Social : Esquisses pour une nouvelle culture du travail en Tunisie

travail+travail-680.jpgLe travail est-il une valeur ou une marchandise? Le travail est-il un plaisir ou une contrainte? Faut-il dans ce cas se libérer par le travail ou faut-il se libérer du travail? Doit-on travailler pour soi ou pour autrui? Le travail est-il la seule composante de la productivité? L’éducation en Tunisie fait-elle assez pour inculquer aux jeunes générations l’amour du travail?

Autant de questions auxquelles un panel de sociologues et d’experts ont essayé de répondre dans le cadre d’une conférence-débat organisée, le week-end dernier, sur «la valeur du travail chez les Tunisiens» par le Forum pour une Nouvelle République (Nou-R) en partenariat avec l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE).

L’objectif de ce rendez-vous intellectuel animé par la modératrice Sana Ghenima, présidente de l’Association femmes et leadership, a été défini en ces termes par Maher Kallel, président de l’Association NOU-R.

Pour lui, cette manifestation, la première d’une série d’autres conférences sur le travail (sept au total), vise à sensibiliser l’opinion publique à l’enjeu de se remettre au travail afin de redresser la situation économique du pays qui s’est fortement dégradée suite à une période de transition de quatre années. «Se remettre au travail, a-t-il-dit, veut dire retrouver les valeurs du travail comme facteur de production ainsi que comme devoir moral».

Faut-il se libérer par le travail ou se libérer du travail?

Dans sa communication intitulée «la valeur du travail et les ressorts de la motivation au travail en Tunisie», Karim Ben Kahla, professeur d’université en science de gestion, a indiqué que le nouveau modèle de développement et le nouveau pacte social auxquels aspirent les Tunisiens doivent passer nécessairement par une meilleure compréhension de la valeur travail et par la mise en place d’une nouvelle culture du labeur.

Il devait traiter ensuite de l’éthos du travail, c’est-à-dire des spécificités intrinsèques de cette valeur laquelle suppose la concomitance de deux facteurs déterminants, en l’occurrence la responsabilité et l’émulation (concurrence).

Ben Kahla a insisté sur l’enjeu de percevoir le travail dans son acception la plus large et de ne plus l’assimiler uniquement à l’emploi.

Il y a là une erreur à éviter à tout prix, car, dit-il, plus le travail est confondu avec l’emploi, plus il y a de fortes chances pour que la crise s’installe en conséquence.

C’est le cas malheureusement de la Tunisie dont les concitoyens portent un très grand intérêt à l’identité travail-emploi. Cette importance accordée au travail est estimée, d’après une enquête menée par l’IACE, à 73,5% contre une moyenne mondiale de 57,9%. Idem pour la centralité du travail pour les Tunisiens. Elle est estimée au fort taux de 87% contre 61,84% dans le reste du monde et seulement 35,8% aux Etats-Unis.


Le travail, un droit et une contrainte

Pour sa part, Abdallah Mouaouia, sociologue et professeur de psychologie sociale et du travail, dans sa communication «la valeur perçue du travail», a apporté plusieurs éléments d’information dont: le travail est un droit mentionné dans l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Le travail est une contrainte en ce sens où le mot est dérivé du mot latin tripalium qui signifie un instrument de torture. D’où toute la signification du proverbe «a chaque jour suffit sa peine».

Autre élément d’information: le travail doit être perçu, pour lui, selon deux orientations: le mérite ou le besoin, rappelant à cet effet la pyramide du sociologue américain Abraham Maslow, une représentation pyramidale de la hiérarchie des besoins: besoins physiologiques (faim, soif, sexualité, respiration, sommeil, élimination), besoins de sécurité (environnement stable et prévisible, sans anxiété ni crise), besoins d’appartenance et d’amour (affection des autres), besoins d’estime (confiance et respect de soi, reconnaissance et appréciation des autres), besoins d’accomplissement de soi.

Le travail en Tunisie n’est pas lié à la production

Abdessattar Sahbani, professeur en Sociologie, a évoqué dans sa communication la relation conflictuelle entre travailleur et employeur. Les premiers qualifient de «sangsues» les seconds qui ne voient dans les travailleurs que «des flemmards nés», occultant que la problématique est plus complexe et qu’elle suppose, outre le rendement du travail, la qualité de la logistique et de l’environnement dans lequel ce dernier évolue.

Il considère que le travail en Tunisie n’est pas perçu comme un paramètre de production et encore moins comme une source de revenus mais comme un simple gain à acquérir, voire une garantie pour survivre. A preuve, lors des périodes de cherté des prix, le consommateur tunisien parvient toujours à la contourner en recourant à la débrouillardise et à l’activité informelle laquelle constitue pour lui la véritable source de revenus.

Enjeu d’actionner tous les leviers de productivité

Mme Riadh Zghal, professeur agrégée en Sciences de gestion, a tenu à souligner que le travail n’est pas le seul levier de la productivité. Elle a cité d’autres leviers dont la maintenance, la bonne gouvernance, l’assurance qualité, la chasse au gaspillage, autant de leviers à actionner ensemble pour améliorer la productivité qui demeure très faible en Tunisie, soit 52% contre 80% en Finlande par exemple.

Lutter contre les images aversives dans les manuels scolaires

Et pour ne rien oublier, tous les intervenants ont été unanimes pour désigner du doigt le système éducatif, et particulièrement les manuels scolaires qui donnent aux jeunes générations «une image aversive» de l’emploi dans plusieurs secteurs dont celui de l’agriculture.

Notre mémoire collective comporte, également, selon les conférenciers, moult adages et discours réducteurs à l’endroit de la valeur travail.