Tunisie – Répartition des revenus et des richesses : Pouvoir d’achat… Concept et mesures de soutien (4)

Par : Autres

4) Les transferts et compensation

Il existe en Tunisie deux types de protection sociale pour lutter contre la
pauvreté et les inégalités: (i) les subventions à la
consommation alimentaire,
carburants et transports; et (ii) les transferts directs en nature et en espèces
aux nécessiteux (les personnes âgées, les handicapés, les enfants en âge d’aller
à l’école et les familles nécessiteuses). Nous concentrerons notre analyse sur
les subventions à la consommation alimentaire.

Compte tenu du fait que les produits alimentaires revêtent un caractère
symbolique, la Tunisie a choisi une politique de subvention des produits de base
à travers une caisse générale de compensation. Le gouvernement tunisien a créé
depuis les années 70 la caisse générale de compensation (CGC) afin de soutenir
le pouvoir d’achat de la population à travers la subvention de certaines denrées
alimentaires de base comme la farine, l’huile, etc.

Rappelons dans ce contexte que le gouvernement tunisien subventionne également
les carburants, les transports, le sucre et bien d’autres produits qui ne sont
pas supportés par le budget de la CGC et qui alourdit fortement les charges des
subventions.

Bien entendu, la hausse des prix des matières premières et
agricoles est une
mauvaise nouvelle pour notre pays et impose d’énormes coûts supplémentaires. En
effet, dans ce contexte résolument haussier, la Tunisie demeure très vulnérable
car encore dépendante d’importations alimentaires. Avec un taux d’autosuffisance
en céréale très faible de l’ordre de 29%, la Tunisie est très exposée à la
flambé des cours et nous faisons partie des pays où l’alimentation représente
encore une part importante du total de nos dépenses.

Toutefois, le fait que la plupart des produits alimentaires soient subventionnés
pose dans ce contexte de sérieux problèmes à nos dirigeants.

Alors que l’on s’était habitué à des prix alimentaires relativement abordables
dans les années 80 et 90, depuis l’an 2000, les prix des produits agricoles
n’ont cessé d’augmenter et tout porte à croire que ces hausses soient
tendancielles et non temporaires.

La situation alimentaire demeure inquiétante au niveau mondial et nous devons
peut être apprendre à payer plus cher pour nous alimenter. Nos finances
publiques et donc nos dirigeants resteront probablement confrontés aux lourds
problèmes posés par des prix de l’énergie et de l’alimentation à la fois plus
élevés et instables que par le passé. En effet, selon les calculs du FMI, la
montée des prix des produits énergétiques et alimentaires alourdirait la facture
des importations en % du PIB d’environ 1,6 point de pourcentage et augmenterait
les prix à la consommation et le déficit budgétaire d’environ 2,6% et 1,5 point
de pourcentage respectivement.

Par ailleurs, cette forme de transfert n’est pas bien ciblée sur les plus
défavorisés et donc les vrais bénéficiaires. Actuellement c’est plutôt les
familles nanties qui en profitent davantage et toute une industrie alimentaire
qui utilise cet avantage (Banque Mondiale (2004) «Tirer parti de l’intégration
commerciale pour stimuler la croissance et l’emploi», Rapport n° 29847-TN).

D’une manière générale, les subventions, bien qu’elles soient politiquement
populaires, n’en posent pas moins des problèmes dont trois principaux. D’abord,
les subventions non-ciblées profitent davantage aux riches qu’aux pauvres.
Ensuite, par le fait d’abaisser artificiellement les prix, les subventions
peuvent favoriser le gaspillage et conduire à un comportement de
surconsommation.

Enfin, les subventions étant souvent dépendantes des cours mondiaux, leur charge
dans le budget de l’État est fortement volatile.

Dans cet esprit, les résultats de l’enquête affichent un avis partagé. En effet
54,2% des chefs d’entreprise expriment un souhait en faveur du maintien de la
compensation sur les produits de première nécessité alors que 41,7 appellent à
son remplacement par des aides directes. De toute façon, ces différentes
distorsions exigent à court terme de remplacer progressivement les subventions
par un système de protection sociale plus efficace et centré sur l’aide vers les
couches les plus vulnérables de la population. Ce système présente l’avantage de
contribuer à une meilleure répartition des ressources ainsi qu’à l’élévation des
niveaux de vie.

A long terme, il est important de concevoir et d’instaurer des mécanismes de
protection sociale plus efficaces et moins onéreux pour remplacer les
subventions. Dans la pratique, il est possible de mieux cibler les dispositifs
de protection sociale, tels que les transferts monétaires et autres formes
d’aide au revenu. Il serait ainsi plus efficace de remplacer les subventions par
des aides au revenu ce qui permettrait de renforcer la protection sociale et
libérer des ressources conséquentes pour d’autres priorités.

A ce sujet une stratégie de réforme reposant sur quatre axes peut être envisagée
(Les suggestions avancées s’inspirent des expériences réussies au Mexique
(1997), Indonésie (2005), Jordanie (2005) et surtout celle de l’Iran (2010)).

– Informer et sensibiliser la population des coûts des subventions. En effet,
les subventions accordées doivent être quantifiées et inscrites au budget de
façon à être mises en concurrence avec d’autres services de première importance.

Il convient à ce sujet de publier les résultats détaillés des enquêtes de
consommation pour pouvoir identifier les bénéficiaires des subventions. Ceci
aura le mérite de sensibiliser la population des coûts des subventions et de
faire mieux comprendre les arguments en faveur des réformes.

– Renforcer la gouvernance, la responsabilité et la capacité du secteur public.
Comme partout dans le monde, il existe une certaine résistance aux réformes des
subventions. Afin de limiter cette résistance, les pouvoirs publics doivent
convaincre les citoyens que les économies ainsi dégagées seront utilisées à bon
escient. A ce sujet, il convient de renforcer la gestion des finances publiques.
Les ressources nettes dégagées par de telles réformes doivent être allouées de
façon transparente et efficace.

– Affiner progressivement le ciblage des subventions. A ce propos, un
renforcement des filets de protection sociale par une amélioration du ciblage
des subventions à la consommation alimentaire parait nécessaire. Il s’agit de
mettre en place un système d’évaluation permanente du ciblage des subventions à
la consommation. Il faut également un travail de suivi pour définir le groupe
ciblé, évaluer l’impact de ces programmes sur la pauvreté.

De toute évidence, le passage d’un régime de protection sociale reposant en
grande partie sur les subventions des prix à un dispositif complet de protection
sociale dominé par les transferts monétaires et autres formes d’aide au revenu
devra être graduel car il convient de concevoir et mettre en place les modes de
prestation et les mécanismes de ciblage. Une amélioration du ciblage permettra
par la suite de produire rapidement des résultats en limitant la portée des
subventions existantes aux produits de première nécessité pour les plus démunis
ou en plafonnant les quantités des produits subventionnés aux niveaux de
consommation de subsistance. Une fois les modes de prestation en place, les
subventions doivent être remplacées par des transferts monétaires indexés sur
les prix et assorties de conditions qui inciteront à investir dans le capital
humain.

– Instaurer des mécanismes d’ajustement automatique des prix afin de limiter les
suspicions sur la tarification. Naturellement, l’objectif ultime de toute
réforme des subventions de prix est de chercher à éliminer la fixation
discrétionnaire et ad hoc des prix. Un système d’ajustement automatique des prix
écarte les soupçons d’une quelconque influence sur la tarification.

Même si l’objectif final doit être de libéraliser les prix alimentaires et
énergétiques, il serait avantageux d’instaurer une forme de taxe flottante qui
permet un lissage des prix et surtout éviter de suspendre les mécanismes
d’ajustement en cas de hausse soudaines et/ou de fortes volatilités des cours
mondiaux.