Gouvernement Chahed : Le pari risqué de BCE

youssef-chahed-bce_tunisie.jpgSi l’on peut lui adresser beaucoup de reproches, il faut cependant reconnaître au président Béji Caïd Essebsi au moins une qualité, un point fort: sa capacité à manœuvrer. Et à manipuler. Le chef de l’Etat vient de le confirmer une nouvelle fois avec la formation du «gouvernement d’union nationale» dont il est, quoique le nouveau chef de gouvernement, Youssef Chahed, dise ou essaie de faire croire, le véritable architecte et maître d’œuvre.

BCE n’a peut-être pas choisi tous les membres de la nouvelle équipe gouvernementale –notamment les plus jeunes dont on peut penser qu’il ne les connaît pas-, mais c’est sans nul doute lui qui a fait l’essentiel: en définir la configuration politique et y faire entrer les acteurs les plus importants sans lesquels la dénomination d’union nationale du gouvernement perdrait l’essentiel de son fondement.

Mais son «coup» peut-il réussir? Donnera-t-il au pays le gouvernement qu’il attend depuis si longtemps: à la fois compétent et déterminé –enfin- à engager les nécessaires et douloureuses réformes dont il a si grandement besoin. Bien malin qui pourrait affirmer aujourd’hui que le nouveau gouvernement et, surtout, le président de la République vont pouvoir ou pas relever cet énorme défi.

Les faits majeurs de la nouvelle équipe…

Politiquement, trois faits majeurs au moins distinguent la nouvelle équipe des précédentes et suscitent approbation ou interrogation, voire désaveu: féminisation, rajeunissement et implication d’acteurs sociaux et politiques qui jusqu’ici refusaient de faire partie du gouvernement.

Féminisation, d’abord. De 3 dans le gouvernement sortant de Habib Essid, le nombre de femmes ministres et secrétaires d’Etat a grimpé à 8 –six ministres et 2 secrétaires d’Etat-, une première dans l’histoire du pays. Mais même si la féminisation est un objectif essentiel, il est à espérer que cet acte essentiel pour l’amélioration de l’accès des femmes aux responsabilités n’a pas été effectué de manière «folklorique» et, surtout, sans respecter la règle fixée pour la formation de l’ensemble du gouvernement: la compétence d’abord.

Le rajeunissement, ensuite. Là il ne s’agit pas d’une première –puisque tous les ministres du premier gouvernement de Habib Bourguiba formé après l’accession de la Tunisie à l’indépendance en 1956, à l’exception de Dr Mahmoud El Materi, avaient moins de cinquante ans- mais plutôt d’une sorte de retour aux règles d’origine d’un pays dont la jeunesse de la population et son éducation sont les principaux atouts. Mais encore faudrait-il, tout comme pour les femmes entrées au gouvernement, que ces jeunes ministres et secrétaires d’Etat soient compétents.

Enfin, l’implication de syndicalistes dans le gouvernement ne constitue pas elle aussi une nouveauté. Après avoir été écarté du poste de secrétaire général de l’UGTT, Ahmed Ben Salah fait son entrée en 1956 au gouvernement en tant que ministre (avec le titre de secrétaire d’Etat) de la Santé publique.

Aujourd’hui, c’est Abid Briki et Mohamed Trabelsi, respectivement anciens porte-parole et secrétaire général adjoint de l’UGTT, qui décrochent deux postes ministériels, en l’occurrence ceux de la Fonction publique et de la Bonne gouvernance et des Affaires sociales. Une nomination qui pourrait poser plus de questions et de problèmes qu’elle n’apporterait de réponses et de solutions.

Même si cela n’a pas été dit ouvertement, la «cooptation» de M. Briki donne à penser que le président Béji Caïd Essebsi espère par ce geste amener l’UGTT à adopter une attitude plus conciliante en matière de revendications salariales et à faciliter la mise en œuvre des réformes. Pourra-t-il le faire?

En tout cas, alors qu’on aurait pu s’attendre à une attitude plutôt enthousiaste, la première réaction de l’UGTT après l’annonce de la composition du gouvernement n’est pas fort encourageante à ce sujet, puisque la centrale syndicale a déclaré qu’elle allait réunir son bureau exécutif pour dire ce qu’elle pense de la nouvelle équipe gouvernementale.

Quid du fils de Gafsa, Hachemi Hmidi?  

Enfin, le dernier motif d’interrogation, voire d’étonnement, réside dans la nomination de Hachemi Hmidi au poste de secrétaire d’Etat aux Mines. Certes, le nouveau numéro 2 du ministère de l’Energie et des Mines a des diplômes l’habilitant en principe à exercer les fonctions liées à ce poste -diplôme du cycle international de perfectionnement de l’Ecole nationale d’administration France, master administration publique spécialisée de la Faculté des sciences politiques à Strasbourg, et master en gestion de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales et une maîtrise en management. Mais l’ancien gouverneur (après avoir été conseiller auprès de la Commission des finances, du plan et du développement au sein de l’Assemblée nationale constituante puis délégué au gouvernorat de Bizerte pendant 3 ans) qui va devoir trouver une solution à l’épineux problème du bassin pour permettre la relance de production de phosphate est originaire de …Gafsa. S’agit-t-il d’une «coïncidence» ou d’un choix délibéré? Le cas échéant est-ce une bonne idée? On ne tardera probablement pas à le savoir.

Bref, le pari pris par le président Béji Caïd Essebsi est énorme. S’il le gagne, il touchera le jackpot. S’il le perd, il y laissera énormément de plumes. 

———————

Lire aussi:

Tunisie – Gouvernement: Couleurs politiques des nouveaux ministres et SE

Tunisie – Politique : Portée de la nomination de ministres syndicalistes

Voici ce que veut Béji Caïd Essebsi pour la Tunisie!