Maghreb : Le “oui mais plus tard” de l’Algérie à l’OMC!

Par : Tallel


centre_presse-2014.gif«Rien
ne presse l’Algérie d’adhérer à l’OMC. Il n’y a pas le feu. Nous devons d’abord
nous préparer. Notre pays va devoir relever d’importants défis économiques avant
d’accéder au statut de membre de cet organisme et accroître son poids économique
à l’échelle nationale, régionale et mondiale. Nous en avons le potentiel et les
moyens».

C’est la position défendue, hier, au forum Économie d’El-Moudjahid par le
conseiller du SG de l’UGTA chargé des affaires économiques, Mohamed Lakhdar
Badreddine et par le professeur Chemseddine Chitour ainsi que par l’économiste
Chafik Ahnine, le représentant de l’UGTA n’a pas manqué de mettre en garde
contre les répercussions négatives qui découleraient de cette adhésion.

Arguant de la mauvaise expérience avec l’Union européenne, Lakhdar Badreddine
indique qu’avec les normes imposées par l’OMC, nous n’aurons plus aucune chance
de préserver la production nationale et le pouvoir d’achat des Algériens qui
demeure la priorité de l’UGTA. Dès lors, il est plus que nécessaire, a-t-il
insisté, de valoriser le produit national, à commencer par le tissu industriel,
aussi bien public que privé, sous peine de le voir périr.

L’intervenant cite de manière particulière la filière du textile et
l’agro-alimentaire, dont la relance est indispensable. Mohamed Lakhdar
Badreddine souligne qu’en affichant une grande détermination à faire entrer
l’Algérie dans cette organisation commerciale internationale.

Dans ce sens, il précise que la confiance de l’UGTA en la personne du Président
Bouteflika reste intacte, dans la mesure où il ne prendra jamais une décision
sans tenir compte de l’intérêt de notre pays et ce nonobstant qu’il est demandé
au gouvernement d’étudier l’ensemble des aspects liés à cette adhésion et les
intérêts de l’économie nationale seront pris en considération.

À ce sujet, l’orientation du Président de la République était très claire:
accélérer le processus d’adhésion à l’OMC tout en sauvegardant les intérêts
économiques du pays. Ce processus qui est caractérisé par sa longueur et sa
complexité, le sera sans doute plus, particulièrement pour l’Algérie, pour
laquelle un véritable parcours du combattant semé d’embûches est imposé, relève
de son côté le professeur Chitour, qui insiste sur la nécessité d’aller très
rapidement vers une stratégie de développement nationale.

Ainsi, si certains considèrent l’adhésion de l’Algérie comme étant la voie
royale permettant de rendre son économie compétitive et ouverte à la concurrence
internationale, les opposants, à leur tête l’UGTA, estiment qu’une intégration à
l’OMC provoquerait la déliquescence de l’industrie nationale algérienne peu à
même de rivaliser avec ses grands concurrents internationaux et soumettra le
pays à la domination des grandes puissances économiques.

D’aucuns craignent également que l’ouverture du marché algérien à la concurrence
étrangère ne provoque un afflux de produits étrangers qui asphyxierait la
production nationale, fait remarquer le conseiller du SG de l’UGTA.

Revenant un peu à l’histoire de la création du Gatt après la deuxième guerre
mondiale et l’OMC ensuite, il rappelle que l’objectif assigné à l’organisation
est d’occuper le marché des pays qui adhérent. «Nous n’avons pas le même poids
qu’eux.

Le plus important est donc de savoir comment aller à l’OMC. Nous avons une
protection sociale extraordinaire en Algérie, si on va à l’OMC, l’électricité
c’est 3,80 le kv, au Maroc c’est 10 fois plus et en France c’est six fois plus.
On va nous obliger à vendre l’électricité au prix réel.

Aujourd’hui, Sonatrach vend le gaz pour le fonctionnement des centrales
électriques à un prix symbolique, même pas 1/10 du prix international et la
Sonelgaz le vend à perte, en plus c’est un service public. Il est précisé dans
les conditions de l’OMC qu’il n’y a pas de disparité dans les prix. Nous
invitons ceux qui pensent que cela va être le paradis pour l’Algérie à un débat
devant tout le monde», a-t-il lancé.

L’invité du forum Économie d’El Moudjahid a évoqué le cas de la Tunisie, dont
l’adhésion à l’OMC a fait perdre au pays 380.000 postes d’emplois dans le
textile. «Si on ne protège pas notre production nationale, l’adhésion à l’OMC se
traduira par la disparition des emplois», a-t-il averti.

Le professeur Chemseddine, relève, pour sa part, que l’OMC, c’est secondaire,
une petite partie d’une problématique d’ensemble et que ce qui est important
c’est l’avenir de ce pays. Il enchaîne par une série de questions en se
demandant où est-ce que nous allons et qu’a-t-on fait pour préparer le futur
quand on sait que nous serons 55 millions d’Algériens en 2030?

Pour lui, il faut faire d’abord un état des lieux. Il faut mettre tout à plat,
pour se donner une stratégie et un cap. Ainsi, il estime qu’il est grand temps
de briser notre dépendance totale et entière au seul pétrole, ajoutant que le
patriotisme économique consiste surtout à créer ses propres défenses
immunitaires, à l’image de l’Inde, qui produit chaque année près de 2 millions
d’informaticiens et exporte pour 25 milliards de dollars de logiciels.

Pour le professeur Chitour, «nous avons une fenêtre d’opportunités pour aller
vers une transition multidimensionnelle. Il faut aussi trouver les mécanismes
pour protéger ceux qui n’ont pas le pouvoir d’achat», a-t-il indiqué.

S’agissant de la problématique de l’exploitation du gaz de schiste, il estime
que ces forages et fracturation sont performantes. Ce qu’il faut faire, ce sont
des forages d’exploration pour savoir ce que nous avons en attendant que la
technologie soit mature.

De son côté, l’économiste Chafik Ahnine a livré une analyse concernant les
conditions d’adhésion d’un pays à l’OMC et les avantages que cela induit,
prévues notamment dans la charte de cette organisation. Il s’intéresse
particulièrement à la notion de libre-échange, un chapitre important de théories
économiques de nombreux économistes depuis David Ricardo au 19e siècle. «Adhérer
à l’OMC c’est accepter de s’ouvrir et de lever toutes les barrières douanières,
qui entravent les échanges. La finalité de l’OMC c’est de libéraliser le
commerce», a-t-il souligné d’emblée. Ainsi, le débat ce n’est pas d’adhérer ou
non à l’OMC ?

Le débat c’est de savoir est-ce que le fait de libéraliser les échanges,
d’ouvrir les frontières aux échanges avec le monde extérieur, sera dans
l’intérêt de l’économie nationale, en termes de croissance, de création de
richesse et d’emploi, et de compétitivité…

L’économiste Chafik Ahnine explique que ce débat, qui est aussi international,
n’est pas tranché du point de vue théorie économique, ou de la pratique et que
le libre-échange n’a jamais dominé le monde. Il démontre ensuite
qu’historiquement, les grands pays industriels n’ont pas suivi le libre-échange
pour se développer, mais qu’au contraire, ils ont eu recours à des pratiques
protectionnistes.

Ricardo, qui soutenait la bourgeoisie anglaise, a milité pour le libre-échange,
soutenant que l’ouverture des frontières induira une baisse des salaires qui est
utile pour la bourgeoisie.

Son deuxième argument est que le pays qui produit plus et exporte plus, c’est
lui qui prône le libre-échange.

Il a développé la théorie des avantages comparatifs, par laquelle il préconise
que l’application de la libéralisation du commerce serait au bénéfice de tous
les pays.

D’autres théories soutiennent le contraire, indique l’économiste Chafik Ahnine,
dont la théorie des industries naissantes, défendue par l’Allemand Frediric List
au cours des années 1840/1850, selon qui, les entreprises nationales ne peuvent
se développer si le marché est déjà occupé par les entreprises de pays étrangers
économiquement plus avancés.

Le protectionnisme a pour objectif de protéger sur le moyen terme le marché
national afin de permettre sur le long terme un libre-échange qui ne soit pas à
sens unique. Son but est industriel.

Sa théorie est applicable donc particulièrement aux pays en voie de
développement. L’économie allemande au milieu du 19e siècle était faible.

Il propose de protéger les industries naissantes, en les aidants sur tous les
plans. Il faut soutenir les forces productives, la recherche scientifique, et la
protection de l’économie. L’américain Alexander Hamilton, lui a emboîté le pas,
en insistant sur l’importance de soutenir par des aides les industries
naissantes, explique le conférencier.

Il a également trouvé intéressantes les considérations keynésiennes sur le
libre-échange et le protectionnisme, lors de la crise de 1929.

Des considérations qui militent en faveur d’une alternative au libre-échange
intégral, à savoir la voie de la protection des économies nationales et c’est au
nom de la priorité à l’emploi que Keynes va révéler son penchant pour les
mesures protectionnistes.

Sa défense du protectionnisme n’est plus guidée par son souci de faire sortir
l’économie britannique de la crise dans laquelle elle se trouvait au début des
années 1930, mais bien par celui de lui éviter le retour des crises auxquelles
la livrerait un système économique autorégulé.

Pour ce faire, la régulation des échanges commerciaux lui paraît indispensable.

Le conférencier soutient à partir de là que c’est grâce au protectionnisme que
les pays développés ont réussi leur développement. «Le libre-échange est un
leurre. Il y a des périodes où le libre-échange prend le dessus sur le
protectionnisme. Les périodes de prospérité. Dans le sous-développement c’est le
protectionnisme qui prend le dessus. Les Anglais ont pratiqué le protectionnisme
pendant 3 siècles, pour réussir la révolution industrielle», a-t-il rappelé,
ajoutant que «les USA et l’UE sont en train de négocier un accord de
libre-échange parce qu’au sein de l’OMC, les négociations multilatérales sont
bloquées, depuis 2001, il y a une crise au sein de l’OMC, ils veulent sortir du
cadre OMC pour contrecarrer les BRICS. Ils sont conscients que c’est déterminant
pour leur avenir».

L’occasion a été pour lui aussi d’invoquer la contribution de Paul Krugman, prix
Nobel d’économie, sur les stratégies commerciales. L’analyse de Krugman a porté
sur l’impact des économies d’échelle dans le commerce international, alors
qu’avant lui, la théorie dominante est celle de l’avantage comparatif de David
Ricardo.

En conclusion, il indique que ce qui détermine le développement et la croissance
d’un pays c’est sa stratégie interne, sa politique de développement. Une
politique solide pour développer les entreprises et ce n’est pas l’adhésion à
l’OMC.