Tunisie : Le gouverneur de la BCT, copilote?

chedly-ayari-021112.jpgL’accent est churchillien mais la méthode est de fer. On nous réclame de la sueur, soit. Mais en nous coupant les crédits à la consommation, il n’y a pas de doute, ça nous fera verser des larmes. Ah le bémol ! On ne va pas nous sevrer de «rouge». Encore indépendante la BCT?

Mercredi 31 octobre, le gouverneur de la BCT est intervenu sur les ondes de notre confrère Express FM afin d’apaiser les clients des banques apeurés par la circulaire BCT instituant une certaine forme d’encadrement du crédit. Faut-il rappeler au premier économiste de Tunisie et certainement l’un des plus influents du continent africain, que les programmes d’austérité et les plans de refroidissement n’ont jamais rapporté gros à l’Etat ni même à leurs propres auteurs. Pourquoi s’y aventurer alors?

Austérité = Panique

Par gros temps, la marge de manœuvre est réduite, c’est archi connu. C’est pour cela qu’il faut savoir se mettre en intelligence avec la situation. Quand on décrète l’encadrement du crédit, on sème un vent de panique. Il est vrai que les Tunisiens consomment au-dessus de leurs moyens et que certaines consommations sont superflues et qu’importer revient à enrichir les pays compétiteurs de la Tunisie. S’adresser avec un ton austère aux clients des banques via une circulaire raide ne nous met pas le baume au cœur, outre que c’est le signal le plus alarmant que l’on puisse envoyer à la collectivité nationale et à la communauté d’affaires. Pourquoi ne pas recourir à des solutions de marché au lieu de se précipiter sur le REGLEMENT, qui est l’instrument le moins efficace de la puissance publique.

Utiliser l’arme de la compensation et recourir aux taxes provisoires

Parmi les importations ciblées comme étant hémorragiques en devises, on cite les voitures de tourisme. Sans recourir à la prohibition, on pouvait relever le plafond de la compensation financière de 50 à 70 ou 80%. Sans gêner les acheteurs, on aurait exercé un effet de rétention conséquent sur les sorties de devises. Et c’est aux concessionnaires de se débrouiller avec les constructeurs.

Prenons, à titre d’exemple, une hypothèse de travail basique. Un prix de 100, le pays ne déboursera que 30 ou 20% au constructeur étranger. On aurait, de la sorte, augmenté de manière mécanique nos exportations. Ce faisant, on réaliserait d’une pierre deux coups. Si on achète une berline à l’étranger, on garantit un supplément d’export et on décaisse moins de devises. La Chine l’a obtenu avec les constructeurs autos et même avec Airbus. Et, pour les autres produits «superflus», telles les solutions capillaires ou les lunettes, cités par le gouverneur, considérés comme produits de luxe, une taxe provisoire aurait d’elle-même réglé la question: plus de ressources au budget et fatalement une réduction des importations. Les Américains ont fait pareil quand ils ont voulu réduire les importations de l’acier européen. Le temps que l’OMC réagisse, on aura eu le temps d’ajuster nos comptes.

Le gouverneur avait parlé d’un délai de trois mois ou peut-être quatre pour “remaîtriser“ le déficit commercial et pour remettre les réserves de change à flots, soit à 100 ou 110 jours d’importation. A l’évidence, si on réduit les importations, on fera très vite grimper le ratio.

A l’instar de l’ex «euro-dollar»

Par ailleurs, la BCT a demandé aux titulaires de comptes professionnels en devises à convertir leurs excédents de position sur «CPD» en dinars tunisiens. Là encore la mesure est parue trop «administrative». Lors des années 80’, les exportateurs européens commençaient à dégager des excédents d’export en dollars US. Il ne leur a pas été demandé de rapatrier ces sommes en Europe. Et, on sait qu’elles ont donné naissance à un marché «dérivé» dit des euro-dollars.

Raymond Barre, lui aussi premier économiste en son pays, avait abondé en ce sens et n’avait pas sabré ce compartiment de marché. Il s’en était servi pour aller vers l’ECU (Unité de compte européenne).

Pourquoi recourir immanquablement au glaive de la circulaire BCT?

L’indépendance de la BCT

Le gouverneur a affirmé que les mesures actuelles sont ponctuelles. Peut-être le seront-elles, mais elles ont ravagé le mental des clients des banques. Il a également ajouté qu’il dispose d’informations qui lui permettent d’annoncer que la situation sera rétablie, dans un délai imminent. Il a précisé que des ressources seront levées sur les marchés dont le Samouraï (50 milliards de yens) et d’autres prêtées par des banques internationales.

Il y a quinze jours, Ridha Saïdi, ministre conseiller auprès du Premier ministre chargé des Dossiers économiques et sociaux, mettait en avant cet argument. On ne remplit pas les caisses avec du crédit.

En inaugurant son mandat, le gouverneur déclarait dans les colonnes de notre confrère L’économiste maghrébin que les Banques centrales ont la responsabilité de dénouer les crises, c’est-à-dire ramener la croissance, pas de la dette. Le gouverneur reconnaissait que le gouvernement est le pilote et que le gouverneur n’est que le copilote.

La BCT a-t-elle abdiqué son indépendance? Ce faisant, chadli Ayari aurait remis en cause un principe constitutionnel.