Le Burundi, le pays où l’on récitait des poèmes aux vaches

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à longues cornes Ankolé sous la surveillance de son propriétaire, le 13 août 2013 à Maramvya, au Burundi (Photo : Esdras Ndikumana)

[26/08/2013 06:49:24] Bujumbura (Burundi) (AFP) Il fut un temps où les pasteurs burundais récitaient des poèmes à leur vache en la menant au pâturage, avant que la guerre civile ne décime le cheptel. Depuis, l’élevage se reconstruit, au prix d’un difficile passage à la modernité.

Toute la civilisation burundaise était centrée sur le bétail. Signe du respect porté au ruminant, on utilisait le même mot (“igisabo”) pour parler de l’estomac du roi – de droit divin – et de la vache, différent du terme (“inda”) employé pour le commun des mortels.

Avant la guerre civile burundaise (1993-2006), le cheptel “comptait jusqu’à 800.000 têtes”, se souvient Eliakim Hakizimana, directeur général de l’élevage au ministère de l’Agriculture.

Mais les treize ans de conflit ont “eu des conséquences terribles sur les vaches” et il n’en restait qu’environ 300.000 quand la paix est revenue entre la minorité tutsi et la majorité hutu.

Les rebelles hutus s’attaquaient spécialement aux vaches, vénérées par la communauté tutsi, traditionnellement formée d’éleveurs, et s’en nourrissaient pendant le conflit qui a fait 300.000 morts et ruiné l’économie du petit pays d’Afrique des Grands Lacs.

Car au Burundi, la vache était sacrée.

“Avant la colonisation, avant l’arrivée du Blanc vers la fin du XIXe siècle, la vache n’était pas un simple animal domestique dans le royaume du Burundi”, explique l’abbé Adrien Ntabona, 74 ans, ex-professeur d’ethnologie à l’Université du Burundi.

“Un éleveur parlait à sa vache, pouvait en décliner la lignée. Il lui récitait des poésies, différentes selon qu’il la menait à l?abreuvoir, au pâturage, la ramenait à l’enclos ou la trayait”.

Avec ses longues cornes et ses pattes fines, la vache burundaise, de race ankole comme partout dans la région des Grands Lacs, représentait un parangon de beauté dans l’imaginaire local.

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à longues cornes Ankolé sous la surveillance de son propriétaire, le 13 août 2013 à Maramvya, au Burundi (Photo : Esdras Ndikumana)

A une femme, on ne disait pas qu’elle avait de beaux yeux, mais “des yeux de veau” (“Afise amaso y’inyana”).

Le temps se déclinait au rythme de l’élevage: pour évoquer le matin on disait “l’heure du pâturage”, pour le début d’après-midi “l’heure du retour des veaux”.

Les vaches elles-mêmes recevaient des prénoms, faisant référence à leur beauté ou leur caractère: “Yamwezi” (Celle qui descend de la lune), “Yamwaka” (La plus belle de l’année) ou “Jambo” (La parole).

“Une vache à deux pattes”

“Lorsqu’on voulait avoir une propriété, une faveur et même une épouse, on donnait une vache,” explique Pierre Nduwimana, un paysan de Matana (sud).

“Pour la dot par exemple, on donnait une ou plusieurs vaches, selon sa richesse”. Et en échange, selon une expression consacrée, “on disait que l’on venait chercher +une vache à deux pattes, qui puise l’eau et coupe le bois+”.

“Le Burundi avait instauré une civilisation de la vache”, résume l’abbé Ntabona: l’animal “était une source de liens sociaux”. “Elles n’étaient pas traitées comme des déesses comme en Inde, mais elles étaient relativement sacrées et devaient être traitées comme tel”.

Avant même la guerre civile, la colonisation allemande, puis la tutelle belge, l’explosion démographique et la diminution drastique des terres dédiées à l’élevage avaient peu à peu eu raison de ce mode de vie. Au grand regret de certains Burundais.

“Mon père avait des vaches, de même que mon grand-père et mon arrière-grand-père, mais je ne peux plus entretenir un troupeau,” se désole Pierre, fonctionnaire. “Je ressens bien sûr une grande culpabilité, comme si j’avais trahi mes parents.”

Depuis la fin de la guerre, le cheptel – 600.000 têtes aujourd’hui – s’est reconstruit. Mais il faut désormais beaucoup d’argent pour acheter une vache – environ 1.000 USD, une fortune dans l’un des pays les plus pauvres au monde. A moins de bénéficier de la politique de repeuplement du cheptel.

Quelque 25.000 vaches ont ainsi été distribuées depuis 2008, dans le cadre de ce programme qui “vise à moderniser le secteur pour le rendre productif en lait, fromages, engrais,” explique M. Hakizimana.

Emmanuel Nibaruta, un paysan de 35 ans vivant sur la colline de Remera, dans le province septentrionale de Ngozi, “continue de remercier Dieu” de lui avoir donné sa première vache.

Et tant mieux si ce n’est pas une ankole, mais une “Frisonne” européenne: elle produit 16 litres de lait chaque jour contre un seul pour une vache traditionnelle burundaise.

Mais le programme se heurte à un problème de taille: les éleveurs n’ont pas d’endroit pour transformer ou vendre le lait.

La seule laiterie a été fermée au début de la guerre civile. Le lait est vendu par des cyclistes qui sillonnent les rues de la capitale à toute heure de la journée.

“Cela nous démotive nous les éleveurs, car nous sommes obligés de jeter le lait, alors que la nourriture et les médicaments vétérinaires sont si chers au Burundi,” regrette Anicet, fonctionnaire et par ailleurs propriétaire d’une ferme.

Le Burundi est le plus petit producteur laitier d’Afrique de l’Est (71.300 de tonnes en 2011), loin derrière le Kenya (2,5 millions de tonnes), l’Ouganda, la Tanzanie (500.000 tonnes chacuns) et le Rwanda (121.400 tonnes).

“Nous avons beaucoup de retard, c’est pourquoi on doit dépasser l?élevage de prestige et s?acheminer vers un élevage rentable”, reconnaît M. Hakizimana. Mais “le chemin sera long, très long”.