Tunisie – Propriété intellectuelle : L’art 41 de la Constitution est ambigu!

Par : Autres

constitution-01022014.jpgAprès
l’énonciation du droit à la propriété intellectuelle dans la nouvelle
Constitution tunisienne, précisément dans son article 41 relatif à la propriété
intellectuelle, la polémique sur la garantie effective du droit du créateur à
bénéficier des usufruits de ses oeuvres persiste, car il demeure tributaire de
son degré d’application notamment en matière de poursuites judiciaires.

Cependant, cet article, qui stipule que “le droit à la propriété est garanti et
qu’il ne peut être remis en cause que dans les situations définies par la loi.
La propriété intellectuelle est garantie”, a été qualifié de “vague et d’ambigu”
par certains artistes et professeurs en droit constitutionnel, dans leurs
témoignages à l’agence TAP.

Le professeur en droit constitutionnel, Sadok Belaid, a souligné que cet article
ne permet pas de distinguer clairement entre la notion de la propriété dans ses
formes matérielles et celles intellectuelles dans leurs dimensions artistiques.
Il a, à cet égard, précisé que la formulation constitutionnelle réservée à ce
droit est vraiment concise et n’exhorte pas l’effort en termes de créativité
intellectuelle. Il considère que cet article ne mentionne pas non plus la
protection de la production culturelle et artistique.

Quant à Fadhel Moussa, professeur en droit constitutionnel et député à
l’Assemblée Nationale constituante (ANC), il a indiqué que l’adoption de
l’article 41 relatif à la propriété intellectuelle à la majorité de 168 voix,
témoigne de l’engagement de l’élite politique quant à la promotion de la
création culturelle…

Il a souligné que les difficultés du marché culturel doivent être résolues par
une sorte de “sécurité juridique” en accordant aux ayant droit une garantie sur
l’exploitation de leur patrimoine ce qui contribuera à la promotion de la
création et de la culture en Tunisie. L’objectif final, a-t-il signalé, est de
parvenir à réaliser un bon équilibre entre “incitation” et “accès”. C’est à dire
inciter à promouvoir les droits de propriété intellectuelle tout en prévenant
les risques de restrictions à l’accès qui pourraient conduire à une
sous-utilisation des oeuvres.

Pour sa part, la cinéaste et députée à l’Assemblée nationale constituante (ANC)
Selma Baccar a exprimé son regret de voir l’inscription du droit de la propriété
intellectuelle paraître dans une forme “vague et imprécise” dépourvue de toute
approche constructive ou interactive. Elle a rappelé, dans ce sens, qu’elle
avait insisté à ce que le droit à la propriété intellectuelle soit inscrit dans
l’article 42 ayant trait aux droits à la culture et à la liberté de création
afin d’en faire une législation solide en faveur de la protection de la
propriété intellectuelle, conformément aux normes internationales en la matière
et pour faire face au piratage et à l’imitation.

Le scénariste et metteur en scène Moncef Dhouib a, pour sa part, confirmé
l’absence de lois répressives relatives au plagiat et que les litiges relatifs
au pillage des oeuvres artistiques sont traités dans le cadre des affaires
civiles. Il a indiqué que le vide juridique en ce qui concerne la protection des
droits d’auteur contribue au vide culturel car le préjudice moral et financier
subi par le créateur ne connaît pas de suite judiciaire.

Dans ce contexte, il est revenu sur l’affaire du one man show “Fi hak sardouk
nraychou”, objet d’un procès contre le comédien Lamine Nahdi. Il a rappelé que
le tribunal a reconnu ses droits d’auteur en tant que propriétaire de cette
pièce de théâtre en ordonnant à Lamine Nahdi un dédommagement de 340.000 dinars,
or, a-t-il précisé, ce verdict n’a jamais été exécuté.

De son côté, l’artiste Mokdad Shili, secrétaire général du Syndicat national des
chanteurs professionnels a insisté sur le fait que l’inscription d’un article
favorisant la protection de la propriété intellectuelle dans la nouvelle
constitution tunisienne n’est pas en mesure d’assurer les droits moraux et
financiers des créateurs. Pour défendre les droits d’auteur, il suffit, a-t-il
signalé de lutter contre la contrefaçon et le piratage afin d’atténuer leurs
retombées négatives sur l’industrie culturelle, et ce, à travers la création
d’institutions culturelles fortes et autonomes qui veilleraient à une
application ferme des lois et à leur actualisation de manière à hisser la place
des artistes tunisiens et à enrichir de la sorte le paysage culturel tunisien.

Pour Houcine Dimassi, expert en économie et ancien ministre des Finances,
l’industrie culturelle est un secteur porteur en terme de rentabilité économique
sauf que cette rentabilité, a-t-il expliqué, est tributaire de certaines
mesures. Selon ses propos, l’Etat doit encourager l’investissement dans la
culture et doit renforcer les lois prônant la promotion de la création. Comme la
contrebande dans le marché parallèle, le piratage constitue une menace qui
contribue à la régression de la production culturelle au niveau quantitatif et
qualitatif en Tunisie, du moment où les droits moraux et financiers des artistes
ne sont pas garantis, a-t-il avancé.

Il a fait remarquer que l’article 41 inscrit dans la nouvelle constitution
tunisienne ayant trait à la propriété intellectuelle n’aurait pas d’impact réel
en l’absence d’institutions culturelles autonomes oeuvrant pour la protection de
la propriété intellectuelle, seul moyen de favoriser l’émergence d’un produit
culturel national de qualité susceptible d’être exportable.

Pour le directeur général de l’Organisme tunisien des droits d’auteur et des
droits voisins, Youssef Ben Brahim, a expliqué que la constitutionnalisation du
droit à la propriété intellectuelle constitue en lui-même un pas positif étant
donné que la Constitution est une loi suprême. Selon lui, le processus
législatif à venir exige une coordination entre les différentes structures
concernées dont l’Etablissement de la Télévision Tunisienne, la Haute autorité
indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) et les associations
oeuvrant pour la protection des droits d’auteur afin de jeter les bases aux
futures dispositions juridiques garantissant la dignité du créateur et
favorisent la promotion culturelle.