Tunisie : Mohamed Frikha, la force tranquille!

«Ne pas répondre à des critiques quand on a la tête sous l’eau». C’est là l’un des principes de base qui guide l’action de Mohamed Frikha en tant qu’homme et chef d’entreprise. Critiqué ou remis en question dans certains de ses choix et initiatives, le fondateur-pdg de Telnet Holding et de Syphax Airlines a choisi de faire le dos rond. En silence. Pour la première fois depuis près de six mois, il parle pour répondre à toutes les critiques et doutes dont il a été l’objet.

mohamed-frikha-syphax-680.jpgWMC: Syphax Airlines a été lancée en pleine période de transition post-Ben Ali. Comment votre compagnie a-t-elle traversé les trois années très difficiles que vient de vivre le pays?

Mohamed Frikha: Syphax Airlines ayant été créée après la révolution, nous savions pertinemment dès le début que notre parcours allait être difficile, semé d’embuches. Mais il fallait s’engager pour donner un exemple aux investisseurs tant tunisiens qu’étrangers et les inciter ainsi à en faire de même.

Le démarrage a donc été difficile, notamment en raison du problème de la coexistence avec les opérateurs existants. Malgré cela, Syphax Airlines a relevé le défi et réussi à s’imposer dans le paysage du transport aérien tunisien.

Rien que sur la ligne Tunis-Paris, nous enregistrons un taux de remplissage de près de 75%. Ce qui constitue une bonne performance pour une jeune compagnie. Les gens ont tendance à l’oublier, mais Syphax Airlines n’existe que depuis près de deux ans.

Les difficultés se sont accrues en 2013 qui n’a pas été facile pour tout le monde, et pour notre secteur en particulier. Grâce à notre persévérance, nous avons pu franchir ce cap. Aujourd’hui, nous reprenons la mise en œuvre de notre plan de développement.

Vous êtes en retard de combien dans la mise en œuvre de ce plan?

En raison de la situation ayant prévalu dans le pays en 2013, nous avons pris une année de retard.

Comment se présente aujourd’hui la situation financière de Syphax?

Financièrement, 2013 a été très difficile en raison de l’impact de la situation du pays sur le transport aérien, du manque de liquidités dans le système bancaire et du retard dans le rapatriement des revenus de Syphax Airlines de Libye. Nous étions dans le rouge, nous serons cette année dans le vert.

Comment s’annonce l’année 2014 pour Syphax?

L’année en cours s’annonce bonne pour l’ensemble du secteur. En ce qui nous concerne, elle sera riche en évènements. Le 25 avril prochain, nous commençons l’exploitation de la ligne Tunis-Montréal. Ce qui fera de nous la première compagnie aérienne tunisienne à desservir l’Amérique du Nord.

Nos projections montrent que cette ligne sera bénéficiaire. Sur les 25.000 Tunisiens vivants dans cette ville, 12.000 comptent rentrer en Tunisie l’été prochain. En outre, des opérateurs touristiques canadiens ont déjà commencé à vendre des «packages» sur la Tunisie pour les mois d’avril et juin. Ce qui va nous assurer jusqu’à 200 sièges par rotation.

Dans la foulée, nous sommes en train d’organiser un vol promotionnel sur la Chine. Il aura lieu dans les semaines prochaines, à l’occasion du cinquantenaire des relations tuniso-chinoises et de la semaine tunisienne en Chine. L’exploitation de la ligne Tunis-Pékin débutera à l’hiver 2014 avec une rotation hebdomadaire.

Nous avons également lancé les procédures en vue de l’obtention de l’autorisation de desservir les Etats-Unis. La ligne Tunis-New York sera ouverte en 2015. A partir de l’hiver 2014, nous lancerons trois nouvelles lignes moyens courriers sur l’Europe.

Comment la flotte va-t-elle évoluer pour accompagner la montée en puissance de votre activité?

Nous commençons à recevoir les 6 Airbus en avril 2015. Les premiers à être livrés seront deux Airbus A320 en avril et juin prochains. Un deuxième Airbus A330 sera loué en avril 2015.

Enfin, en mai prochain, nous organisons une mission de prospection pour choisir les destinations de l’Afrique sub-saharienne que nous commencerons à exploiter en 2015.

Dans les milieux d’affaires, certains estiment qu’en créant Syphax Airlines et en vous investissant corps et âme, vous êtes en train de mettre en danger ce que vous avez créé en premier, Telnet. Qu’en pensez-vous?

Il faut d’abord rappelez que nous sommes parvenus à l’indépendance financière des deux entreprises: Telnet ne détient plus que 9% du capital de Syphax Airlines. En outre, Telnet est en train de tirer profit de cette relation, puisque, grâce au contrat conclu (en juillet 2013, parallèlement à la visite du président Hollande en Tunisie et prévoyant l’acquisition d’avions par Syphax Airlines et l’octroi d’un certain volume d’activité par le constructeur aéronautique européen en retour à Telnet) avec Airbus, le nombre de ses ingénieurs travaillant pour l’aéronautique est passé de 50 à 200.

En outre, si une compagnie, qui a enregistré un taux de croissance de 15% et réalisé un chiffre d’affaires de 40 millions de dinars et un bénéfice net de 6 millions de dinars en 2013, est en danger, c’est qu’il faut revoir certains fondamentaux économiques.

Comment expliquez-vous le cours boursier relativement faible de Telnet?

Je m’en étonne, et j’estime qu’elle vaut le double de sa valeur actuelle. D’abord, parce que Telnet est un fleuron de la technologie au niveau de la région et dont l’expertise technologique unique lui a permis de s’imposer sur la scène internationale.

Ensuite, parce qu’en plus de sa richesse immatérielle, la société dispose de beaucoup d’actifs construits tout au long de ses 20 ans d’existence, dont le techno-centre des Berges du Lac, un bâtiment unique en Tunisie.

Enfin, Telnet, qui est l’entreprise employant le plus grand nombre de thésards –une vingtaine, dans le cadre du projet européen Mobidoc-, va obtenir cette année son premier brevet dans le cadre d’un projet européen dans le domaine de la qualité du son des mobiles et de tous les équipements multimédias, réalisé avec le Commissariat à l’Energie Atomique (France).

De surcroît, Telnet est en train de préparer l’avenir en se dotant, à l’instar des grandes compagnies occidentales, d’un Telnet Innovation Labs au Parc technologique d’El Ghazala. Nous allons y réaliser la première salle blanche de micro-électronique en Tunisie et dans la région.