage budgétaire. Un effort substantiel doit donc être fait non seulement pour assurer une progression des dépenses publiques en ligne avec les ressources et inverser cette tendance, mais aussi revoir leur structure et leur affectation. Une part plus substantielle doit être consacrée aux investissements publics générateurs d’externalités positives élevées. Le PPP aurait pu en être un levier. Mais il a été jusqu’à ce jour en deçà des attentes, essentiellement du fait d’une législation inadaptée alors même qu’il recèle d’importantes possibilités.

  1. Relativement à la masse salariale de la fonction publique (14MD), et tout en reconnaissant les efforts de recherche de solutions faites par les pouvoirs publics à travers différentes mesures (retraites anticipées, suspension des recrutements…), il y a nécessité absolue de sa stabilisation et de lier impérativement les prochaines hausse de salaires à l’amélioration de la productivité et de la situation économique du pays. Pour 2018, des engagements ont été signés par l’Etat et dans un état de droit, il importe qu’ils soient honorés. Néanmoins, et compte tenu de la situation des finances publiques, un report si ce n’est total, au moins partiel devra être négocié, avec au besoin une compensation. Une compensation par un prix préférentiel lors de la cession d’entreprise publique pourrait être une voie à explorer (plusieurs paramètres peuvent être actionnés : % du rabais, montant de la compensation, catégorie des fonctionnaires…)
  2. Les dépenses de compensation, recèlent d’importantes possibilités de rationalisation, et donc d’économie. Leur poids nécessite la mise en place de solutions courageuses et urgentes afin de les contenir. Compte tenu de l’extrême sensibilité de cette dépense, elle devra faire l’objet d’un débat franc et éventuellement d’un consensus sur les moyens avec la participation des professions concernées. Il y a lieu de ne pas retarder d’avantage le traitement de cet épineux problème.

Des économies substantielles peuvent déjà être réalisées au niveau de la gouvernance du système de compensation, tant les surcoûts dus à l’intervention des entreprises publiques sont importants et les possibilités d’utilisation frauduleuses nombreuses. Le renforcement des moyens de prévention et de répression doit être mis en œuvre conjointement avec la lutte anticorruption.

Pour limiter la progression des dépenses de compensation, et à côté de l’effort de ciblage, la mise en œuvre d’une politique contractuelle de développement de filières économiques est une solution alternative qui permet une amélioration progressive de la productivité et autorise par la même une réduction des coûts.

Pour l’allègement de la facture énergétique, une politique volontariste d’encouragement à la production d’énergie électrique solaire pour l’export par le secteur privé est à mettre en place.

Toutefois, un réajustement de certains prix subventionnés est à envisager dès 2018.

  1. Les dépenses d’intervention de l’Etat dans le domaine économique et social (2.5MD) sont un poste d’emploi qui nécessite une remise en ordre. En effet sont logés sous cette rubrique les programmes sociaux, les subventions à la CNR, les subventions aux entreprises publiques, collectivités locales… toutes dépenses qui nécessitent un audit approfondi. Il en est de même pour le chapitre des dépenses de fonctionnement de l’Etat. A n’en pas douter, il s’agit, dans les deux cas d’un gisement important d’économie.
  2. Les subventions du budget de l’Etat aux caisses sociales (500 Md en 2017, et 1900 Md en 2018) soulèvent au-delà du problème du déficit des caisses sociales (CNRPS, CNAM et CNSS) celui du financement de la protection sociale. Avec le dossier de la compensation, il s’agit d’un dossier de société majeur qui doit être ouvert sans tarder. En y ajoutant certains aménagements du code du travail qu’il convient de rénover, la protection sociale dans son ensemble devra faire l’objet de négociations avec les acteurs sociaux

Néanmoins, plusieurs axes peuvent être avancés pour remédier au déficit actuel des caisses sociales, sans présager des options « politiques » qui pourraient être retenues pour la viabilité à moyen terme du système concernant l’adéquation ressources/décaissements par modifications des paramètres des critères. Ils concernent : le recul de l’âge de la retraite, l’amélioration du recouvrement, l’élargissement des cotisants, et surtout la gouvernance des caisses.

  1. Au chapitre de l’investissement public, et afin de dégager des marges de manœuvre supplémentaires à l’Etat, un recours au aux concessions et au PPP est recommandé. Cependant, il a été constaté qu’aucun projet n’a vu le jour sous ce régime en raison d’une insuffisance importante : il ne permet pas la délégation de service public. Aussi faut-il prévoir un amendement à loi sur les contrats PPP en éliminant cette disposition. Par ailleurs et en vue d’accélérer la mise en œuvre des investissements prévus le passage de loi sur l’urgence économique à l’ARP est une nécessité.

Par ailleurs, des gains certains peuvent être acquis par l’audit technique des achats publics. Les surdimensionnements et le manque de pertinence des spécifications des achats publics sont courants. La délégation de maîtrise d’ouvrage pour les achats techniques doit être systématique y compris une mission « économie ».

  1. Au sujet de la restructuration des entreprises publiques, le retard énorme pris dans la mise en œuvre de son programme a eu des conséquences très graves :
  • une évolution exponentielle et non maitrisée des pertes de ces entreprises, dont le total avait déjà été multiplié par 3 entre 2010 et 2014, passant de 1,9 milliards à 5,5 milliards de DT.
  • Ces pertes, dont les montants sont encore plus effrayants aujourd’hui, sont évidemment financées directement ou indirectement, dans l’immédiat ou de façon différée, sur le budget de l’Etat, au détriment de l’investissement et de la relance économique
  • Une détérioration sans précédent de la qualité des prestations de ces EP, avec un effet induit très négatif sur la crédibilité de l’Etat, ainsi que sur la compétitivité et l’attractivité même du site Tunisie (mesurons, par exemple, l’impact sur notre économie des prestations calamiteuses de compagnies comme Tunis Air ou la STAM).
  • Une incapacité totale à contribuer (comme c’était le cas chez nous et comme c’est le cas chez des pays concurrents) à l’effort national de création de valeur ajoutée et d’emplois, d’investissement, d’exportation et de financement du budget de l’Etat.

Un planning ambitieux et précis doit être annoncé par la Présidence du Gouvernement, des solutions rationnelles arrêtées et des décisions prises et mises en œuvre AU CAS PAR CAS, sans aucune ligne rouge, sans aucun tabou. La privatisation ne doit être ni un objectif idéologique, ni une fin en soi. Et si elle s’impose comme solution optimale, elle peut être totale ou partielle. Une partie du secteur public a sa place stratégique dans notre économie, mais en aucun cas le contribuable ne pourra continuer à financer les surcoûts, le gaspillage et la mauvaise gestion.