Tunisie – SheratonGate : Les journalistes n’ont plus l’apanage du journalisme

 

journalisme-2013.jpgDe grands bouleversements ont marqué la profession journalistique. Avec le «journalisme citoyen» et le libre accès de tous à l’information, les journalistes n’ont plus le monopole de la collecte de l’information et de sa diffusion.

La situation est des plus complexes concernant l’exercice de l’activité journalistique dans le monde qui n’est plus le monopole des journalistes. Trois éléments permettent sans doute d’y voir plus clair.

Le premier est que la carte de journaliste n’est pas nécessaire pour pratiquer la profession. Nombre de journalistes ne l’ont jamais obtenue. Beaucoup parce qu’ils n’exercent pas ce travail à plein temps, d’autres parce qu’ils ont un statut («free lance» par exemple) qui ne les autorise pas du moins dans de nombreux pays du Sud, d’autres encore parce que les directions des journaux veulent maintenir des journalistes –et ils sont nombreux en Tunisie- dans une situation de pigistes; d’autres aussi parce que les textes ne favorisent pas l’obtention de cette carte.

Ne faut-il pas être détenteur d’une licence pour obtenir la carte professionnelle en Tunisie?

Deuxième élément: le journalisme a toujours été un métier ouvert. Domaine de l’esprit, lié souvent à l’exercice d’une liberté fondamentale -celle de l’opinion, de l’expression et de l’impression-, il a toujours été conquis par tous ceux qui ont un mot à dire sur le fonctionnement de la société et de ses rouages.

Dans beaucoup de pays latins (France, Italie, Espagne…) et arabes (Egypte, Syrie, Liban, Tunisie, Algérie, Maroc…), il a toujours eu pour précurseurs des hommes politiques, des syndicalistes et des hommes de lettres. Le journalisme a été du reste d’abord une affaire d’expression des opinions.

Et on peut multiplier les exemples

Et c’est parce qu’il est un domaine ouvert que la profession journalistique est encore aujourd’hui une des rares professions que l’on peut exercer sans avoir de diplôme universitaire a fortiori un diplôme de journalisme. Il suffit d’aller à la découverte du profil de nombreux brillants journalistes ou du moins considérés comme tels pour découvrir qu’ils n’ont pas fréquenté d’écoles de journalisme.

Il faut un diplôme de médecin pour exercer la médecine, un diplôme de pharmacien pour exercer la pharmacie, un diplôme d’architecte pour faire de l’architecture, il faut encore avoir obtenu un diplôme d’ingénieur pour exercer la profession d’ingénieur, il faut avoir obtenu la révision comptable pour exercer le métier d’expert-comptable, une licence en droit et un Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat pour devenir avocat … Et on peut multiplier les exemples.

De récepteur à émetteur

De grands journalistes français, comme Raymond Aron, Joseph Kessel -que l’on présente comme étant un des pères du reportage-, ou Jean-Paul Sartre -qui a été à l’origine du quotidien Libération, n’ont jamais fréquenté des écoles de journalisme et n’ont jamais obtenu de carte de presse.

Nombre de pays démocratiques ne reconnaissent pas de statut particulier aux journalistes. C’est le cas de l’Allemagne et des Etats-Unis d’Amérique. Dans ce dernier pays se sont les médias qui délivrent des cartes de presse à leurs employés journalistes. Le premier amendement de la Constitution américaine, on le sait, interdit de faire une loi qui touche à la liberté de presse. Or, reconnaître qu’une profession a une certaine légitimité ou un monopole à collecter l’information et à la mettre à la disposition du public est anticonstitutionnel. D’ailleurs, l’obtention d’une carte de presse ne se fait pas partout, comme en Tunisie ou en France, par le biais une structure mandatée par l’Etat.

Outre ce dernier cas de figure, la carte de journaliste professionnelle est octroyée par une structure professionnelle (un syndicat ou une association) –la plupart des cas- ou par les employeurs.

D’un autre côté, en Tunisie et si on se réfère au décret-loi 2011-41 du 26 mai 2011 relatif à l’accès aux documents administratifs des organismes publics, tout citoyen a droit d’accès aux documents administratifs (Article 3). Par ailleurs, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ratifiée par la Tunisie, stipule dans son article 19 que «Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit». Ce qui veut tout dire.

Mais, une troisième donne va venir apporter une nouvelle approche: l’apparition de l’Internet. Celle-ci va accoucher en effet du «journalisme citoyen». C’est-à-dire le passage pur et simple du citoyen du rôle de récepteur à celui d’émetteur. Le citoyen devient donc un média au sens large du terme sans doute celui que décrit le sociologue des médias Marshall Macluhan: ce qui prolonge par l’action la main de l’homme.

Dans le même ordre d’idées, il faut bien insister sur le fait que «le journalisme citoyen» a largement bouleversé la profession journalistique. Ainsi, les médias ont trouvé là l’occasion de faire participer le citoyen (lecteur, auditeur, téléspectateur ou encore internaute) à l’élaboration des contenus par des alertes, une collecte de l’information sur le terrain ou encore une explication et une analyse des faits. Et c’est devenu une pratique courante. Des journalistes ont d’ailleurs suivi le mouvement en prévoyant des blogs dans les sites des médias dans lesquels ils travaillent.