bateau-sauvetage-caricature-wmcLes difficultés que vont connaître en 2017 les finances publiques et les échanges extérieurs du pays (nouvelles charges pour la dette du pays) ont amené des universitaires, économistes et experts à proposer des pistes pour les surmonter et les contenir. Parmi les propositions les plus impopulaires et les plus redoutées figurent celles proposées par un universitaire, Chokri Mamoghli, et un expert, Ezzeddine Saïdane. Le premier suggère, entre autres, le recours à la force légale pour mettre fin à l’insurrection sociale non encadrée, tandis que le second prône l’adoption d’un nouveau plan d’ajustement structurel (PAS), et ses corollaires, licenciement, privatisations des entreprises publiques, sous-traitance…

Intervenant à un récent débat organisé par un magazine de la place sur la situation économique et financière du pays, Chokri Mamoghli a déclaré que l’économie du pays n’est certes pas «en situation désespérée» mais exige, en urgence, des solutions exceptionnelles.

Pour lui, la principale difficulté que rencontrera le budget 2017 réside dans de nouvelles charges pour la dette. Le service de la dette va passer de 4,5 milliards de dinars à 7,5 de dinars tunisiens, voire 8 milliards de dinars. Plus simplement, il faut trouver trois milliards de dinars et demi pour compenser l’augmentation de la charge de la dette. Pour y arriver, il propose d’explorer quatre pistes.

Recours à la force républicaine pour régler l’insurrection sociale

La première est calquée sur celle du gouvernement, laquelle propose de reporter, à 2018, les augmentations des salaires et les promotions. Ceci va rapporter, rien qu’au chapitre des augmentations des salaires et des promotions, 1 à 1,5 milliard de dinars.

La deuxième piste consiste à associer à cet effort exceptionnel, démocratique et généralisé, toutes les catégories sociales, toutes les régions, tous les contribuables publics, privés et professions libérales. Tout le monde doit aider le pays à dépasser ce cap difficile, surtout en 2017 compte tenu des échéances au niveau du remboursement de la dette.

La troisième piste est de tout faire pour que le secteur exportateur reprenne 40 à 50% de sa capacité d’exportation de 2010, ce qui permettrait au gouvernement de disposer de plus de devises pour payer une partie du service de la dette.

La quatrième concerne les entreprises publiques qui sont appelées à réduire leurs dettes et, partant, à se passer un tant soit peu de la contribution de l’Etat. «Cela peut aider, a-t-il dit, à mobiliser un milliard. Une fois ces pistes explorées avec succès, on peut tabler ainsi sur la collecte de trois milliards de dinars».

Pour mener à bien ces scénarios, deux conditions sont à réunir d’après lui. Dans un premier temps, il faut, selon lui, que «les syndicats jouent le jeu. Et ils sont en train de jouer le jeu. L’UGTT, contrairement à ce qu’on voit sur les plateaux de télévision, est en train de tenir un langage très raisonnable et très responsable. Il faut assister aux réunions pour le constater», a-t-il tenu à préciser.

Dans un second temps, il préconise le recours à la force légale pour mettre fin aux sit-in et arrêts de travail anarchiques. Et Mamoghli d’expliquer son point de vue: «Un Etat démocratique est un Etat fort. On doit avoir dans une main le rameau d’un olivier et dans l’autre le glaive de la justice. Nous ne nous sommes pas en train d’utiliser la force conformément à la loi. Il y a des agissements, comme il y en a eu, à Kerkennah, à Gafsa et à Kasserine, ils auraient dû être traités par la force légale, voire républicaine».

Pour Un nouveau plan d’ajustement structurel

Quant à l’expert Ezzeddine Saïdane, l’économie du pays est dans un état hémorragique et nécessite donc un Plan d’ajustement structurel (PAS), un sinistre plan réputé pour ses conséquences sociales généralement douloureuses pour les populations (privatisations des entreprises publiques, licenciements, vérité des prix, sous-traitance et précarité de l’emploi…). Il s’agit pour l’expert de «la seule fenêtre de salut qui reste» pour sauver l’économie du pays.

Pour mémoire, la Tunisie en avait adopté un en 1986. Il a fallu la main de fer de l’ancien dictateur appuyé par un régime policier pour le mener à terme, au prix d’un dumping social et fiscal. D’ailleurs, ce PAS n’a pas connu le succès escompté dans la mesure où les problèmes structurels de l’économie du pays persistent, jusqu’à ce jour (absence de réformes pérennes telles que la réforme fiscale, le développement de l’arrière-pays, l’iniquité sociale…).

L’expert, qui était invité le 28 septembre 2016 par la chaîne privée Attessia pour commenter le recul de la Tunisie dans le classement de Davos sur la compétitivité macroéconomique pour l’exercice 2016-2017, devait proposer, dans l’immédiat, deux issues d’urgence. (Lire aussi : Economie: Aïe, la Tunisie perd 3 places dans le classement du Forum de Davos 2016-2017)

La première consiste à geler en urgence les salaires voire à les baisser s’il le faut. La deuxième est d’intensifier l’investissement public dans les régions de l’intérieur.

Un alarmisme bizarre

Par-delà les points de vue des deux économistes, on ne peut pas s’interdire de nous interroger sur les véritables motifs de ces deux experts qui donnent l’impression, à travers leurs propositions, qu’ils n’ont de fixation que pour le gel des salaires ou pour leur baisse et surtout pour la manière forte pour traiter des problèmes sociaux, sachant que les salaires ne sont qu’une composante parmi les plus déterminantes de l’économie du pays (investissement, exportations, fiscalité, consommation, compensation, productivité …) et qu’ils ne représentent que 6% environ du PIB (13 milliards de dinars sur plus de 80 milliards de dinars). A méditer.

Un mot sur la piste d’un nouveau PAS. Nous rappelons à l’expert Ezzeddine Saïdane qu’en 1986, le pays était à trois jours d’importation. Aujourd’hui, nous sommes à 122 jours avec en prime la démocratie, des institutions qui fonctionnent indépendamment de l’exécutif et surtout la liberté de s’exprimer. Mieux, de l’avis d’autres éminents économistes comme Mongi Boughezala, la Tunisie n’est pas encore en crise. Elle passe juste par une situation extrêmement difficile qu’il est possible de surmonter par des moyens endogènes (planche à billet, amélioration du recouvrement fiscal…).