Tunisie – Economie : Pour Tarak Chérif, le Plan de développement manque d’harmonie

Par : TAP

Tarak Chérif, président de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT), appelle, dans une interview accordée à l’Agence TAP, “à une réconciliation économique et financière générale, profitant outre aux hommes d’affaires et entreprises structurées, à tous les citoyens se trouvant dans une situation analogue du fait de la conjoncture”.

Commentant la note d’orientation du Plan de développement 2016-2020, il considère qu’elle “présente pratiquement les objectifs exprimés par chaque département ministériel, sans vraiment faire apparaître de fil conducteur, d’harmonie ou de complémentarité entre ces différents objectifs ou plutôt ces promesses”.

tarek-conect-tunisie-680.jpgQuelle est votre évaluation de la note sur le Plan stratégique 2016-2020?

Tarak Chérif: Je dois tout d’abord préciser que nous n’avons pris connaissance de ce document qu’à travers les médias! Logiquement, il aurait fallu impliquer toutes les parties concernées dans le diagnostic et dans les nouveaux choix en matière de développement, surtout qu’il s’agit d’un plan stratégique qui va déterminer le cadre général des politiques et des choix fondamentaux du pays pour le prochain quinquennat.

La note de synthèse évoque d’ailleurs, l’importance stratégique du rôle du secteur privé, de la concertation, du dialogue et de l’inclusion. Mais paradoxalement, ce document a été établi sans concertation ni association des premières parties concernées dont notre centrale patronale “la CONECT”, qui n’a pourtant cessé d’appeler à la mise en place de nouvelles stratégies de développement mieux adaptées aux nouvelles exigences de la situation et aux attentes et aspirations des tunisiens et des régions surtout les moins développées.

La CONECT a même lancé d’importantes initiatives de promotion de l’entreprise et d’accompagnement des porteurs d’idées de projets et dans le domaine de l’économie verte qui constituent des références en la matière.

Nous ne pouvons que déplorer une telle approche de traitement d’une question fondamentale se rapportant au plan stratégique de développement de la Tunisie qui concerne l’avenir de tout le pays et de l’ensemble des tunisiens! La Tunisie nouvelle a choisi à travers sa constitution du 26 janvier 2014, de rompre avec ces méthodes en optant pour la concertation, le dialogue inclusif, l’association et la responsabilisation de toutes les parties.

Cette note sur le plan stratégique, ne fait qu’évoquer des principes généraux universellement admis de nos jours sans vraiment faire apparaitre ou analyser de manière profonde et efficiente les spécificités de la situation dans notre pays!

Les objectifs annoncés ne sont pas significatifs pour nous en l’absence de toute référence et surtout des préalables à garantir pour réunir les conditions adéquates à leur réalisation.

Pensez-vous que les objectifs inscrits dans cette note soient réalisables?

Ces objectifs, pas très significatifs, correspondent plutôt à des exigences minimales pour répondre en partie, aux attentes et exigences de la situation ou à des souhaits. Il ne s’agit pas d’objectifs fixés selon une démarche scientifique et réaliste qui prend en considération la situation actuelle dans le pays, la concurrence internationale, les caractéristiques de l’environnement national et international et les réformes et mesures à mettre en place pour leur réalisation.

Comment réaliser l’objectif d’une croissance des IDE de 80%?

Votre question concerne réellement, deux volets. L’objectif lui même de 80% et comment l’atteindre! L’objectif peut paraître arbitraire, en l’absence de référentiel clair et approprié! Pourquoi 80% et non pas 50% ou 100%!. Il faut déjà garder les IDE que nous avons et pour cela, l’instabilité sociale joue le rôle d’un frein majeur. La non application de la loi dans nombre de conflits sociaux a montré une grande faiblesse des pouvoirs publics concernés et n’est pas de nature à rassurer les investisseurs nationaux et a fortiori, internationaux.

L’irrationalité de cette situation a aussi, conduit les syndicats à demander aujourd’hui que les jours de grève soient payés (cas de l’éducation nationale) et à aller dans une surenchère que plus rien n’arrête? Nous devons veiller à appliquer la loi, ce qui est de nature à rassurer les investisseurs sur le fait que nous avons des règles et qu’elles sont appliquées.

Quant au comment réaliser ces objectifs, c’est là le fond du problème! Personnellement, je n’ai cessé d’attirer l’attention, depuis déjà 2012, sur la gravité de la situation économique et les grands risques qu’encourt le pays. J’ai même comparé la situation de la Tunisie à celle de la Grèce, toutes proportions gardées bien sûr.

J’ai appelé à introduire les réformes nécessaires avec la rigueur, la célérité et l’audace requises. J’ai insisté sur la capitalisation des banques, la réforme fiscale, la réforme de l’administration, le nouveau code des investissements, la lutte contre l’économie parallèle et la contrebande qui ont atteint des proportions présentant de réelles et sérieuses menaces des secteurs structurés et des emplois qu’ils assurent.

J’ai aussi demandé de revoir les conditions d’application du régime du forfait fiscal, pour améliorer sensiblement les recettes de l’Etat, tout en assurant une plus grande équité.

Malheureusement, nous avons perdu beaucoup de temps avec cinq longues années, depuis 2011, sans vraiment introduire de réelles réformes dans ces différents domaines.

Aujourd’hui, nous sommes en phase de récession technique. Les conséquences peuvent devenir encore plus lourdes si on n’agit pas rapidement. surtout que la croissance effective est réellement négative.

Comment peut-on financer un taux de croissance de 5%?

Pour moi, la priorité absolue consiste à renverser la tendance et à faire sortir le pays de ce tournant de récession technique fort dangereux pour nous tous et surtout pour la réalisation de nos objectifs en matière d’emploi et de développement régional.

Nous avons des défis incontournables: la sécurité, le climat social, le climat des affaires, l’investissement, les réformes, l’autorité de l’Etat et le respect des lois. Si pour la sécurité, la situation a connu des améliorations qu’il convient de consolider en composant avec cet élément comme étant l’une des caractéristiques de l’environnement national et mondial qu’il faut suivre de manière vigilante et continue, la situation sur le plan social se présente autrement !

Au plan social, force est de constater que certaines parties tiennent toujours aux anciennes approches basées sur la confrontation et les surenchères. Les conséquences sont trop lourdes avec les dizaines de milliers d’emplois perdus et les centaines d’occasions d’investissements d’IDE ratées au point où la destination Tunisie en tant que site privilégié d’investissement a sensiblement perdu de son attractivité.

Toutes les parties concernées et en premier lieu les organisations syndicales et patronales sont appelées à rompre avec ces anciennes approches, à développer un nouveau dialogue responsable et inclusif avec la participation de tous les syndicats ouvriers et d’entreprises sans exclusion aucune.

L’objectif primordial de ce dialogue devant être le renforcement du degré de compétitivité de nos produits et de nos entreprises et l’amélioration de la productivité seuls facteurs garants de la pérennité des entreprises et des emplois qu’elles assurent. La répartition des fruits de cette compétitivité serait alors plus facile à cerner et répondrait aux exigences légitimes de l’équité et de la responsabilité. Sans cette paix sociale durable, la situation économique surtout en matière d’investissement, ne peut connaitre de changements significatifs, même avec d’éventuelles réformes et autres mesures d’incitation.

Au niveau du climat des affaires, nous devons améliorer l’infrastructure, la logistique et la qualité des services de l’administration. L’investissement constitue le vrai goulot d’étranglement pour notre pays. Sans un développement rapide et fort de l’investissement, surtout privé les objectifs de promotion de l’emploi et du développement régional ne peuvent être concrétisés. Nous risquons même, de connaître une aggravation de la situation actuelle, pouvant avoir des répercussions économiques et sociales dangereuses.

Concernant le troisième volet lié aux réformes, nous n’avons que trop hésité en reportant à chaque fois la question pour des considérations d’importance secondaire. au vu des vrais menaces auxquelles est exposé le pays et son économie.

Faut-il encore rappeler que les réformes ne peuvent avoir d’effets immédiats et qu’une période d’au moins deux ans est nécessaire pour le début de la concrétisation de leurs effets!. Il y a lieu donc de tenir compte de ce délai d’adaptation dans nos estimations et dans l’estimation de nos objectifs ! Il convient aussi, de rappeler que le taux de croissance de 5% qui parait à priori ambitieux, ne peut réellement permettre au pays de réduire sensiblement le taux de chômage et que des taux de croissance plus élevés sont nécessaires.

Il y a certes le problème de financement de cette croissance qui ne peut trouver de solution adéquate que dans la création de valeur ajoutée plus élevée, l’amélioration des ressources propres et la promotion du partenariat public-privé “PPP” et non dans l’endettement.

Nos Ambassades et nos Représentations à l’étranger doivent être aussi, mises à contribution en développant davantage la diplomatie économique.

Quels mécanismes doit-on mobiliser pour parvenir à réaliser les objectifs de ce plan stratégique?

Les mécanismes sont clairs, il s’agit de l’introduction rapide des réformes dans un cadre de mobilisation générale, de complémentarité et de cohérence entre les objectifs et les programmes des différentes parties officielles et autres.

L’attention de tous les tunisiens est focalisée aujourd’hui sur la réconciliation économique et financière, pourquoi ne pas saisir cette occasion, pour annoncer une réconciliation générale qui ne doit pas profiter seulement à ceux qui se sont appropriés de manière illégale, des fonds publics. Nous devons exiger de ces derniers, de les rembourser intégralement sur la base de conditions claires et transparentes d’évaluation ou au profit des banques en contribuant à leur capitalisation.

Il convient en priorité d’inclure les entreprises structurées qui ont résisté à une conjoncture difficile et à des phénomènes exogènes liés aux circuits parallèles et à la contrebande en les aidant à faire face à leurs engagements vis-à-vis des banques, de l’impôt et de la CNSS dans des conditions appropriées. Une telle mesure pourrait aussi, concerner tous les citoyens se trouvant dans des situations analogues du fait de la conjoncture. La réconciliation profiterait ainsi, à l’ensemble des tunisiens et constituerait le choc psychologique dont le pays a grandement besoin pour le retour au travail et la relance de l’initiative.

WMC/TAP