Méditerranée : L’UE et ses voisins… un tournant dans les relations

Par : Tallel

stephan-fule-030912.jpgLes relations de l’Union européenne avec les partenaires de notre voisinage sont à un tournant. C’est ce qu’a déclaré le Commissaire européen en charge de l’Elargissement et de la Politique de voisinage, Štefan Füle, dans un entretien exclusif avec le Centre d’information pour le voisinage européen, a l’occasion de la publication par la Commission européenne des derniers rapports de suivi PEV. «L’UE a été rapide et déterminée à poser les nouvelles fondations d’une nouvelle politique européenne du voisinage ainsi qu’à réagir aux événements historiques dans le Sud de la Méditerranée», précise le Commissaire européen un an après le lancement de la nouvelle politique européenne du voisinage (PEV)…

Comment jugeriez-vous les relations de l’UE avec ses voisins à ce jour?

Štefan Füle : Nos relations avec les partenaires de notre voisinage sont probablement à un tournant. Depuis l’adoption en mai 2011 d’une nouvelle politique européenne de voisinage, basée sur la responsabilité mutuelle et un renforcement du partenariat avec la société civile, l’UE a été rapide et déterminée à poser les nouvelles fondations de cette politique. Nous pouvons donc dire que nous sommes aujourd’hui mieux équipés pour développer nos relations avec chacun de nos partenaires, dans la mesure de leurs propres aspirations, besoins et capacités. Nous nous sommes dotés de nouveaux instruments et, depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, d’une approche bien plus cohérente.

Cette approche porte déjà ses fruits et les premiers résultats sont encourageants. Après des années au cours desquelles peu d’avancées ont été réalisées, la démocratie s’implante de plus en plus dans les pays du voisinage. D’une manière générale, la tendance est à une gouvernance plus responsable et à un respect accru des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Dans les pays où elles ont été mises en œuvre, les réformes structurelles ont permis de réduire la pauvreté et d’attirer des investissements étrangers, mais sur le plan social, les défis restent importants. La poursuite de l’alignement sur les normes et les critères de l’UE a permis de renforcer les relations commerciales, malgré un climat économique des plus défavorables. L’intensification croissante de la coopération avec l’UE contribue quant à elle à remédier aux problématiques du transport et de l’énergie et permet de s’attaquer aux défis climatiques et de l’environnement. L’UE et ses voisins doivent à présent préserver cette dynamique pour renforcer leurs relations.

Vous avez effectué de nombreuses visites dans les pays du voisinage et vous avez ainsi reçu un feedback sur le terrain. Comment l’UE est-elle, selon vous, perçue par les citoyens de ces pays? Est-elle considérée comme un partenaire honnête et fiable?

Loin de moi l’idée de nous auto-encenser, mais je pense que l’UE est considérée comme un partenaire fiable et respectueux de ses engagements. Et je ne me base pas seulement sur les opinions exprimées par les gouvernements des pays partenaires mais aussi sur le feedback des acteurs de la société civile que j’ai eu l’occasion de rencontrer à maintes reprises l’année dernière.

Ce sentiment positif s’appuie sur des faits: l’UE a fait énormément de chemin au cours de ces douze derniers mois. Permettez-moi de vous citer quelques exemples. Nous avons adapté nos instruments politiques. Nous avons continué à moderniser nos relations contractuelles, nous avons été mandatés pour ouvrir de nouvelles négociations commerciales, nous avons lancé des dialogues sur la mobilité et réorienté et renforcé notre aide financière (600 millions pour soutenir la transition démocratique, le développement économique et les contacts interpersonnels).

En élargissant le mandat de la BEI et de la BERD, nous avons par ailleurs ouvert la porte à de nouveaux investissements – substantiels- dans les pays partenaires.

Il va de soi que cette dynamique doit se poursuivre. Mais la plupart des pays partenaires se sont d’ores et déjà félicités de la nouvelle Politique européenne de voisinage proposée par l’UE, et indiqué leur volonté de poursuivre les réformes économiques et politiques avec une détermination renforcée et de s’associer encore davantage avec l’UE.

Quelles sont les priorités dans le Sud à la lumière du Printemps arabe?

Comme je l’ai déjà expliqué, l’UE a réagi avec rapidité et détermination aux événements historiques dans le Sud de la Méditerranée, comme le montrent les deux communications conjointes de la Commission/de la Haute Représentante sur «Un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le Sud de la Méditerranée», adoptées le 8 mars 2011, qui affirment clairement le soutien de l’UE à l’appel au changement et à des sociétés plus démocratiques et plus ouvertes, associé à une approche incitative («plus en échange de plus») afin d’appuyer les réformes politiques, sociales et économiques dans les pays de la région.

En outre, la communication sur la revue de la politique européenne de voisinage adoptée le 25 mai 2011 donne de nouvelles orientations à la gestion de ces priorités. Tout en peaufinant son approche en matière de politique de voisinage, mise en avant dans les conclusions du récent Conseil européen des 1-2 mars 2012, l’UE élabore aussi sa réponse régionale aux défis, réponse qui inclut entre autres l’Union pour la Méditerranée, qui vient de succéder à la France à la coprésidence nord.

L’UE, plus que tout autre acteur international, doit accompagner et soutenir les transitions qui portent leurs fruits. Partageant elle-même l’histoire et le destin de la Méditerranée, elle ne doit pas craindre les succès électoraux des acteurs politiques inspirés par l’islam. Conformément à notre nouvelle approche, nous nous sommes engagés à:

– participer à un dialogue politique qui exige la compréhension mutuelle et le respect des valeurs universelles, le fondement même de toute communauté d’individus libres et égaux;

– nous attaquer à la situation économique désastreuse dans la région -le principal défi pour les nouveaux dirigeants qui doivent parvenir à créer des emplois et générer de la croissance tout en répondant aux attentes sociales des jeunes; leur réussite dépendra de notre soutien économique;

– faire face aux problèmes de sécurité et assurer dès lors le succès de la transition politique et économique, en éliminant toutes les menaces et sources d’insécurité;

– imaginer des réponses régionales aux défis régionaux; d’où un engagement renouvelé de l’UE auprès d’organisations régionales clés, comme la Ligue arabe, l’OIC et l’UMA, etc.

En ce qui concerne l’Union pour la Méditerranée, l’UE a succédé à la coprésidence française. Quel sera l’impact de ce changement?

La succession de l’UE à la coprésidence nord de l’Union pour la Méditerranée (UpM) témoigne en effet de l’engagement de l’UE à jouer un rôle central en accompagnant les profonds changements dans la région du Sud de la Méditerranée. Depuis le 27 février 2012, date à laquelle les institutions européennes des 27 États membres ont succédé à la coprésidence nord, toutes les activités en rapport avec l’UpM sont examinées, analysées et discutées à l’échelon européen. Les institutions européennes vont s’efforcer de partager avec leurs partenaires du Sud les efforts réalisés par l’UE dans plusieurs domaines d’activités, au bénéfice des habitants de la région et dans un esprit de cohérence, d’uniformité et de partenariat.

Il faudra aussi, absolument, renforcer la coopération sectorielle et réaliser les synergies nécessaires entre cette coopération sectorielle et le travail du secrétariat qui consiste à faire aboutir des projets concrets.

Au sein de ce partenariat, quels sont, pour l’UE, les défis les plus difficiles communs aux voisins de l’Est et du Sud?

Trois défis majeurs, intrinsèquement liés, me viennent à l’esprit. Tout d’abord, la résolution des conflits. La recherche d’un règlement pacifique à des conflits qui s’éternisent reste un défi majeur dans tout le voisinage. Mais soyons clairs: c’est d’abord aux parties en conflit d’y trouver une solution en renforçant leurs efforts afin d’aboutir à des accords dans un véritable esprit de compromis. Sinon, les efforts de médiation incessants de la communauté internationale, dans les formats classiques de négociation, resteront vains. Si nous voulons exploiter pleinement toutes les possibilités offertes par l’UpM, les pays concernés doivent consentir des efforts plus crédibles et plus soutenus pour régler les conflits. De son côté, l’UE se tient prête à apporter tout le soutien nécessaire à la mise en œuvre des accords une fois que ceux-ci auront été conclus.

Bâtir et consolider des démocraties durables est un autre défi majeur. Des avancées ont certes été réalisées, mais dans certains pays, il reste un long chemin à parcourir. Les libertés d’expression, d’association et de réunion doivent être pleinement garanties, tant au niveau de la Constitution que dans les faits, et il faut également mettre en place une réelle culture de respect des droits de l’homme, à tous les niveaux, en particulier une protection contre toutes les formes de discrimination dans la politique et la vie quotidienne. Le contexte deviendra ainsi plus favorable à la société civile, qui pourra jouer son rôle clé d’agent de la démocratisation en soutenant un processus de réforme pérenne et inclusif.

Enfin, et c’est là le troisième défi, il conviendra de promouvoir un développement économique inclusif. Le chômage, l’exclusion sociale, l’inégalité et la pauvreté sont au centre des préoccupations des citoyens dans tous les pays. Ces phénomènes comptent parmi les principales causes d’instabilité et d’agitation, et il convient d’y remédier pour ancrer dans le long terme le processus de démocratisation.

Les pays partenaires doivent donc introduire des réformes et adopter une approche intégrant leurs politiques économiques, fiscales, sociales, de l’emploi et de l’éducation. L’UE est prête à soutenir ces réformes par le bien de mesures ciblées visant à promouvoir la cohésion sociale et l’emploi (en particulier l’emploi des jeunes).

Pourriez-vous nous en dire plus sur le principe «plus en échange de plus» -plus de fonds pour plus de réformes- que l’UE met en œuvre dans ses politiques en faveur de ses voisins? Faut-il y voir une conditionnalité accrue du soutien?

Le principe ne se limite pas à faire dépendre l’octroi de fonds de l’introduction de réformes. L’approche «plus pour plus» que l’UE privilégie de plus en plus signifie que seuls les partenaires qui se lancent avec détermination dans des réformes politiques et qui respectent les valeurs communes des droits de l’homme, de démocratie et d’Etat de droit pourront se voir offrir les éléments les plus ambitieux de ce que l’UE peut leur offrir, à savoir l’intégration économique, la mobilité des citoyens et, effectivement, un soutien financier plus important.

L’UE est le premier bailleur de fonds au monde. L’impact de son soutien à la modernisation dans les pays du voisinage est-il à la mesure de son engagement?

Le soutien de l’UE à la modernisation a un impact considérable, comme en témoigne amplement le bilan de ces vingt dernières années. Les États membres de l’UE ont eux-mêmes réalisé des réformes majeures et consenti d’importants efforts de modernisation. Ils ont donc une vaste expérience à partager avec les pays tiers. Je pense que notre impact n’est pas tant limité par le volume de notre aide financière –une aide généreuse comme le souligne votre question– que par la volonté de nos partenaires à se lancer sur la voie des réformes. Si nous sommes prêts à accompagner nos voisins en les aidant à faire face aux défis auxquels ils sont confrontés, nous ne pouvons pas et ne voulons pas nous substituer à eux.

Comment les politiques de l’UE à l’égard de ses voisins vont-elles évoluer?

Je pense qu’il y a une série de domaines pour lesquels l’UE doit aussi réaliser des progrès importants dans un avenir proche. Nous devons faire davantage pour promouvoir les investissements de l’UE dans les pays partenaires. Nous devons faire avancer l’agenda de la mobilité dans le Sud comme à l’Est du voisinage, entre autres en incitant les États membres de l’UE à utiliser de manière plus systématique les possibilités offertes par le code européen des visas. Nous devons aussi faire de notre mieux pour accélérer le processus d’ouverture de négociations sur une première zone de libre-échange approfondi et global dans le Sud. Les négociations bilatérales en cours sur le chapitre de la libéralisation du commerce des services et l’établissement doivent s’accélérer.

La coopération sectorielle doit être renforcée en vue d’aboutir à des résultats concrets dans les prochaines années. Nous devons aussi ouvrir progressivement nos programmes et nos agences à la participation de nos partenaires. La nouvelle Politique européenne de voisinage définit ici la phase finale dans ce domaine, une phase ambitieuse avec une idée concrète des résultats que nous voulons obtenir.

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