La gouvernance des entreprises privées en Tunisie : les temps changent, les pratiques restent les mêmes

gouvernance-220.jpg«Après le 14 janvier, les Tunisiens ont été choqués de découvrir le degré des affaires de corruption et de malversations qui ont gangrené aussi bien les secteurs privé que public», notent Majdi Hassan, enseignant à l’Ecole supérieure des Etudes Commerciales, et Sabri Boubakr, enseignant à l’Ecole supérieure de Commerce de Champagne-Ardenne (France) dans une étude intitulée «La gouvernance des entreprises privées en Tunisie: un cadre légal élargi et une vision vague» sur la gouvernance des entreprises en Tunisie réalisée pour le compte de l’IACE.

Une étude dont les résultats ont été le thème d’une rencontre à l’Institut arabe des chefs d’entreprise, lundi 30 juillet 2012.

Il est quand même étonnant d’observer le degré d’étonnement des Tunisiens face à la corruption après 14 janvier alors que tous les indices, touts les faits le montraient et le prouvaient jusqu’aux rapports de la Banque mondiale qui faisait passer une mauvaise gouvernance pour une mauvaise gestion lui imputant -1,5 de point de croissance par an!

La première question que se sont posés les auteurs de l’étude citée plus haut se rapporte au cadre légal: comment peut-on commettre autant de délits et d’infractions? Est-ce en raison de carences légales et de procédures insuffisantes ou compliquées?

La gouvernance des entreprises ou «l’administration de l’administration», comme se plaisent à le dire les chercheurs, se rapporte à toutes les questions de réforme de l’administration à l’intérieur de l’entreprise, à la définition du rôle de tout intervenant ainsi que les procédures de désignation et de révocation des hauts responsables.

En 2005, en Tunisie, une loi sur la sécurité des tractations financières a été promulguée dans un climat économique détérioré par des affaires de corruption et de mauvaise gestion notoires dont celle de BATAM ou d’autres de non remboursement de dettes ou d’évasion fiscales, pratiques devenues courantes dans notre pays.

Le but de la loi 96-2005 était de garantir le maximum de transparence dans les tractations financières et d’accorder un rôle plus important aux commissaires au compte et auditeurs qui doivent dénoncer tout acte de malversation susceptibles de menacer les intérêts des entreprises et en particulier celles qui font appel à l’épargne publique.

Cette loi a-t-elle été respectée?

Dans une évaluation du ministère des Finances sur son degré d’application, on a remarqué la croissance du nombre d’entreprises qui ont déclaré leurs activités et donné des informations sur leurs chiffres d’affaires et leurs bénéfices. Ce nombre qui était en 2007 de 71% est passé à 86% en 2008 pour atteindre les 88% en 2009 et près de 96% lors du troisième trimestre 2009.

A la loi 96-2005 ont succédé la loi 69-2007, la loi 16-2009 et enfin la circulaire 06-2011 de la Banque centrale.

En présence d’un arsenal légal aussi important plaidant pour une meilleure gouvernance, les résultats ont-ils été probants sur le terrain?

Ce n’est pas le cas, répondent les auteurs de la recherche, car le tissu économique tunisien formé en grande partie de PME/PMI familiales a depuis toujours été un terrain propice aux conflits sociaux tels ceux sur la succession, la gestion et d’autres à l’origine de nombre de faillites. Les placements et les augmentations de capital étaient tenus secrets et gérés, à l’époque, par la famille régnante, ce qui n’était pas pour assurer une grande transparence des tractations et des contrats.

L’existence des lois n’a pas empêché des personnes influentes de les contourner, tout le monde le savait, personne ne réagissait. Le cas de Carthage Cement en serait la parfaite illustration, estiment les auteurs de la présente étude, personne n’a pensé à protéger les actionnaires ou à respecter les règles régissant le marché financier.

L’échec de la gouvernance d’entreprise en Tunisie n’est pas dû uniquement au cadre juridique, mais aussi au rôle joué par les différents acteurs dans les secteurs privé et public dans la gestion des rapports entre opérateurs privés et décideurs publics.

En fait, les régulateurs n’ont pas accompli correctement leur devoir mais pouvaient-ils avant le 14 janvier faire autrement?

L’arsenal juridique mis en place en Tunisie semble être suffisant pour l’application des procédures de contrôle et d’organisation. Mais aussi loin que les hommes qui doivent appliquer les lois n’oseront pas le faire ou auront peur, ces lois demeureront impuissantes et inefficaces. Et les pratiques que nous voyons aujourd’hui sur la scène politique et économique ne sont pas rassurantes: «Il n’est pas acceptable que le gouvernement nomme le gouverneur de la Banque centrale et le président du marché financier. Ces institutions doivent être indépendantes pour garantir la transparence, l’efficacité et la bonne gouvernance».

En fait, les temps et les gouvernements changent, les pratiques restent les mêmes.

Nous y reviendrons