Afrique du Sud : la bourse est-elle toujours aux mains des Blancs?

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Un groupe scolaire visite la bourse de Johannesburg, le 20 mars 2015 (Photo : Gianluigi Guercia)

[26/03/2015 20:01:48] Johannesburg (AFP) La bourse de Johannesburg est-elle toujours aux mains de la minorité blanche? Plus de vingt ans après la fin de l’apartheid, la question empoisonne de nouveau le débat l’Afrique du Sud.

Cette bataille peut paraître dérisoire au regard des autres fossés qui restent à combler entre les communautés en matière de logement, d’emploi, de propriété foncière ou d’éducation.

Mais le mois dernier, le président Jacob Zuma a une fois de plus appelé à “déracialiser l’économie”, se plaignant que la population noire, majoritaire dans le pays, ne possède que 3% de la bourse de Johannesburg (JSE).

Faux, s’est défendue la bourse, qui a recensé 23% d’actionnaires noirs au sein des cent plus grandes entreprise cotées: 10% en direct et 13% via des fonds de pension ou holdings.

Le reste se répartit entre des Sud-Africains blancs (22%), des investisseurs étrangers (39%) et un mélange d’actionnaires aux caractéristiques variées non identifiés, parmi lesquels également des Sud-Africains noirs, selon le Johannesburg Stock Exchange.

La place de Johannesburg, dont la création remonte à la fin du 19e siècle avec l’exploitation de l’or et du diamant, figure parmi les vingt plus importantes dans le monde.

– Discrimination positive depuis 1994 –

Des multinationales minières comme Anglo American ou BHP Billiton y sont cotés.

Certaines de ses grandes entreprises ont réservé un pourcentage de leur capital à des investisseurs noirs, comme la loi leur impose pour corriger les déséquilibres hérités du passé ségrégationniste.

Le système a profité à une petite élite noire bien connectée politiquement, notamment à l’ANC, le parti de Nelson Mandela au pouvoir depuis 1994.

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or et du diamant, figure parmi les vingt plus importantes dans le monde (Photo : Gianluigi Guercia)

Le groupe Shanduka, présent dans l’énergie et l’agroalimentaire et détenu par le vice-président Cyril Ramaphosa un parfait exemple. M. Ramaphosa en a abandonné la direction quand il a pris ses fonctions au sommet de l’Etat.

Alors, 3% ou 23% d’actionnaires noirs à la bourse de Johannesburg, qui dit vrai ?

Les différentes méthodes de calcul ajoutent à la complexité d’un sujet sensible qui illustre surtout les lenteurs de la transformation de l’économie sud-africaine.

Zuma n’a pas inventé le chiffre de 3%. Cette statistique a été produite par le Fonds national pour l’émancipation (NEF).

La bourse, de son côté, se défend. Elle tient compte simplement des actionnaires individuels mais aussi des holdings et fonds de pension comme celui des employés du secteur public, principalement des Noirs: c’est l’un des plus importants investisseurs de la place sud-africaine.

Mais pour le NEF, “l’actionnariat passif ne reflète pas le niveau de transformation du pays”.

Sous le régime raciste d’apartheid, la majorité noire (80% de la population) a été systématiquement brimée et exclue économiquement.

Des programmes de discrimination positive ont été mis en place depuis 1994, qui ont permis de créer quelques grandes fortunes mais n’ont pas permis aux Noirs de prendre le contrôle effectif des entreprises.

La politique d’émancipation économique des Noirs (Black Economic Empowerment, BEE) a échoué à produire un nombre insuffisant d’industriels noirs et créé de nombreuses dérives clientélistes ou d’abus, avec l’utilisation d’homme de paille choisi pour leur couleur de peau (noire).

Le nombre de cadres et de dirigeants noirs dans l’économie sud-africaine a nettement progressé mais la majorité des très hauts responsables sont encore des Blancs de sexe masculin, notamment dans les mines, les usines ou les exploitations agricoles.

Les Blancs (9%) occupent toujours 62,7% des postes de direction en Afrique du Sud contre 19,8% pour les Noirs.

Et selon les données du recensement de 2011, le revenu des Sud-Africains blancs est près de six fois supérieur à celui de leurs compatriotes noirs qui forment 80% de la population.

“Le pourcentage d’actionnaire noir est un indicateur important”, souligne néanmoins Stuart Theobald, un analyste financier au sein du cabinet londonien Leriba. “A la fin de l’apartheid, il y avait une distorsion massive dans les ressources économiques en faveur des Blancs. Il faut y remédier. L’actionnariat est l’un des moyens de voir si on fait des progrès”, dit-il.

La vraie question selon lui est la possibilité de participer à l’économie, nuance, Douglas Taylor, enseignant d’économie l’université de Witwatersrand à Johannesburg. “Aucune politique publique ne rendre les Noirs riches s’ils n’ont pas d’argent”, dit-ils alors que le chômage se maintient depuis des années à un niveau chronique de 25%, et même 40% avec ceux qui ont renoncé à chercher un travail.