Valeur travail : Mehdi Jomâa sera-t-il entendu?

 

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Mehdi Jomâa l’a dit clairement: le seul salut des Tunisiens est dans le travail. Reste que faire porter le chapeau par le Tunisien et à sa volonté de ne pas aller au charbon peuvent-ils expliquer la faiblesse enregistrée au niveau de la production et de la production? Evidemment non.

Ce qu’on retiendra aussi de l’interview télévisée de Mehdi Jomâa du 3 mars 2014 est sans doute son appel en vue de mettre le pays au travail. Le chef du gouvernement de la dernière période de transition insistera sur le fait qu’aucun pays au monde, à commencer par la Corée du Sud, qui était dans les années soixante-dix au même niveau de développement et qu’il n’a assuré son envol que grâce au labeur.

Les Tunisiens l’entendent-ils de cette oreille? Nul doute que les Tunisiens ont conscience du fait que rien ne peut aboutir sans travail. Ils savent aussi que de nombreuses pesanteurs n’ont pas toujours facilité cette propension du Tunisien à aller, pour ainsi dire, au charbon.

La politique du moindre effort

Le sociétal joue beaucoup dans cette dépréciation de la valeur travail. Beaucoup d’observateurs et analystes ne sont pas loin de penser que le travail est pour nombre de Tunisiens une quasi-«punition». Publié après la révolution par l’universitaire Moncef Ouaness sur «La personnalité tunisienne, essai de compréhension de la personnalité arabe» (Edition de la Maghrébine d’Impression et de Publicité du Livre, Tunis, 2011), cet ouvrage tente de nous apporter somme toute un éclairage certain sur cette question. On peut lire notamment, à ce sujet, que «la société tunisienne est plutôt encline à adopter la politique du moindre effort et à recourir à des raccourcis pour atteindre les objectifs visées» (page 232).

Mais l’on ne peut s’arrêter à ce seul éclairage pour expliquer le fait que le Tunisien est peu porté sur le travail. Comme le dit très clairement l’anthropologue français Marcel Mauss, un fait social est par essence un phénomène total. En clair, pour le comprendre, il faut l’approcher sous des angles différents.

La «victimisation» s’est emparée de l’espace public

A commencer par celui des pratiques des pouvoirs de l’indépendance à l’éclatement de la révolution. En effet, en vue de légitimer le pouvoir en place et casser le cou à toute contestation, la propagande développait un discours fait d’une nette autosatisfaction.

Une sorte de «Tout va bien madame la marquise». Orbi et urbi, on chantait les réussites d’un pays où il fait bon vivre. Et on égrenait à longueur de journées «les acquis et les avancées spectaculaires» qui faisaient de la Tunisie un success-story dans «tous les domaines». Un discours qui ne pouvait solliciter grandement l’effort et appeler à l’abnégation. Sauf peut-être pour défendre les acquis du régime!

Le discours, nourri depuis le 14 janvier 2011, a fait pratiquement le contraire. Mais sans pour autant servir toute volonté de se surpasser. En effet, une certaine «victimisation» s’est emparée de l’espace public faisant de toutes les catégories sociales et de toutes les régions, ou presque, des «exclues» et des «marginalisées». On n’entend parler que d’«eqsaâ» et de «tahmich».

Encourager les employés à donner le meilleur d’eux-mêmes

Une «victimisation» qui a fait que tout un chacun s’identifie par rapport à ses droits et non par rapport à ses devoirs. Une «victimisation» qui a plongé des pans entiers de la société dans un corporatisme certain. L’entêtement de certains employés à faire grève, alors qu’ils ne pouvaient ignorer la situation financière par laquelle passe le pays, donne la preuve de cette réalité.

Mais là aussi il n’y a pas que ces aspects des choses. Force est en effet de reconnaître que le vécu de certaines entreprises n’est pas toujours là pour encourager les employés à donner le meilleur d’eux-mêmes. Les conditions de travail, l’opacité, l’absence de politique de communication, une manière de traiter les employés –laquelle manière ressemble bien plus à la gestion du personnel qu’à celle de ressources humaines- peuvent expliquer souvent cette propension au laisser-aller et même à la paresse.

Lorsque les raisons de cet état de fait ne sont pas dans le clanisme, le favoritisme ou même le régionalisme. Qui ne sont pas nécessairement promus par le premier responsable. Comme on a quelquefois tendance à le croire.