Mahmoud Ben Romdhane : “En voulant contrôler l’Administration, les gouvernorats, les délégations… Ennahdha les a décapités”

mahmoud-ben-romdhane-2013.jpgS’il est quelque chose pour lequel Mahmoud Ben Romdhane, économiste, sociologue et chercheur, en veut au gouvernement Ennahdha, c’est bien «l’œuvre de destruction massive des institutions de l’Etat tunisien, alors que le fer de lance de la Tunisie a été la qualité de son administration publique». Pour sortir le pays du marasme dans lequel il se débat, il va falloir «restaurer l’espoir, répondre aux urgences sociales et ouvrir des perspectives prometteuses».

Entretien

WMC : Quelles sont, selon vous, les conséquences de la gestion Ennahdha des affaires de l’Etat sur le plan socio-économique?

Mahmoud Ben Romdhane : Ennahdha est loin, très loin, d’avoir réalisé ses engagements en matière de réalisation de projets. La colère des régions intérieures est l’expression de cet échec patent. Les données chiffrées sont sans ambiguïté. La raison tient au fait qu’Ennahdha, en voulant mettre la main sur l’Administration centrale, sur les gouvernorats, les délégations et les imadates, les a simplement décapités, et a, par voie de conséquence, considérablement réduit la capacité de mise en œuvre des projets publics. Ennahdha paie le prix de ses velléités tentaculaires. Mais, en dernière analyse, ce sont les régions pauvres et déshéritées qui en souffrent terriblement.

Les régions doivent-elles souffrir plus qu’elles ne souffraient auparavant ou c’est le pays dans son ensemble ?

Ce sont au premier chef les régions marginalisées qui subissent de plein fouet les répercussions de cet état de fait. Mais c’est également l’économie dans son ensemble car les investissements publics sont censés compenser, au moins partiellement, le déficit de l’investissement privé. La réduction des investissements publics a pour effet la réduction du niveau de la demande et, par voie de conséquence, le niveau de l’activité économique. Les avantages de cette situation concernent, essentiellement, la limitation du niveau des déficits publics et courants. Par les temps qui courent, la priorité devait être accordée aux régions défavorisées et au soutien de la demande.

Personne ne doute aujourd’hui que l’économie tunisienne est en souffrance, à cause de la dégradation du déficit de la balance de paiement et du déficit budgétaire. Quelle serait la porte de sortie selon vous?

Ce n’est pas encore de ces causes dont souffre l’économie tunisienne. Elle souffre essentiellement de la faiblesse de l’investissement privé aussi bien national qu’étranger. Mais il est vrai que notre marge de manœuvre budgétaire et monétaire commence à être sérieusement limitée. Il n’y a pas de sortie possible sans reprise de l’investissement. Et celui-ci ne peut reprendre que lorsque des élections transparentes auront été tenues et qu’un gouvernement légitime, crédible et stable aura été mis sur pied.

Que pensez-vous du budget de l’Etat 2013 ?

Le budget actuel se caractérise par un extrême populisme, un laisser aller, une absence de volonté. Les dépenses de fonctionnement, qui se composent, pour ainsi dire, de la masse salariale et des dépenses de compensation, augmentent à un rythme effréné, tandis que les dépenses d’équipement, qui se composent essentiellement d’investissements, baissent de manière spectaculaire. On est dans cette logique corporatiste où les intérêts égoïstes prévalent sur l’intérêt public.

4,5% de croissance en 2013, c’est possible selon vous ?

Je ne pense pas que le gouvernement parviendra à atteindre le taux de 4,5%. Il faudrait, pour cela, que le niveau de l’investissement soit significativement plus élevé que celui que nous prévoyons. Et même s’il y arrivait, il faut savoir qu’avec un tel taux, le chômage, au lieu de diminuer, augmenterait. Les institutions internationales tablent sur un taux de 3,5%. Je ne pense pas qu’on puisse faire mieux.

Y a-t-il risque selon vous que la cession des biens publics ait des répercussions sur la souveraineté économique nationale? L’exemple de la BT illustrerait-il cela?

Nous vivons dans un univers économique mondialisé. Ce qui importe, c’est le caractère stratégique ou non du bien public cédé, c’est le cahier des charges auquel est soumis l’acquéreur. L’exemple de la Banque de Tunisie est édifiant: il a montré qu’on était prêt à céder une part décisive du capital de la banque à des acquéreurs dont on ne connaît pas l’identité effective. Dieu merci, il y a eu un tollé et le gouvernement s’est ravisé.

Quelles sont les conditions qui devraient permettre l’amélioration de la situation du pays en 2013 ?

Il n’y a qu’une seule voie, que les agences de notation, les investisseurs tant nationaux qu’étrangers, les institutions internationales répètent à l’envie: il faut des élections et la constitution d’un nouveau gouvernement durable. Chaque jour qui passe sans ces conditions est un jour de plus dans la crise.

Ceci est la condition nécessaire, mais non suffisante. Pour sortir du marasme, il faut restaurer l’espoir, répondre aux urgences sociales, ouvrir des perspectives prometteuses et mobiliser les moyens de leur financement. Seul un mouvement politique sérieux et crédible en est capable.